Cheikh Abdelbari Zemzmi, le fqih rock’n’roll
Né à Tanger en 1943, Abdelbari Zemzmi a appris l’art du prêche sous l’aile de son père, Mohamed Zemzmi Benseddik, qui appelait, du fond de la Grande Mosquée de Tanger, à un retour au sunnisme comme moyen de freiner les reptations du soufisme au Maroc. « Il n’aimait pas en parler, mais il s’est défait de son patronyme, Benseddik, pour se distancier de sa famille qui versait dans le soufisme et avec qui il entretenait une relation conflictuelle », nous confie le journaliste Souleiman Raissouni qui l’avait longuement interviewé pour Al Massae. C'est dans cet esprit opposant, affranchi des conventions morales et sociales qu’a grandi le petit Abdelbari…
Le Cheikh qui n’aimait pas les islamistes
Il s’est fait connaître, durant les années 1980, grâce à ses discours religieux délivrés en darija jusqu’à ce qu’il soit interdit de prédication en 2001, pour la quatrième fois, prétendument à cause de son implication dans les affaires politiques. Il fonde et préside, par la suite, « l'Association marocaine de recherche et d'études de la jurisprudence contemporaine » et Assunna, un canard à l’existence fugace, avant de se consacrer officiellement à la politique en 2007, en rejoignant le Parti Renaissance et Vertu sous les couleurs duquel il a remporté un siège au Parlement pour la circonscription de Casa Anfa.
Bien qu’ayant appartenu au PRV, Cheikh Zemzmi était opposé à la création de partis politiques fondés sur la religion. Selon lui, ces partis sont une insulte pour les citoyens de n’importe quel pays musulman, car cela suppose que seuls leurs adhérents suivent effectivement les préceptes de l’Islam. Il ne portait notoirement pas les membres du PJD dans son cœur il n’a pas hésité à les traiter de « chiens » et de « minables sans principe », reprochant à Abdelillah Benkirane d’avoir empiré la situation au Maroc depuis son arrivée au gouvernement.
Sa querelle avec les PJDistes remonte aux temps de la création par Mohamed Khalidi du PRV, fruit d’une scission au sein de la formation dirigée alors par Saâdeddine El Othmani, dont les rangs ont été remplis suite à une cascade de démissions des transfuges de la lampe, fidèles jusqu’au bout à Zemzmi.
Cheikh Zemzmi était aussi un contributeur prolifique au sein du site Islam Online, fondé en 1997 par le célèbre Cheikh Qaradawi. Au cours de sa carrière, il a émis environ 2000 fatwas, dont seulement quelques unes concernaient la sexualité mais qui étaient assez controversées pour percuter les esprits. On se souviendra de sa célèbre fatwa nécrophile, stipulant qu’un époux éploré pouvait honorer sa femme jusqu’à six heures après son décès et qui, paradoxalement, a été prise sérieusement si bien qu’en Egypte, il a été question d’en faire une loi. Ou encore de sa fatwa, jugée progressiste par les uns et scandaleuse par les autres, sur la possibilité des femmes de se masturber avec un pilon, une carotte ou n’importe quel objet phallique.
Zemzmi, l’imam progressiste
Ses sorties médiatiques les plus ubuesques ont porté sur l’alcool – que les femmes enceintes musulmanes sont autorisées à consommer si elles en ont atrocement envie – et le frottement masturbatoire dans les transports publics en plein ramadan, dont une éventuelle fin heureuse ne constitue pas un motif de rupture du jeûne car, avait-il déclaré, « il existe des hommes ainsi, il suffit qu’ils touchent une femme pour jouir ».
Malgré les apparences, Cheikh Zemzmi ne faisait pas dans la provocation gratuite, mais se contentait de répondre aux questions qu’on lui posait, lesquelles trahissent la hiérarchie des préoccupations religieuses marocaines : le charnel avant le spirituel. « Il se sentait dans le devoir de répondre de manière logique à n’importe quelle question concernant la religion. Il ne faut pas oublier qu’il vient d’un milieu progressiste. Son oncle, Abdelaziz Benseddik, est l’auteur de Fatawa Jinsiya, un ouvrage assez connu portant sur les questionnements d’ordre sexuel », explique Souleiman Raissouni.
Cet autre journaliste qu’il a longtemps côtoyé nous parle également d’un homme ouvert, contrairement à l’image renvoyée par les médias progressistes, mais attaché à son style de vie, à ses croyances. « Au milieu d'un entretien, il arrête subitement de te répondre au moment de l'appel à la prière, il te laisse avec tes questions sans s'excuser et file prier. Zemzmi, c’est aussi cela. Il ne te doit rien et tout à Dieu. Ce n’est pas de l'impolitesse, juste une graduation dans les urgences », raconte ce confrère qui qualifie le défunt Cheikh de « roi de la punchline ».
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