Pourquoi il faut regarder « Making a Murderer »

Le premier épisode est un documentaire en soi. Disponible gratuitement sur Youtube, il détaille minutieusement comment la police de Manitowoc County, pressée d’expédier n’importe quel coupable derrière les barreaux, a activement ignoré toutes les preuves appuyant l'innocence de Steven Avery. En 2003, dix-huit ans après sa condamnation initiale, Avery est disculpé grâce à un test ADN prouvant enfin qu’il n’était pas le violeur de Penny Beerntsen, une épouse hautement respectée de la communauté locale. Une fin heureuse à un conte sordide ? Malheureusement, le show ne commence vraiment qu’à partir de sa libération et de ses tentatives d’insertion dans la société.
Fabriquer un meurtrier : Mode d’emploi
Après sa libération, Steven Avery a intenté un procès aux fonctionnaires du conté qui l’ont injustement incarcéré pendant deux décennies, exigeant pas moins de 36 millions de dollars en dommages et intérêts. Pendant que la procédure suivait son cours, il fût de nouveau inculpé en 2005 pour un autre crime : le viol et le meurtre de Teresa Halbach – une photographe de 25 ans qui était venue prendre en photo les voitures de la fourrière familiale pour un magazine. Il est condamné deux ans plus tard à la prison à vie. Son neveu, Brendan Dassey, un adolescent mal dans sa peau et cliniquement débile, a écopé de la même peine après que deux détectives l’ont interrogé assez longuement pour qu’il « devine » - tel qu’il l’a confié à sa mère dans un appel téléphonique – ce qu’ils voulaient qu’il avoue.
La série présente les deux explications les plus plausibles à l’histoire paradoxale de Steven Avery. Supposons qu’il ait effectivement torturé et tué Teresa Halbach, est-ce que les dix-huit années passées injustement derrière les barreaux l’ont transformé en un homme capable d’un crime aussi atroce ? Ou bien, a-t-il été piégé par les autorités de Manitowoc County, furieuses et embarrassées par sa mise en liberté et sa poursuite judiciaire ? La théorie du complot est le fil conducteur de ce show ce qui nous pousse à y croire, ce sont les circonvolutions hallucinantes de la justice américaine, dont les malversations sont aussi abondantes qu’insaisissables, et ce qui nous pousse à la rejeter est, plus simplement, l’attitude stoïque d’Avery qui ne peut que forcer l’incertitude.
Au-delà d’Avery
Making a Murderer raconte deux histoires autres que celle d’Avery. La première est classique et porte sur la lutte des classes et l’étroitesse de l’esprit provincial. Ses protagonistes sont les habitants et les autorités de Manitowoc County, unis dans le mépris contre les Avery, considérés comme des rednecks copulant entre eux aux bords de la ville. La seconde est la tragédie de cette famille dont les membres changent d’allégeance au fil des années à l’exception des parents, terrifiés et désorientés à l’image de deux personnages fictifs, qui croient dur comme fer en l’innocence de leur fils même si leur conviction leur a coûté le business familial et le sentiment d’appartenance à leur communauté. La présence des parents, de la sœur et du neveu relègue même Steven Avery au rang de personnage secondaire et s’accapare d’une histoire dont les surprenants rebondissements sont pondérés par une angoisse omniprésente.
Phénomène mondial
Plus de 19 millions de téléspectateurs ont regardé cette série aux Etats-Unis seulement. Sur les réseaux sociaux, la série a provoqué une frénésie digne des lendemains de diffusion de Game of Thrones, et une mobilisation telle qu’elle a impliqué Barack Obama himself, auquel des centaines de milliers d’internautes ont imploré le pardon de Steven Avery, à travers des pétitions enregistrées sur le site change.org et le site de la Maison Blanche. Making a Murderer est important à regarder peu importe d’où l’on vient, ne serait-ce que pour se guérir de quelques illusions entourant le rêve américain. Car l’herbe n’est pas forcément verte ailleurs surtout pas aux Etats-Unis, où les pauvres sont coupables jusqu’à preuve du contraire.