« Bonsoir Luc Gérard, (…) Ci-joint le document qui m’a été transmis pour vous le soumettre, (…) en vue de désamorcer cette grosse avalanche qui se prépare. (…) Autrement je ne pense pas que quelque chose continuera à exister après cette catastrophe, sans parler des conséquences graves qui vont en résulter (…) ». La menace, à peine voilée, est adressée via la messagerie WhatsApp le 30 mai dernier à Luc Gérard Nyafé, PDG d’Auplata Mining Group (AMG), d’Osead Mining Maroc (OMM) et de la Compagnie minière de Touissit (CMT). Son auteur : Noureddine Mokaddem, un ancien du Canadien Aya Gold & Silver et actuel actionnaire résiduel d’AMG. La veille, à Témara, il était venu à la rencontre de Luc Gérard pour se proposer d’intervenir en « médiateur ». Son objectif : obtenir du PDG qu’il démissionne de toutes ses fonctions dans ses diverses sociétés.
Le document est transmis par Mokaddem à Luc Gérard. Intitulé « Engagement unilatéral au profit des actionnaires », celui-ci porte sur sa gestion d’AMG et de CMT. L’analyse de la propriété du document Word révèle qu’il a été élaboré par l’avocat Jean-Luc El Houeiss, tel qu’établi par un procès-verbal d’huissier remis au Desk.
Ce document exige de Luc Gérard et son groupe de démissionner de tous leurs mandats au sein des sociétés AMG, OMM, CMT, et Osead Gestion et leurs filiales à partir du 5 juin 2024.
Il leur impose également d’organiser des réunions pour coopter de nouveaux dirigeants et s'assurer que ces changements soient effectués et de modifier les contrats relatifs aux créances pour centraliser la dette ainsi que prévoir des modalités de remboursement spécifiques avant le 14 juin 2024. Ils sont aussi sommés de publier des communiqués de presse concernant ces changements et de maintenir la confidentialité autour des termes de leur engagement.
A titre des menaces, il est reproché à Luc Gérard d’avoir mis en place un mode de financement par le mécanisme d’obligations convertibles en actions (OCA) qui aurait concouru à une forte dépréciation de la capitalisation boursière d’AMG lui permettant de convertir sur une base extrêmement faible, une créance sur le groupe aux dépends des actionnaires historiques.
Autres grief avancés : un supposé détournement de fonds de CMT, investis dans des projets survalorisés en République Démocratique du Congo (RDC) via des transferts à des entités logées dans des paradis fiscaux et ce en infraction à la réglementation des changes et en usant de près de 9 millions de dollars de fonds reçus à l’étranger par la filiale Touissit International Corporation (TIC) à des fins personnelles au profit de véhicules connexes à AMG. De même, il lui a été reproché d’avoir réduit de moitié la participation d’AMG dans Osead Fund à 51 %.
« Luc Gérard, loin de moi l’idée de mettre la moindre pression sur toi (…). J’avais offert ma médiation pour aboutir à un accord afin que vous quittiez la tête haute et en bons termes tout en préservant vos intérêts respectifs et surtout sans recourir à des poursuites généralisées ou à des audits très détaillés au niveau des différentes entités du groupe. Malheureusement vous n’avez pas saisi cette opportunité. Bien dommage. Bon courage », écrit alors dans la foulée Mokaddem, après le refus de Luc Gérard d’obtempérer.
Le chantage mené sous couvert de médiation par l’émissaire Mokaddem n’est que l’un des derniers épisodes d’une série d’intimidations orchestrées par l’ancien management d’AMG pour écarter Luc Gérard du contrôle du groupe. Déjà en février dernier, une enquête du Desk relatait les pressions exercées à son encontre ayant débouché sur une dénonciation auprès de l’Office des changes d’opérations – d’ailleurs toutes liées au précédant management -, ce qui a amené logiquement à une enquête et impacté négativement le cours en bourse et la réputation de la CMT.
« Extorsion en bande organisée »
Cette fois-ci, Luc Gérard a pris les devants en justice. L’homme d’affaires belge vient de déposer le 4 juin une plainte pour « tentative d’extorsion en bande organisée » auprès du Parquet financier du Tribunal judiciaire de Paris. La plainte, que Le Desk a pu consulter, déposée au nom de Luc Gérard, d’AMG, de CMT, d’OMM et d’Osead Gestion, représentés par Me Stanislas Eskenazi du Barreau de Bruxelles aux côtés de Me Ralph Boussier du Barreau de Paris, vise sept personnes accusées d’agir de concert.
Outre l’émissaire Noureddine Mokaddem, sont cités Juan Carlos Rodriguez Charry, ancien membre du conseil d’administration et ex-DG de CMT, Jean-Luc Elhoueiss, avocat au barreau de Paris et Partner chez HBC Solicitors à Londres, Mohamed Lazaar, PDG et DG délégué de CMT enrôlé à son départ en 2021 par Africorp Consortium (ex-Palmeraie Holding) et mentionné comme bras actif d’El Houeiss, Mohamed Ourriban, révoqué de son poste de DG Délégué fin 2023, ainsi que Philippe et Corinne Chantereau, co-actionnaires avec Me El Houeiss d’Akkadian Partners, d’une structure enregistrée en 2021 au Luxembourg dans l’objectif de participer au financement d’AMG.
Premier de cordée, le Colombien Juan Carlos Rodriguez, ancien président de Petróleos del Norte représente San Antonio International Ltd qui en 2018 et 2019 a participé à un financement ayant permis la réalisation d’une des conditions préalables à un Reverse Takeover (RTO) d’AMG, cotée à l’Euronext Growth Paris, mené par Luc Gérard. Cette prise de participation majoritaire a ouvert la voie à ce dernier en 2020 et 2022 à la prise de participation contrôlante au Maroc de la société minière CMT cotée à la Bourse de Casablanca.
A sa propre demande, Rodriguez a substitué sa qualité de préteur à celle d’actionnaire d’AMG. En 2020, il a octroyé un prêt à AMG afin de lui permettre la prise de contrôle de CMT. « Ces prêts tous consentis dans des périodes de crise, l’étaient à des conditions très défavorables (taux d’intérêt élevés et garanties importantes) », lit-on de la plainte.
Pour sa part, le Libanais Jean-Luc Elhoueiss, avocat attitré d’AMG depuis 2013 avec un cumul d’honoraires de plus de 7 millions d’euros avait répondu à l’appel de Rodriguez pour la rédaction des documents contractuels liés au remboursement par AMG du prêt de San Antonio Securities. « Outre de multiples situations pouvant relever de potentiels conflits d’intérêts, il est également à noter que Me Elhoueiss semble avoir été partie à de nombreuses opérations problématiques au sein de CMT et/ou de ses affiliées ainsi que de leur contractualisation, que le plaignant a récemment découvert suite à des investigations », ajoute la plainte. L’avocat qui agit à Paris ou à travers HBC à Londres est aussi co-actionnaire d’Akkadian. En cheville avec Rodriguez, Elhoueiss ambitionnait, via cette structure de racheter le prêt alors qu’il agissait aux intérêts du même Rodriguez en vue de provoquer le défaut dans le remboursement du prêt d’AMG et la conversion des actions nanties.
Ce scénario n’a cependant pas abouti. Pour racheter la créance du prêt de San Antonio Securities, AMG s’est tourné en 2022 vers le fonds Strategos Ventures Limited (SVL) qui compte de riches actionnaires américains. Résultat, la restructuration engagée a fortement réduit le recours par AMG aux services d’Elhoueiss et son cabinet londonien HBC.
Selon le transcript de conversations téléphoniques versé à la plainte que Le Desk a pu consulter, Elhoueiss, a encore tout récemment exercé un intense lobbying auprès d’un actionnaire de référence de SVL pour qu’il se retourne contre Luc Gérard, avec pour promesse, à travers un montage complexe soutenu par des fonds en embuscade, de s’attabler à l’actionnariat de la CMT en vis-à-vis de la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraites (CIMR) et détentrice d’environ 15 % du capital.
Dans un échange authentifié par huissier, Elhoueiss prétend même travailler en bonne intelligence avec des contacts haut placés au Maroc : « Et la solution, je leur ai donnée. Ils m'ont dit, vous avez carte blanche et carte blanche, c'est celle que j'ai prise avec vous, c'est de composer la solution que je vous donne, c'est-à-dire vous achetez le montant (...). J'ai l'investisseur mais aucun investisseur n'achètera les units de Osead, parce que c'est deux étages au-dessus. Il y a Glencore entre les deux (...) ». Il évoque aussi Mokaddem en des termes peu amènes : « Mokaddem est un débile profond qui comprend rien à tout ce que je lui raconte, je lui explique depuis un mois… »
A ce même actionnaire de SVL qui s’interrogeait en ces termes sur les méthodes de Rodriguez, déjà sous le coup de poursuites pénales pour escroquerie en Colombie et faisant face à plusieurs accusations judiciaires à l'international : « Et maintenant qu'est-ce qu'il va faire ? Il va envoyer un Sicario ou il va menacer mes enfants de les kidnapper ? C'est quoi l'étape suivante, je me demande ? », Mohamed Mokkadem rétropédalait le 3 juin en avouant les intentions de Rodriguez, Elhoueiss, Lazaar et Ourriban : « ils sont capables de tout, ils ont une seule chose en-tête prendre le contrôle de la société à tout prix (…) ils veulent avoir ça gratuitement, c'est ça le problème ».
Des articles « à charge et commandités »
Plus grave encore, le chantage s’exerce par le réseau aussi par voie de presse, constate la plainte déposée à Paris : « Fin 2023, début 2024 plusieurs articles paraissent dans Africa Intelligence mettant en cause le plaignant et le management du groupe ». Selon nos informations, le média français du groupe Indigo avait l’intention de publier un nouvel article jugé « à charge et commandité » avant qu’il ne soit destinataire de plusieurs mises en demeure de la part de la défense du plaignant affirmant « détenir les preuves de (sa) partialité ».
Le projet d’article d’Africa Intelligence se fonderait sur une plainte « contre personne non dénommée » déposée à Paris le 30 mai par Michel Juilland, actionnaire minoritaire d'AMG porte les mêmes accusations que celles avancées par Juan Carlos Rodriguez et consorts dans leur tentative de faire plier Luc Gérard. Des échanges consignés par huissier dont Le Desk a pris connaissance démontrent que l’avocat Jean-Luc Elhoueiss, tout comme Mohamed Mokaddem, était, contrairement à Luc Gérard non seulement informé de la plainte de Juilland, mais aussi de la parution imminente de l’article qu’il a utilisé comme moyen de pression : « Tous ceux qui ont participé à cette vaste escroquerie au sein d’AMG seront publics en France, en Suisse, au Maroc et aux USA ! ! ! » a-t-il écrit à un actionnaire de référence d’AMG pour le forcer à quitter le board et se désolidariser de Luc Gérard. Et d’ajouter « C’est la partie que personne ne contrôle, la presse. Avançons sur une solution constructive et on publiera le moment venu les articles rectificatifs si besoin. Et si vous ne voulez pas de solution, ne perdons plus de temps, ni le vôtre, ni le mien ».
Il reviendra à la charge sur le même ton : « Voilà, vous savez et demandez à Luc Gérard si Juilland est ingérable ou pas et vous aurez une réponse rapide. L’enjeu n’est pas de savoir qui a raison ou tort, mais d’éviter qu’une quelconque autorité judiciaire à Paris, Rabat ou Genève ne mette le nez dans des montages complexes en pensant – à tort- qu’il y a du blanchiment ou je ne sais quoi. Si la plainte est enrôlée, je suis sûr que Juilland publiera ».
De nationalité suisse, Míchel Juilland est le fondateur initial avec sa famille d’Auplata, ce qui est connu aujourd’hui comme AMG Péru, entreprise dont une majorité des actions lui a été achetée par le fonds Tribeca Natural Resources Fund (TNRF) en 2011. En février 2019, elle a servi pour réaliser le Reverse Take Over ayant permis l’acquisition inversée d’AMG. Juilland est ainsi devenu actionnaire d’AMG. Au vu des besoins de financement opérationnels du groupe au fil des années, Michel Juilland, comme l’ensemble des actionnaires, a vu sa participation se diluer. Selon nos recherches, celui-ci, déjà condamné en France pour de graves infractions, a initié divers contentieux contre AMG , le fonds TNRF et les administrateurs d’AMG dans un historique de litiges perdus pour lesquels il ne s’est jamais acquitté des sanctions.
« Je ne négocie pas avec des délinquants »
L’usage des obligations convertibles par actions (OCA), ressassé comme un des principaux reproches fait à Gérard par Rodriguez, son porte-voix Elhoueiss, Juilland et leurs acolytes se révèle un prétexte erroné pour décrire une supposée mauvaise gestion de l’entreprise : ces OCA avaient en fait été émises en 2016 et 2017 avant la prise de fonction de Luc Gérard, sous la direction de Jean François Fourt, l’ancien président d’Auplata, avec le fonds Braknor Fund et ABO comme souscripteurs et avec Jean-Luc Elhoueiss comme conseil. « Les éventuels conflits d'intérêts au sein de la galaxie AMG devraient logiquement être à ce titre réévaluée à la lumière de cette chronologie », estime-t-on dans l’entourage de Luc Gérard qui fait valoir que l'Autorité des marchés financiers (AMF) a lancé une enquête pénale visant les gestionnaires de l'époque, ce qui indique que des pratiques douteuses étaient en cours avant son arrivée.
Sur la question des virements émis à l’international dont Elhoueiss se targue d’en avoir obtenus les mouvements de manière illicite auprès de la banque JP Morgan, citant même les conclusions d’une enquête confidentielle diligentée par l’Office des Changes qui aurait mandaté dans ce sens l’agence d’investigation Kroll, la réalité est que Strategos Fund n’appartient pas à Luc Gérard qui n’en est qu’administrateur. Le paiement a été fait en faveur de Strategos Fund par Strategos Group et non l'inverse. Contrairement à ce qui est dit, les paiements n'ont pas été effectués par Touissit International Corp (TIC), filiale à 100 % de CMT, dont les comptes ont été dument et récemment audités, comme a pu le vérifier Le Desk. Ni CMT, ni AMG ne sont en fait concernées par ces opérations.
Quant au fonds de capital privé Tribeca Natural Resources Private Capital Fund (TNRF), selon une attestation d’Alianza Fiduciaria S.A., agissant en tant que représentant légal, celui-ci est une entité très majoritairement détenu par le fonds de pension colombien Porvenir qui y a misé plus de 40 millions de dollars et dont Luc Gérard n’est que le gestionnaire et non le bénéficiaire ultime.
« Depuis 2019, AMG a vu son chiffre d'affaires passer de 22 à 98 millions de dollars, avec un passage de pertes à bénéfices tout en réduisant l'endettement », fait remarquer un administrateur du groupe qui ajoute que « tous ses comptes, comme ceux de CMT ont été audités par Deloitte, Grant Thornton, Elyx… ». Pour lui, ceux qui s’attaquent à ses dirigeants actuels « veulent noyer la compagnie par une guérilla judiciaire, des menaces et des campagnes de diffamation dans la presse pour faire dévisser le cours en bourse, tout ça pour faire valoir de nouvelles offres de reprise au plus bas du marché ».
« Rodriguez était déjà en train de préparer une fête en 2022 à Marrakech pour célébrer qu’il prenait le contrôle de la CMT avec pour seule mise les 25 millions d'euros qu'il avait consentis, tout est documenté. C'est lui qui qui a tout fait. S'il est derrière tout ça, c'est un grand délinquant et honnêtement, je ne négocie pas avec des délinquants », tranche-t-il.
Des poursuites pénales vont être aussi déposées auprès des autorités fédérales américaine et suisse sur des « faits de délits d’initiés à l’encontre de Juan Carlos Rodriguez Charry, Jean-Luc Elhoueiss et de toutes les personnes impliquées », apprend Le Desk.
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