« Laâyoune 308 kilomètres. Nouadhibou 1 188 kilomètres. Dakar 2 123 kilomètres » : ce panneau routier, planté à quelques encablures de la sortie sud de la ville de Tan Tan, vous rappelle où vous vous trouvez. Un pied dans le désert, la tête dans les étoiles, vous entrez dans le dernier tiers sud du Maroc, en direction du mythique Sahara et, par-delà, de ses illustres cités. Une vaste étendue dont l’immensité est devenue une bénédiction, une bouffée d’oxygène.
Pour tout citadin, c’est une ode à la liberté, un appel à s’extirper d’un quotidien dense, étriqué et bavard, pour se plonger dans la poésie du Grand Sud, région où le silence est roi et où la chaleur n’est pas seulement les fait des rayons de soleil qui la baignent.
Outre des paysages naturels qui semblent façonnés par des mains d’artistes touchés par la grâce, vous voilà immergé dans un monde de confluence, où les cultures du désert, pudiques au premier abord, dévoilent peu à peu une rare générosité. De Guelmim, cité rempart, et ses rafraîchissantes oasis satellites, jusqu’à la prodigieuse lagune de Naïla, joyau du parc national de Khenifiss, embarquez pour une navigation enchantée entre les vagues de l’Atlantique et la mer des dunes.

Autrefois, entreprendre une excursion dans cette région confinait presque à l’impossible. Les récits épiques de ceux qui s’y aventuraient, à des fins de commerce ou simplement de loisirs, meublaient davantage les contes et les légendes. Aujourd’hui, l’accès aux mystères et splendeurs de ce territoire unique est plus aisé que jamais. Des aéroports, comme celui de Guelmim, authentique prouesse architecturale, ou encore les centaines de kilomètres de route express ont effacé la contrainte de ce qui était un déplacement pénible. Ce n’est donc plus qu’un saut de puce en avion ou quelques heures de voiture qui vous séparent d’une terre qui a opéré, discrètement mais sûrement, sa mue.

Depuis Agadir, dernière grande ville au départ de l’aventure, suivez le cours de la route nationale 1 (N1) qui descend en direction de Tiznit. Depuis cette cité ceinturée par une muraille datant du XIXe siècle, devenue aujourd’hui le chef-lieu de la province éponyme, deux choix s’offrent au voyageur. Celui de rejoindre la côte atlantique, distante d’une petite vingtaine de kilomètres, ou de poursuivre sur la N1 et sillonner les reliefs vallonnés de l’Anti-Atlas vers la ville de Guelmim.

Si vous êtes friand d’embruns marins, virez tout à l’ouest via la route régionale 104 (R104), qui vous emmènera sur l’un des plus splendides littoraux du royaume. Depuis le pittoresque village de pêcheurs de Gourizim et ses barques vert émeraude lézardant sur le sable de la plage, basculez à nouveau vers le sud. À peine quelques kilomètres encore et vous pouvez vous laisser littéralement emporter dans les airs. Car là s’étend la plage d’Aglou Beach, le site de parapente le plus couru du Royaume, offrant aux amateurs de sensations fortes des conditions de vol idéales. Falaises hautes, beau temps quasi permanent et vents porteurs s’y réunissent pour vous faire vivre une expérience décoiffante.
Le vent en poupe
Pour ceux qui préfèrent garder les pieds sur terre, le littoral de la région promet un séjour inoubliable. Car si vous maintenez le cap vers le sud, en longeant l’Atlantique, rugissant au pied des falaises rocheuses et languissant au bout de plages de sable fin, il ne vous faudra qu’une demi-heure pour rejoindre Mirleft.
Dans la station balnéaire emblématique de la région Guelmim-Oued Noun, jadis bastion militaire français durant le Protectorat, l’aménagement est presque entièrement dédié à l’accueil des vacanciers. Les infrastructures hôtelières pour toutes les bourses et les accès aux plages, aussi nombreuses que vastes, en font une destination qui transcende les saisons. Et pour cause, le site jouit d’un microclimat singulier, né de la jonction des reliefs de l’Anti-Atlas et de l’océan Atlantique, qui la drape d’une fraîcheur rare dans une région où le mercure a pour usage de s’affoler. Pour autant, les plages de Mirleft n’ont pas le monopole du charme. N’hésitez pas à arpenter l’arrière-pays, riche en arganeraies typiques, en forêts de cactus et en palmeraies verdoyantes, auxquelles s’ajoute une population des plus accueillantes.
Si vous restez sur la R104, adossée au littoral, vous vous dirigerez alors vers un haut lieu du patrimoine naturel mondial. À 50 kilomètres au nord de Sidi Ifni, prochaine étape du road trip côtier, assurez-vous de contempler de près la spectaculaire arche de Legzira, sur la plage du même nom, merveille naturelle façonnée par l’érosion des vents et les assauts répétés des vagues. Dans cette terre qui a marié sable et roche, le lieu incarne la fusion de deux éléments qui font son identité. Devenue une icône des réseaux sociaux et des brochures touristiques, l’arche, esseulée depuis l’effondrement de sa jumelle en 2016, marque d’un cachet unique cette plage déjà séduisante par son étendue (presque deux kilomètres) et par la qualité de son eau, parmi les plus pures du littoral. Mais si vous préférez des plages plus confidentielles, les alentours de Sidi Ifni n’en manquent pas. On en citera celles d’Imi Nterka, de Sidi Mohammed Ben Abdallah, d’Aftayssa ou encore de Sidi El Ouafi, qui ont de quoi rallier les suffrages des vacanciers du Maroc et d’ailleurs.
Quant à la ville de Sidi Ifni, aujourd’hui halte balnéaire moderne, elle porte l’héritage d’une histoire toute singulière dans celle du royaume. Nichée au pied des derniers contreforts de l’Anti-Atlas, elle est devenue le symbole d’une décolonisation en plusieurs étapes.

L’influence ibérique s’y imprime dès la fin du XVe siècle, avec sa première occupation par l’Espagne en 1496, qui la baptisa Santa Cruz de la Mar. Ce port, alors stratégique, est libéré par les Wattassides en 1524, puis repris par l’armée espagnole à l’issue de la guerre de Tétouan en 1860. Pendant plus d’un siècle, Madrid s’accroche à cette cité, alors que Maroc, à la veille de son indépendance, en réclame la rétrocession. En août 1957, l’Armée de libération nationale (ALN) tente même une audacieuse opération militaire, mais le raid, mené principalement par les tribus locales d’Aït Baâmrane, est un échec. La question fut ensuite portée à l’ONU, pendant que Madrid joue la montre. La pression internationale sur le régime franquiste oblige enfin l’Espagne à négocier, et un accord est officialisé par le Traité de Fès, signé le 4 janvier 1969, qui prévoit la fin de la souveraineté espagnole sur Sidi Ifni.

Des traces de cet héritage subsistent encore dans l’architecture de la ville, avec un mélange de styles mauresque et art déco, à l’image du bâtiment de l’ancienne amirauté, de la Cathédrale, transformée en tribunal local, ou encore du Palais du gouverneur.
Après ce crochet rafraîchissant en bord de mer, il est temps d’explorer l’intérieur des terres. Direction Guelmim, véritable vitrine de l’ambition de toute une région. Comme un symbole de cet essor concret, le visiteur peut y accéder par la RN 1, devenue depuis son achèvement en 2025 la voie express Tiznit-Dakhla.

Cette mégastructure routière, qui s’allonge sur plus de 1 000 kilomètres d’une chaussée au revêtement impeccable, est la pierre angulaire de l’ouverture de la région Guelmim-Oued Noun, au cœur du nouveau modèle de développement des provinces du Sud, lancé par le roi Mohammed VI en 2015.
Terre d’avenir
Sur cette double bande d’asphalte qui traverse le paysage rocailleux, Guelmim s’annonce par une porte à deux arches, référence esthétique aux ksour typiques de la région. De larges avenues ponctuées de carrefours répartissent la ville en plusieurs secteurs. À gauche de la première grande giratoire, une chaussée flambant neuf monte en serpentant autour d’un relief montagneux qui semble veiller sur la cité. À droite, une vaste voie s’élance vers une plaine désertique, indiquant la direction de l’aéroport international de Guelmim.
La nouvelle aérogare, immense monolithe métallique posé sur ce paysage lunaire, est sortie de terre en 2019. Délesté de son passé de fort militaire, cet ovni architectural est pensé pour s’intégrer à son milieu naturel. La structure des panneaux métalliques, dont la fonction est de protéger l’édifice des assauts des rayons du soleil, s’agence dans une mosaïque de nuances d’ocre et de motifs rappelant l’artisanat local. Autre démonstration éclatante de l’avancée de la région sur le plan des infrastructures, l’aéroport international de Guelmim, fort d’une capacité de 700 000 passagers par an, facilitera grandement l’accueil des touristes, dont le nombre est appelé à croître au fil des années.

Après ce bref aperçu du futur, il est temps de plonger dans les traditions et la culture millénaire des populations locales. À Guelmim, cité de plus de 125 000 habitants, le centre-ville grouille d’une intense activité dès que les conditions météorologiques se font clémentes. Ainsi, en fin de journée, les familles investissent l’espace public et les plus jeunes prennent joyeusement possession des vastes esplanades constellées de squares étonnement verdis.

La tradition vestimentaire veut que la plupart des hommes s’habillent d’une « deraâ », tandis que les femmes s’enveloppent d’une « melhfa ». Ces deux tenues étendards de la culture hassanie sont également adaptées pour modérer les effets de la chaleur et contrer les caprices des sables parfois virevoltants.
Les bâtiments administratifs s’égrènent tout au long de l’avenue principale, et c’est devant l’imposante Wilaya que nous attend Mokhtar Zouiki, guide émérite et figure locale. Volubile à la mesure de sa passion pour sa région natale, il insiste pour nous accueillir dans sa demeure et sacrifier à l’incontournable rituel du thé, encore plus sacralisé dans le Grand Sud qu’ailleurs au Maroc.

Installé au centre du grand patio, qui éclaire les lieux tout en faisant office de climatiseur naturel, Ssi Mokhtar est heureux de parler de sa ville, de sa culture « riche d’une mixité plusieurs fois centenaire » et de son avenir qu’il voit « radieux et plein d’espoir ».
Il nous apprend d’abord que le nom de Guelmim vient de l’association des termes « Igala » et « ilmim », traduisibles par « suspendu » et « sucré », en référence aux « nombreux vergers qui poussent ici ». Une autre version voudrait que le patronyme découle plutôt d’« agoulmim », mot amazigh qui signifie étang. Dans les deux cas, le renvoi à l’abondance en eau ou en fruits interroge, vu l’aridité de la contrée. « Même en temps de faibles précipitations, la cité est bénite par la présence d’une nappe phréatique peu profonde, capable de stocker de l’eau souterraine grâce à la couche de roche dense située en dessous », répond doctement notre interlocuteur. Cette manne à laquelle la ville doit jusqu’à son existence est aussi le fait d’un réseau hydrique naturel alimenté par l’Oued Noun, dernier fleuve permanent de tout le Sahara marocain.

L’origine de son appellation serait à chercher dans la lointaine histoire de la région. L’ethnologue française Odette du Puigaudeau, grande exploratrice du Sahara durant les années 1930, avait fait état d’une toponymie liée à une mystérieuse reine chrétienne nommée Nouna. Personnage réel, mais autour duquel diverses légendes se sont forgées dans le flou des sources historiques, cette souveraine aurait, au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, franchi la bande d’océan qui séparait son fief aux îles Canaries pour régner également sur la région du fleuve marocain qui porte aujourd’hui encore son nom.
L’oued, porteur de l’histoire, est aussi son généreux bienfaiteur, une source de vie qui l’irrigue le long des 60 kilomètres qui vont de sa source, dans les versants sud de l’Anti-Atlas, jusqu’à son rendez-vous avec l’Atlantique, à l’embouchure de Foum Assaka.
En plus d’abreuver les terres, condamnées sans lui à la stérilité, Oued Noun s’accoutre aussi d’un costume de guérisseur. « À une douzaine de kilomètres de Guelmim, le village d’Abaynou abrite une source thermale chaude connue depuis des siècles et réputée pour guérir diverses maladies. Elle est devenue un point de pèlerinage pour les tribus à des centaines de kilomètres à la ronde », explique Mokhtar Zouiki. Aujourd’hui l’objet d’importants travaux de mise à niveau, la source d’Abaynou devrait s’équiper dans un avenir proche de nouvelles infrastructures d’accueil, aptes à la placer parmi les principales stations thermales du Royaume.

En parallèle, d’autres efforts d’investissement commencent à porter leurs fruits. C’est le cas du barrage Fask, dont l’essentiel des travaux est achevé depuis quelques mois et qui fait déjà « la fierté de toute la région », s’enorgueillit Ssi Mokhtar. Établi à proximité de la commune du même nom, à quelque vingt kilomètres à l’est de Guelmim, ce colossal ouvrage hydrique revendique une capacité de près de 80 millions de mètres cubes. En plus d’être une aubaine pour plus de 10 hectares de terres agricoles et de participer à la restauration de la nappe phréatique locale, le barrage Fask est en train de devenir une attraction touristique grâce à son lac artificiel à même de proposer des activités aquatiques inédites dans les régions du Sud.

L’effervescence que suscite la mise en œuvre du nouveau modèle de développement des provinces sahariennes donne à la population de la région toutes les raisons de nourrir un réel optimisme pour leur avenir. Mokhtar Zouiki insiste sur cette réalité, qu’il qualifie de « moment charnière dans un processus de développement en accéléré ». « Nous sommes prêts à reprendre une place importante dans l’économie nationale. Pas uniquement dans le secteur du tourisme, mais aussi dans la production d’énergie verte, grâce à un ensoleillement permanent », détaille-t-il, rappelant qu’un vaste plan est déjà déployé dans ce sens.
Grâce à sa localisation sur la façade atlantique, exposée aux flux des vents du Nord-Ouest, et aussi à son taux d’ensoleillement, parmi les plus élevés et réguliers de la planète, l’environnement est idéal pour la génération d’énergies renouvelables, qu’elle soit de source éolienne ou solaire, et, à terme, pour la production d’hydrogène vert. Avec une multitude de projets en cours, la région de Guelmim se positionne ainsi comme une future capitale de l’énergie propre du futur, autant pour le Maroc que pour des millions de foyers européens.
À l’ombre des oasis
Le souffle continu du progrès et de la modernité n’entrave en rien la préservation des cultures et traditions authentiques, que le visiteur pourra découvrir et côtoyer dans les oasis en périphérie de la ville. Pour ce faire, rendez-vous dans l’oasis de Tighmert, l’une des plus emblématiques de la région, située à quelques dizaines de minutes au sud-est de Guelmim. Visible à bonne distance à partir de la route qui y mène, cet écrin de verdure posé au milieu du désert vous happe immédiatement par sa beauté hors du temps et sa bienveillante fraîcheur.

Une piste en terre parfaitement entretenue vous permet de vous y engouffrer en voiture, tandis que plusieurs panneaux vous orientent vers des maisons d’hôtes qui proposent aux visiteurs marocains et étrangers un séjour d’exception au cœur d’une oasis saharienne typique.
Une fois délesté de votre véhicule, n’hésitez pas à emprunter l’un des sentiers qui longent les parcelles cultivées, tapissées de vigoureux palmiers dattiers, et qui suivent pour la plupart le cours des « seguias », ces petits canaux traditionnels qui tissent leur toile dans l’oasis. Les murmures de l’eau sont ponctués par les « salamou alaykoum » spontanés des habitants, sincèrement heureux de vous recevoir dans leur havre de paix. Certains vous conseilleront sans doute de pousser la promenade jusqu’à la kasbah du village, « où vous serez parfaitement accueilli », promet ce jeune homme qui s’affaire autour d’un palmier, serpe à la main.
Au détour de l’un des sentiers labyrinthiques de l’oasis, un espace plus vaste s’ouvre sur un imposant bâtiment en pisé, qu’une large tour carrée élève au-dessus des jardins. À son pied est placardé un écriteau où l’on peut lire « Kasbah Musée Caravansérail ». L’unique porte donne plus d’informations, dont le nom et le numéro de téléphone du maître des lieux. Aussitôt, la voix de Lahbib Belini résonne dans le hall d’entrée d’un jovial « marhba, marhba ! » (Bienvenue, bienvenue !)

Un grand homme souriant, drapé dans l’habit traditionnel touareg et coiffé d’un chèche bleu azur, nous presse d’entrer. Le ton est donné dès le premier couloir à l’ombre des murs de terre et de paille, où des objets insolites, entre ossements d’animaux, poteries anciennes, photos en noir et blanc et miroirs d’un autre âge, garnissent des étagères en bois. Pas le temps d’en savoir plus sur cette étrange caverne d’Ali Baba : Ssi Lahbib nous conduit déjà vers la cour centrale de la kasbah, où il a installé une tente traditionnelle, abri salutaire contre les assauts du soleil dont l’intérieur se décore d’un patchwork de tapis berbères. Sans surprise, une théière fumante nous attend sur un large plateau rond en métal qui fait office de table basse.

Fondateur de ce musée atypique, Lahbib Belini, issu d’une famille nomade de la région, nous conte l’histoire de cette kasbah vieille d’au moins trois siècles. « Habitée jadis par des caïds, elle était surtout le carrefour des caravanes commerciales qui séjournaient ici plusieurs mois lors du "moussem”. Certaines venaient de très loin, par-delà la Mauritanie », révèle-t-il.

C’est pour préserver cette mémoire si précieuse que ce passionné de patrimoine s’est érigé en conservateur de musée : « Je collectionne des objets du désert depuis mon enfance, et comme je travaille depuis longtemps dans le domaine du tourisme, j’ai décidé d’allier ces deux passions dans un seul et même endroit ». Avec d’autres acteurs associatifs impliqués dans la promotion touristique du territoire autour de Guelmim, Ssi Lahbib a élaboré pour les visiteurs un circuit « qui va au-delà de celui des oasis ». « Il y a aujourd’hui tellement d’activités à proposer que nous pouvons nous imposer comme une destination unique », argumente-t-il.

Nous poursuivons notre visite enchantée dans le musée caravansérail de Tighmert, que composent plusieurs salles plus insolites les unes que les autres. Face à une gigantesque vertèbre de baleine, notre hôte et guide explique que « l’animal a certainement dû s’échouer sur l’un des rivages du Sahara », mais que beaucoup d’indices tendent à confirmer que « de vastes étendues d’eau faisaient le paysage il y a des milliers d’années ». « Nous sommes aujourd’hui dans un désert, mais les traces de vie subaquatiques prouvent bien que les scientifiques ont raison », ajoute-t-il. Jamais avide d’explications, intarissable en anecdotes, Ssi Lahbib incarne fidèlement l’esprit des oasis du Grand Sud, héritières d’une culture du partage où le temps n’est dicté que par le rythme naturel des journées.

Au moment des adieux, notre hôte y va quand même de sa recommandation, nous conseillant de visiter un autre lieu emblématique de la région : « Ici, c’est le carrefour des chameliers. Vous en verrez la preuve à Amhirich ».
Des hommes et des bêtes
Amhirich se trouve à quelques kilomètres au sud de Guelmim, toujours sur la voie express Tiznit-Dakhla, que nous empruntons pour rejoindre Tan-Tan. Ne vous étonnez pas de voir la bourgade presque déserte en semaine, puisqu’elle ne vit réellement que le samedi, jour de marché. Et pour cause, Souk Amhirich n’est rien de moins que le plus grand marché d’Afrique pour le commerce de dromadaires, fréquenté par une nuée d’éleveurs, venus parfois du Mali ou même du Tchad.

Perpétuant une tradition plusieurs fois centenaire, ce véritable patrimoine vivant s’est ouvert depuis quelques décennies à d’autres marchandises (épices, fruit, légumes, textiles…) et au commerce d’autres types de bétail (chèvres, moutons, bovins…). Et même si vous n’êtes pas tenté par l’acquisition d’un camélidé, l’effervescence et l’identité typique de ce souk en font l’un des sites à visiter dans la région de Guelmim.
Plus au sud, la RN 1 continue de tracer son sillon, jonglant entre plaines rocailleuses et contreforts de l’Anti-Atlas. Et après moins de deux heures de trajet, l’apparition de Tan-Tan vient rappeler que dans les provinces sahariennes marocaines, des villes peuvent naître partout.

La cité, promue chef-lieu de la province éponyme, tire son originalité de son nom insolite. Il s’agirait, dit-on, de l’onomatopée du tintement d’un seau métallique au fond d’un puits. Mais comme toutes les zones habitées dans cette portion du Sahara, il est évidemment question de points d’eau, mais aussi de dromadaire, indispensable compagnon des hommes du désert. C’est justement le symbole choisi par Tan-Tan, érigé en statue à l’entrée de la ville, où deux grands dromadaires blancs se font face de chaque côté d’un rond-point. L’animal totem incarne aussi un autre patrimoine culturel de la cité, et non des moindres, puisque qu’un rendez-vous annuel lui ai en partie dédié. Il s’agit du légendaire Moussem de Tan-Tan, que l’UNESCO a inscrit, en 2008, sur sa prestigieuse liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ce festival pas comme les autres a pris sa forme contemporaine en 1963, lorsque les autorités ont institutionnalisé un gigantesque et traditionnel rassemblement de tribus du Sahara. Il a repris du service d’une manière régulière en 2004 et attire désormais les curieux et les amoureux de la culture hassanie.
Sur son site, l’UNESCO retrace les origines et sa raison d’être de ce moussem : « S’inscrivant dans le calendrier agropastoral des nomades, il était l’occasion de se retrouver, d’acheter, de vendre et d’échanger des denrées et autres produits, d’organiser des concours d’élevage de dromadaires et de chevaux, de célébrer des mariages et de consulter les herboristes. Le Moussem était également le prétexte à diverses expressions culturelles : musique, chants populaires, jeux, joutes de poésie et autres traditions orales Hassani ».
Outre ses festivités spectaculaires, le Moussem de Tan-Tan est aussi un formidable instrument de mémoire. À l’heure où de nombreuses tribus se sédentarisent, elles se souviennent à cette occasion du mode de vie que leurs ancêtres ont mené des siècles durant. Et même hors de la période du festival, vous pouvez toutefois en palper l’esprit en visitant le camélodrome Cheikh Zayed Ben Soltane Al-Nahyane et sa piste de quatre kilomètres, qui en fait, depuis son inauguration en 2017, le plus grand en Afrique.
Quant à la ville, elle séduit par son charme authentiquement saharien, avec ses bâtiments étirés en largeur pour accueillir le maximum d’aération tout en limitant les effets des souffles de sable. Pour autant, la fraîcheur n’est pas à chercher bien loin. Il suffit de suivre le cours de la RN 1 qui, en quelques minutes à peine, mène à… Tan-Tan, ou plutôt sa version balnéaire. Également appelé El Ouatia, le port de la ville, distant d’une vingtaine de kilomètres, est un prolongement inédit d’une cité « pieds dans le sable » jusqu’à l’océan. Construite quasiment ex nihilo entre 1977 et 1982, cette localité (aussi nommée Tan-Tan plage) est d’abord pensée comme un débouché maritime, important levier de développement économique de la province et pôle de pêche majeur. Pour autant, l’impressionnant terre-plein construit comme socle du port de pêche a eu le bon goût de cohabiter avec le versant récréatif d’El Ouatia. Car un tel site, qui abrite une vaste plage parfaitement aménagée, ne peut laisser insensibles les vacanciers.
L’Atlantique sauvage
Tan-Tan Plage est ainsi devenue un haut lieu de villégiature, autant qu’une étape prisée des voyageurs se dirigeant plus loin vers le Sud profond. C’est le cas de Gérard et Brigitte, un couple de retraités français rencontré dans un coquet café de la corniche. Attablé autour d’un thé à la menthe, le duo, en route vers la Mauritanie, dit connaître parfaitement les lieux. « C’est la cinquième fois que faisons ce voyage, et à chaque fois, nous nous sommes arrêtés à Tan-Tan Plage. Ici, nous faisons le plein de provisions et on s’accorde une bonne nuit à l’hôtel. Ça change du camping-car », lance Gérard avec un grand sourire.

Maîtrisant la géographie de la région, les deux touristes ne tarissent pas d’éloges sur un site particulier, situé un peu plus au nord d’El Ouatia. « Mon Dieu ! La Plage Blanche est la plus poétique qu’il m’ait été donné de voir de toute ma vie », s’exclame Brigitte, visiblement conquise. Et il est bien difficile de la contredire, tant le lieu auquel elle fait référence marque ses visiteurs par sa beauté.

Distante d’une cinquantaine de kilomètres vers le nord, et étalée elle-même sur autant de kilomètres — ce qui en fait la plus grande plage du Maroc —, la Plage Blanche a été surnommée ainsi par les marins espagnols qui la longeaient durant les siècles passés. Car depuis le large, les reflets des rayons du soleil, se mélangeant à l’écume, donnaient du littoral saharien l’illusion d’une blancheur immaculée.

Et à y voir de plus près, cette plage n’a pas cette apparence d’uniformité que lui confère la continuité de sable fin au contact à l’océan. Côté terre, le paysage est d’une réelle diversité, entre dunes de sable vallonnées, groupements de cactus sauvages et dédales rocheux qui donnent du relief à cette plage dessinée par la nature comme un infini terrain de jeux. Les activités ludiques y sont d’ailleurs nombreuses, que vous soyez amoureux de chevauchées endiablées au fil de l’eau ou amateur de sensations fortes au volant de véhicules tout terrain.
Après cette parenthèse enchantée, il est temps de replonger vers le sud, toujours à travers la route nationale 1, qui longe Tan-Tan Plage pour ne plus s’éloigner de la côte atlantique. En route, vous apercevrez quelques voitures perchées, à intervalles réguliers, au bord des falaises. Leurs occupants ne sont pas uniquement venus pour profiter de la vue, immanquablement exceptionnelle. En s’approchant de l’une d’elles, on ne peut que remarquer les longues tiges qui dépassent des vitres : oui, il s’agit de pêcheurs à la ligne. Aziz, la cinquantaine, est installé là, immobile, une canne entre les jambes. Il nous explique qu’il vient régulièrement dans cette zone, « probablement la plus poissonneuse de la région, et peut être même du Maroc ». Habitant d’Agadir, ce passionné de pêche n’hésite pas à rouler des centaines de kilomètres pour venir « méditer, mais aussi pour pêcher bien sûr ». Parmi ses prises de choix, Aziz cite pêle-mêle « la courbine, le bar moucheté, le mulet et même de la dorade qui, avec un peu de chance, s’approche parfois du littoral ».

Nous abandonnons Aziz à son activité sportive et contemplative, pour reprendre la voie express qui nous avertit, par panneaux interposés, d’un risque peu commun : « Attention ensablement ». Car oui, vous vous apprêtez à goûter au désert, le vrai, celui des dunes de sable à l’infini. L’immersion concrète commence à l’embouchure de l’Oued Chbika, fascinant décor d’un lit de fleuve bordé par les dunes gracieuses qui accompagnent tout en poésie le cours d’eau vers sa destination finale, l’immensité de l’océan. C’est un avant-goût délicat de notre dernière étape, le parc naturel de Khenifiss.

On s’autorise toutefois une escale dans la charmante bourgade d’Akhfennir, que devance un intriguant panneau marqué : « Trou du diable ». À l’écart de la route, sur la falaise qui se penche sur la mer, une clôture circulaire, faite de cordages et de poteaux bétonnés, semble protéger quelque chose. En réalité, c’est le visiteur qu’il est question de protéger d’un gouffre large d’une quinzaine de mètres et profond d’une trentaine, un immense puits qui donne à voir la fureur des vagues se fracassant en contrebas.

Également appelée « A’jb Allah » (Merveille de Dieu) par les habitants, qui lui ont accolé des origines surnaturelles, cette cavité est née de l’implacable travail de sape des vagues de l’Atlantique, capables de trancher dans la roche pour offrir un spectacle hypnotique.

Quand le désert épouse la mer
Une fois dans la petite ville, la fumée odorante qui émane des gargotes et restaurants en bord de route signale que vous êtes au cœur de la gastronomie de la mer. Les grillades variées de poisson frais redonnent suffisamment de vigueur pour poursuive la route, toujours vers le sud. Une dizaine de minutes encore, et vous voilà à vous demander si vous n’êtes pas victime d’hallucinations, plongé dans les récits d’explorateurs en proie à des mirages trompeurs. À votre gauche, une masse rougeâtre s’élève dans le ciel, tranchant avec le plat de l’océan bleu sur votre droite. Vous êtes en train de longer l’envoûtante Dune Rouge, véritable montagne de sable façonnée par le vent, comme une créature sortie d’un monde peuplé de géants. Envahi par un sentiment d’humilité, vous franchissez la frontière de l’irréel où, désormais, désert et mer se confondent dans un même espace, unique au monde.
Bienvenue dans le parc naturel de Khenifiss, écrin naturel protégé de plus de 1 800 kilomètres carrés, et son joyau, la lagune de Naïla. La route secondaire à votre droite est la porte d’entrée d’un site époustouflant, connu des initiés et des oiseaux migrateurs. Au bord de la falaise, vous contemplez alors un spectacle mirifique : un bras de mer, au teint bleu turquoise, s’engouffre dans la terre pour dessiner une lagune à nulle autre pareille. Magique en soi, le paysage devient féérique à la vue de la succession de dunes qui viennent lécher le bord de l’océan, formant un triptyque que vous ne verrez jamais ailleurs.

« Oui, c’est unique au monde, le seul cas sur la planète où se conjuguent désert, lagune et mer, dans un espace protégé », confirme Karim Anegay, auteur du beau-livre « Khenifiss de Tarfaya, la légende du petit scarabée » (éd. La Croisée des Chemins). Ce diplômé en écologie et zoologie, spécialiste en gestion d’écosystèmes fragiles et ancien assistant technique à la création du Parc national de Khenifiss, sait de quoi il parle. Comme d’autres, il est tombé en pâmoison devant cette merveille de la nature, dont il nous explique d’abord le sens toponymique. « Khenifiss, en dialecte marocain, qu’il soit hassani ou du Nord, est une contraction de Khanfouss, et signifie littéralement le petit coléoptère, voire le petit scarabée. Ce site est ainsi connu des éleveurs nomades qui visitent régulièrement cette falaise, aujourd’hui ensablée, sur la rive nord de la lagune. Ils nomment un de ces puits “Ayoune inKhnifss”, littéralement “la source des petits scarabées”. Car ces petits coléoptères, très communs dans la zone, cherchent la fraîcheur des puits à peine creusés, et ceux-ci finiront par en piéger des centaines qui flotteront à leur surface », détaille-t-il.
Aujourd’hui, la lagune est plutôt le repaire de quelques pêcheurs, autorisés à y gagner leur vie, mais aussi à embarquer les visiteurs pour une mémorable promenade en barque. Vous les retrouverez en contrebas de la falaise au bout de la route, depuis laquelle vous pouvez les rejoindre en empruntant un escalier de fortune. Car le site, objet d’une protection particulière, est préservé de toute activité humaine intense. Ici, vos compagnons sont les oiseaux migrateurs et leurs proies, des bancs de poissons visibles depuis la surface. Et lorsque vous avez achevé votre balade aquatique, marchez jusqu’au pied des dunes, déchaussez-vous et laissez-vous perdre sans but dans les valons de sable. Tendez l’oreille, vous entendrez le chant du vent qui glisse sur le sable, et peut-être même le murmure du Petit Prince, puisque c’est ici, non loin de Tarfaya, que ce personnage de légende s’est confié à un certain Antoine de Saint-Exupéry.
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.