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16.10.2023 à 00 H 24 • Mis à jour le 20.03.2025 à 10 H 14 • Temps de lecture : 14 minutes
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Affaire Marbio : pourquoi l’usine de vaccins de Benslimane est retardée

ENQUÊTE. Où en est l’usine de vaccins de Benslimane ? Si elle a bien été construite, l’unité industrielle n’est toujours pas opérationnelle. Selon les informations du Desk, aucun vaccin n’y est actuellement en phase de production et l’installation ne dispose à ce jour d’aucune licence de transfert de biotechnologies. Le Desk dévoile de nouveaux éléments sur l’échec causé par Samir Machhour

Fin 2022. C’est la date qui avait été avancée pour le début de la production de vaccins à l’usine de Benslimane, portée à l’époque par la société Sensyo Pharmatech, rebaptisée depuis Maroc Biotechnologies (Marbio).


Octobre 2023, il n’en est toujours rien et les premiers lots de vaccins manquent à l’appel. Ceux-ci devaient être écoulés sur le marché marocain, d’abord pour combler les besoins du ministère de la Santé, et dans une seconde étape, exportés vers d’autres pays africains.


Un projet qui, à l’époque et encore aujourd’hui, dénote par sa nécessité. Il s’agit de doter le Maroc de sa souveraineté sanitaire, le rendant capable d’assurer son approvisionnement en vaccins, pour les besoins conventionnels comme lors de situations d’urgence, à l’instar de la période de la pandémie du Covid-19 où l’acquisition du vaccin anti-coronavirus s’est avérée une affaire complexe.


Dans des déclarations données à la presse, Samir Machhour, présenté à l’époque comme missionné par le Palais royal pour la réussite du projet, annonçait qu’à fin 2022, l’actuelle usine, à savoir Lion 1, devait être en mesure de fournir pas moins de 120 millions d’unités de vaccins.


Après Lion 1, Lion 2 devait suivre, avec une montée en puissance. Puis la phase 3 de Dakhla, devant être entamée à partir de 2023 et s’achever en 2030. Elle consistait en la création d'un pôle africain d'innovation biopharmaceutique et vaccinal au niveau du sud du pays.


Sauf qu’en cette rentrée 2023, le retard de concrétisation du projet Marbio fait tache. Aucun lot produit par l’unité industrielle n’a été officiellement et publiquement présenté.


Selon des éléments exclusifs à notre disposition, il faudra encore attendre pour l’opérationnalisation de l’usine et donc son inauguration.


Aucun partenaire à l'horizon

L’usine est d’apparence achevée. Non loin du centre-ville de Benslimane, les murs sont bien là, le personnel a été recruté depuis la création de Sensyo Pharmatech (renommée Marbio) et fait régulièrement la navette depuis Mohammedia-Mansouria, pour certains, tandis que d’autres viennent directement de Casablanca. Une routine pour ces techniciens et ingénieurs, séduits par la grandeur du projet et débauchés ou mis à la disposition pour la plupart de laboratoires marocains ou installés au Maroc,  Sothema, GSK, Maphar, Pharma 5, etc. Rapidement, le « projet royal » a siphonné bien des ressources humaines existantes au sein de l’industrie locale et cherchait activement à recruter à l’international.


Sauf que la désillusion ne tardera pas. « Les bâtiments à cinq lignes de production sont déjà là, les tests liquides ont été effectués sur la ligne 1, mais il n’y a pas un seul contrat de transfert de biotech à ce jour (début octobre), donc pas de produit à faire sortir », nous indique une source proche du dossier.


Autrement dit, Marbio, édifiée en un temps record semble s’apparenter davantage à une coquille vide. Elle demeure sans vaccin à produire, la faute étant à l’absence de licences de transfert de biotechnologie devant provenir de laboratoires internationaux à travers des partenariats.


Pourquoi ne sont-ils pas là ? A cause de Samir Machhour, indiquent différentes sources concordantes.


Comme régulièrement révélé par Le Desk, l’ancien vice-président de Samsung Biologics, d’où il a été récemment débarqué sans ménagement, avait été le chef d’orchestre d’un montage de structures basées à l’étranger, en parallèle du projet Marbio, de nature à le saper.


Ce montage, caractérisé par la création de Bio Investment Group (Suisse), du cabinet privé de Machhour réactivé (Sensyo au Delaware et au Canada), ainsi que MarocVax (Maroc), devait lui permettre de « récupérer au passage de substantielles commissions sur les transferts de technologie au Maroc », confirment nos diverses sources.


De plus, comme nous l’avions déjà indiqué, les sociétés Bio Investment Group et MarocVax proposaient également à des clients étrangers de dupliquer l’expérience marocaine de Marbio. Autant de manœuvres ayant affaibli le projet de Benslimane. En résulte, l’absence de toute licence de transfert de technologie à date d’aujourd’hui.


D’après nos informations, le laboratoire Recipharm, associé de Marbio, a été sollicité pour partager au moins un de ses réactifs, permettant ainsi de lancer l’usine avec un premier produit : niet catégorique a été opposé. Aucun partage de licences de Glaxosmithkline ne pouvait être, par exemple, envisageable, le groupe suédois, qui a mené la construction du site « ne pouvant allant à revers de ses intérêts, c’est-à-dire ses propres projets menés hors du Maroc ».


Outre Recipharm, Serum Institute of India a lui aussi été approché. Le laboratoire indien, devenu numéro 1 mondial de la production de vaccins desservant pas moins de 170 pays dans le monde aurait « décliné l’offre marocaine », explique-t-on.


Enfin, l’absence de partenaires aujourd’hui pour les licences de transfert de technologie s’explique également par la panoplie de partenaires du projet déjà présentée au monarque dès janvier 2022. C’est Samir Machhour qui l’avait élaborée. Elle passera telle une lettre à la poste, et sera même présentée devant les caméras.


En juin 2022, nous disséquions cette liste de partenaires, et nous la comparions à un autre projet préparé par l’Institut Pasteur du Maroc dès 2016 et qui ressemble en tout point à celui de Marbio.


L’évidence étant que la liste ne fait pas l’affaire. Elle n’est qu’un assemblage – hasardeux- d’universités, d’organismes onusiens, et de quelques laboratoires fournisseurs du Maroc, comme Walvax ou Innovax. A ce jour, rien ne filtre sur ces contrats signés, dont au moins un l’a été à travers MarocVax.


Comparatif entre les partenaires de Sensyo Pharmatechet ceux prévus par l'Institut Pasteur du Maroc. Crédit : Mohammed Mhannaoui / Le Desk

Une brusque mise à l'écart

Samir Machhour est, selon nos sources, écarté de Marbio. A la question de savoir s’il était toujours impliqué, l’intéressé avait botté en touche, lors de notre Question du Desk. Après un temps d’arrêt pour formuler sa réponse, il a préféré soliloquer sur le « projet royal », avant de corriger le tir et de dire qu’il « adhère toujours à la vision royale ».


Il n’a plus aucune implication et aucun contact avec l’équipe gestionnaire, assurent nos sources. Machhour n’avait d’ailleurs aucun poste officiel, même s’il tendait à jouer sur les mots pour parler de sa véritable qualité, dans les déclarations à la presse données à la suite du lancement des travaux de l’usine de Benslimane.


Pourtant, Machhour ambitionnait de rejoindre le tour de table du projet, comme nous l’avions déjà rapporté. Mais il ne réussira finalement pas à lever les fonds nécessaires à sa quote-part soit 200 millions de dirhams (MDH). De plus, Recipharm était particulièrement rétif à sa prise de participation.


C’est qu’à l’égard de Samir Machhour, méfiance et crainte se sont développées, notamment à un moment charnière qui a « refroidi les parties prenantes dont les Suédois », relate au Desk, une source proche du dossier : la publication de notre enquête en deux volets (ici et là).


La première démontrait le montage parallèle de Machhour à travers Bio Investment Group et MarocVax, mais aussi son cabinet Sensyo. A la publication de nos révélations, aucun partenaire du projet n’avait été mis au courant de la création de ces sociétés. Marc Funk, patron de Recipharm mais aussi de Marbio aujourd’hui, avait aussitôt été convoqué par le conseil d’administration de son groupe pour qu’il fournisse des explications sur les intentions de Machhour. Le risque pour la multinationale cotée en bourse était de se voir embarquée dans une affaire aux ramifications douteuses qui pouvaient exposer sa réputation.


La seconde partie de notre enquête démontrait ensuite la faiblesse des partenaires présentés par Samir Machhour. « Un choc », commentent des sources consultées par nos soins.


Dans ce contexte de crise, le patron de Recipharm s’était déplacé en personne à Casablanca pour réceptionner les premiers éléments de l’usine Lion 1, fabriqués et conçus par l’usine chinoise du Japonais Morimatsu. Une opération de communication conçue pour atténuer le doute sur l’avancement du projet, du moins dans sa phase de construction.


A la réception des éléments, la présence des principales personnes impliquées dans le projet d’usine avait été requise : Marc Funk, mais aussi les premiers employés recrutés par Sensyo Pharmatech, ex-Marbio.


Face à cette situation alarmante, une réunion se tiendra plus tard avec des partenaires marocains du projet : les banques, présentes à travers BAB Consortium, société regroupant Bank Of Africa, Attijariwafa bank et la Banque centrale populaire.


« Les banques ont été avisées de la situation et ont pris note de la situation. Un accord commun a débouché sur la rebaptisation pour tourner la page Samir Macchour », se rappelle une source au fait du dossier.


Comme prédit par Le Desk, Sensyo Pharmatech changera son nom pour devenir Maroc Biotechnologies (Marbio). La décision est prise lors d’une réunion du Conseil d’administration datée du 12 septembre 2022. On explique alors la décision par des « raisons d’opportunité ».


L'explication officielle quant changement de nom de Sensyo Pharmatech vers Marbio. Document Le Desk


La réalité est qu’on veut gommer toute trace de Machhour, réfutant ainsi les liens du projet avec son cabinet privé Sensyo, et encore plus avec Sensyo Inc, le nom d’un salon de massage canadien que Machhour tenait avec un certain « Wad MacHour », qui n’est autre que son frère Wahid Machhour, aujourd’hui résident à Marrakech. Actif dans le BTP, à travers BTP Line, celui-ci s’improvise porte-parole de son ainé.


Wad MacHour, plus connu sous le nom de Wahid Machhour et qui est le frère de Samir Machhour, est le premier actionnaire de la société Sensyo SPAS Inc, porteuse du salon de massage canadien. Source: registre de commerce québecois de la société Sensyo SPAS Inc

Marbio tétanisée

Au sein de Marbio qui a, depuis nos révélations de juin 2022, réussi tout de même à recruter du personnel, « l’attente est pénible, lassante ». Alors que l’usine prenait forme, en interne, on s’est rendu compte dès la rentrée 2022, que rien de concret ne pouvait être fait sans un véritable vaccin à produire.


Des démissions s’enchaîneront, apprend-on. A commencer tout d’abord par le pharmacien responsable, Brahim Oulammou. Comme déjà révélé par Le Desk, cet ancien de Promopharm, avait été recruté par Marbio, débauché de son poste de general manager chez GSK Morocco.


Il ne fera pas long feu. Il abandonnera son poste, apprend Le Desk sur la base de sources concordantes. Nos informations seront ensuite confirmées par le procès-verbal d’une réunion du Conseil d’administration (CA) désignant son remplacement, et que nous avons pu obtenir.


Lors d’une séance du CA, on mentionne le terme « défection de la personne qui avait été initialement pressentie pour ce poste de Pharmacien Responsable ». A son poste, c’est Mohammed Zerrouki qui est nommé. Une désignation qui se fait sur autorisation du Secrétariat général du gouvernement, après enquête de l’Inspection de la Pharmacie et d’un avis du Conseil national de l’ordre des Pharmaciens.


L'ancien pharmacien responsable, Brahim Oulammou, fera défection. Document Le Desk

Sauver la mise à tout prix

Selon différentes sources consultées par Le Desk, les équipes et partenaires de Marbio cherchent une issue à l’impasse. L’objectif étant « de produire au moins deux vaccins, dans les prochains mois », assurent nos sources.


Et pour les besoins d’une annonce qui ne vient pas, il serait question d’envisager de produire un simple anesthésique dentaire. Un produit déjà concocté localement, par des laboratoires comme Sothema ou encore Steripharma, récemment acquis par la holding de Moncef Belkhayat.


Les belles ambitions du départ sont donc nettement revues à la baisse. La promesse faite par Samir Machhour de pouvoir exporter vers l’Afrique est « irréalisable en l’état des choses », tranchent nos sources : « Les produits qu’il voulait faire venir n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché (ce que nous avions déjà indiqué pour au moins un vaccin, ndlr), et encore moins le feu vert de l’OMS. Or, ce sont les centrales d’achat OMS/UNICEF qui achètent les vaccins pour la plupart des pays africains », relève notre source.


Ce n’est d’ailleurs que tout récemment que Marc Funk, patron de Recipharm et Marbio, a annoncé que des discussions sont en cours avec les organisations internationales comme Gavi, l'Alliance pour les vaccins et l'UNICEF. « Nous devons renforcer la crédibilité dans l'esprit des institutions mondiales et leur assurer que nous pouvons fabriquer pour les populations qu'elles visent à servir. Plusieurs visites de haut niveau ont déjà eu lieu, et des discussions sur la façon de faire bon usage de notre installation industrielle sont en cours », avait-il affirmé dans une interview accordée à Pharma Boardroom le 15 septembre dernier.


Une solution envisagée à un moment aurait, elle aussi capoté, par des raisons pragmatiques. Celle de l’entrée en piste de l’Institut Pasteur du Maroc, avec des appels d’offres lancés pour l’occasion, et pour préparer sa participation directe au projet de Marbio. Ce qui serait finalement abandonné. « L’IPM a joué au lièvre », nous confie notre source. Il fallait bien montrer qu’on continuait à s’activer…


Dans les milieux professionnels, une petite idée fait son bonhomme de chemin : celle d’appeler les laboratoires marocains à la rescousse, constitués en pool, pour tenter de sauver la mise. Un revirement stratégique, sur lequel peu d’informations filtrent à l’heure actuelle. A peine sait-on que la comparaison avec l’expérience jordanienne en la matière, et la naissance du géant local de la pharmaceutique Hikma, est citée.

Continuer d'exister, à tout prix

Dans la déroute, le projet, dans lequel des centaines de millions de dirhams ont d’ores et déjà été investis, se cherche une voie de sortie. D’abord par la baisse de ses ambitions et par un sauvetage institutionnel dans le cadre d’un partenariat public-privé. « C’est actuellement l’une des préoccupations majeures des partenaires et des parties impliquées », commente une source proche de la situation.


Un projet qui devrait continuer à exister, malgré son démarrage rocambolesque. Mais dans cette situation, quelqu’un d’autre veut aussi continuer à vivre, s’appuyant sur la « confiance royale » qui lui a été accordée courant 2021 : Samir Machhour.


Comme le démontrait notre Question du Desk, Machhour tente de s’incruster dans différents évènements. En 2022, il recevait des mains du ministre de la Santé un « prix de reconnaissance », lors d’une conférence dédiée aux risques sanitaires. Une année plus tard, il était invité en tant que VIP à sa deuxième édition, sans que l’on explique exactement son rôle. Il parvient, d’une manière qui lui est bien propre, de se faufiler parmi les membres du gouvernement pour les saluer, et ensuite apparaître comme étant membre de leur délégation, comme constaté par Le Desk sur place.


Il réussira à se prendre en photo avec eux, avant plus tard de pouvoir s'entretenir avec au moins deux ministres.


Lors de la deuxième conférence des risques sanitaires à Marrakech, Samir Machhour attendra patiemment la délégation officielle pour pouvoir s'afficher avec les personnalités officielles. Ici, de gauche à droite: Ryad Mezzour, ministre de l'Industrie et du Commerce, Mohamed Sadiki, ministre de l'Agriculture, Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, Karim Kassi-Lahlou, wali de la région de Marrakech-Safi, et Samir Machhour. Crédit : Imane Essaidi / Le Desk


Moins d’une semaine plus tard, il est cette fois-ci à Séoul. Le 14 octobre, il est présent à la réception faite à l’équipe nationale de football des moins de 18 ans, en présence de leur entraîneur Mohamed Ouahbi. Il parviendra à se prendre en photo avec lui tout sourire, pas très loin d’un pupitre et de la photo officielle du Souverain. Wahid Machhour publiera immédiatement le cliché comme pour montrer que son frère demeure toujours dans les petits papiers du protocole officiel.


Cliché publié par Wahid Machhour, frère de Samir Machhour. Capture d'écran depuis son profil Facebook


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