Benjelloun enrôle une escouade d’administrateurs bien en cour au Maroc

C’est dans un auditorium bondé que le patriarche du secteur financier est venu commenter les résultats annuels de son groupe bancaire. L’occasion aussi de faire état de la désignation par le Conseil d’administration de BMCE Bank de quatre nouveaux membres qualifiés « d’indépendants ». « Ce sont quatre compétences internationales procédant d’horizons géographiques et professionnels diversifiés qui positionnent, avantageusement, BMCE Bank et son groupe pour s’engager dans un nouvel élan renouvelé de développement », annonce fièrement le président Benjelloun pour acter la décision sous les acclamations de son staff.

S’ils viennent en effet d’horizons épars, l’économiste hyper-médiatique Christian de Boissieu, le lobbyiste atlantiste Brian Handerson, l’euro-banquier Philippe de Fontaine Vive ou le financier philosophe François Henrot partagent tous une particularité : ils ont, à des degrés divers, des liens au cœur des premiers cercles de pouvoir.
Christian de Boissieu, économiste omniscient, copain de Mehdi Qotbi
Qui ne connaît pas le très médiatique économiste Christian de Boissieu, professeur émérite à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne et au Collège d’Europe à Bruges, membre du Collège de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et ancien président du Conseil d’analyse économique ? Grand ami du Maroc, il avait succédé en 1999 à Bernard Esambert à la présidence du fameux Cercle d'amitié France-Maroc, dont le fondateur n’est autre que le lobbyiste Mehdi Qotbi, aujourd’hui patron des musées du royaume. Dès sa prise de fonction au cœur des influents cercles pro-marocains des bords de Seine, il s’était mis en cheville avec Abderrahmane Youssoufi, alors premier ministre pour organiser la venue ultime de Hassan II en France lors du défilé du 14-juillet où la garde royale avait paradé sur les Champs Elysées. En 2006, De Boissieu, devenu un habitué des grandes messes franco-marocaines, avait été fait Commandeur du Wissam alaouite en 2006.
Crise financière, dette publique, chômage, flux monétaire, inflation, déflation, croissance…C’est un omniscient de l’économie qu’il commente sous toutes ses coutures dont « le don d’ubiquité n’a rien à envier à celui d’un Bernard-Henri Lévy ou d’un Erik Orsenna », dit-on de lui dans la presse économique parisienne. Auteur prolixe d'une centaine de chroniques depuis une bonne dizaine d’années (Le Figaro, Les Echos, Investir, Challenges…), Christian de Boissieu est souvent convié à s'exprimer dès qu’il est question de politique monétaire, de finance, de crise économique, de politique énergétique et de macroéconomie européenne. S’il est souvent présenté comme un gourou touche-à-tout de l’économie, comme l’a fait Othman Benjelloun, lors de sa nomination au Conseil d’administration de la BMCE Bank, rares sont ceux à révéler qu’il est à la fois commentateur de l’actualité économique et acteur majeur du monde économique. Juge et partie, en somme.
La page du Who’s Who qui lui est consacrée est très révélatrice. De la banque Hervet à Ernst & Young, de Neuflize OBC aux officines de placements collectif de Monaco, ses expertises sont tout aussi recherchées jusqu’aux plus hautes marches de l’État français qui fait très souvent appel à lui dès qu’il est question de libéralisation, comme ce fut le cas au sein de la commission Attali pour la libération de la croissance française en 2007 et 2010. Chouchous des médias, ses revenus extra-universitaires sont aussi « secrets que le secret bancaire dans les paradis fiscaux » qu’il affectionne, dit de lui dans un article très offensif, le site spécialisé des médias, Acrimed. Mais son omniprésence médiatique ne garantit pas la qualité du gourou, lui qui débite ses analyses aussi régulièrement dans des publications confidentielles, souvent mal notées par les experts, que dans Télé Foot et Playboy Magazine !
François Henrot, le banquier philosophe de l’écurie Rothschild
Surdoué du deal, éternel sourire aux lèvres, François Henrot, 66 ans, ancien bras droit de David de Rothschild au sein de l'établissement éponyme est quant à lui complètement « médiaphobique » comme il se définit lui-même. Henrot a mené sa carrière loin des feux de la rampe : après dix ans dans l'administration, l'énarque a longtemps dirigé la Compagnie bancaire, filiale de Paribas, avant de rejoindre Rothschild et Cie en 1997 avec qui il a pris du champ, ce que ne dit pas Benjelloun dans son allocution qui met au contraire en avant cette filiation très significative, tant l’institution a été ces dernières années très impliquée autant dans des deals marocains que dans les affaires privées du banquier octogénaire. N’est-il pas proche d'Edouard, frère de David de Rothschild, avec qui il passe souvent ses vacances d’hiver à Gstaad ?
Par ailleurs, Henrot fait un passage éclair à la tête de France Télécom grâce à l’entregent d’Alain Minc, le conseiller des princes de la finance, mais qu'il quitte au bout d'une semaine, se sentant lâché par l'Etat sur la question très sensible en France de la réforme du statut de l'entreprise. Un épisode qui a tourné au vinaigre et fixé son aversion pour les politiques et la presse. Homme de culture, passionné de musique et de peinture, il est l’auteur d’un dialogue remarqué avec le philosophe Roger-Pol Droit : Le Banquier et le Philosophe. Il a été de tous les meccanos qui ont restructuré le paysage financier français des années 2000 : absorption du Crédit lyonnais par le Crédit agricole, fusion BNP-Paribas, acquisition d'Orange par France Télécom, opérations italiennes d'EDF. Petit détail qui vaut aujourd’hui son pesant d’or, pour la BMCE Bank, mais aussi pour Rabat : il avait recruté chez Rothschild un certain Emmanuel Macron…
Philippe de Fontaine-Vive, l’ancien de la BEI au tropisme marocain
Vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI), chargé de l'innovation, Philippe de Fontaine-Vive, énarque, diplômé de l’IEP-Paris, a récemment quitté ses fonctions au sein de l’institution. La France lui a confié « une nouvelle responsabilité internationale qui sera rendue publique prochainement », avait-il précisé. .
Très apprécié en Tunisie tant par les officiels que les opérateurs du secteur privé, De Fontaine-Vive a multiplié depuis la révolution les initiatives d’appui à l’économie nationale et aux entreprises. Il était l’une des chevilles ouvrières de la conférence internationale Investir en Tunisie, organisée en 2015 à Tunis.
L'ancien vice-président de la BEI qui, en sa qualité de patron de la Femip - Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat, instrument de BEI dans les pays partenaires du Sud et de l'Est méditerranéens, créée en 2004 - a écumé assidûment la Méditerranée pendant dix ans et plus, est assurément l'un des meilleurs connaisseurs français et européens des dirigeants et des sociétés civiles du Sud. Selon lui, « les sociétés méditerranéennes sont [encore] en pleine ébullition. Pour toute la région, il est donc urgent d'organiser et de valoriser des espaces de dialogue et d'échange, dans lesquels les différentes composantes de la société civile peuvent s'exprimer. » Ainsi Philippe de Fontaine Vive a-t-il pris l'initiative de fédérer autour d'un projet commun les Conseils économiques et sociaux de six pays, trois du sud de la Méditerranée - Algérie, Liban et Maroc - et trois du nord - Luxembourg, France et Malte.
Selon Philippe de Fontaine Vive, qui était déjà en 2011 à l'origine de la création de l'Ocemo - Office de coopération économique pour la Méditerranée et l'Orient, sis à Marseille- dont la volonté est de « porter la voix des sociétés civiles en Méditerranée ».
Sous sa férule, la BEI avait permis au Maroc de capter l’essentiel des nouveaux financements accordés pour soutenir le développement des pays du bassin méditerranéen. Au total, la BEI a financé dans le royaume une dizaine de projets. Parmi les plus emblématiques, le projet de centrale solaire de Ouarzazate a bénéficié de 330 millions d’euros mobilisés par les Européens, dont 100 millions d’euros de la BEI et autant de l’Agence française de développement (AFD)
La BEI a aussi participé au financement à hauteur de 73,5 millions d’euros de l’usine de Renault à Tanger, la construction de sept technopôles, le renforcement du réseau autoroutier et de grands projets de l’OCP. « Cela reflète la capacité de l’administration marocaine à avancer sur des projets », avait souligné Philippe de Fontaine Vive en 2013.
Brian C. McK. Henderson, ex-Merrill Lynch et faucon américain
Merrill Lynch, la banque d’investissement américaine coulée par la crise des subprimes, avait mis un pied au Maroc, où elle avait a pris part à des opérations financières dès le début des années 1990, notamment dans le cadre d’emprunts obligataires à l’international. De retour après des années, la banque avait mené la mission d’évaluation, de conseil et de placement en Bourse d’une partie du capital de l’opérateur Maroc Telecom. Henderson, qui occupait la fonction de vice-président de Merrill Lynch, avait dès 2009 rencontré Salaheddine Mezouar, alors ministre de l’Economie et des Finances. Lauréat de Georgetown University et de Harvard, il avait fait un passage remarqué à la Chase Manhattan Bank. Mais c’est aussi en tant que trésorier de l’Atlantic Council, le think tank ultra-libéral américain, proche des géants mondiaux de l’armement, de l’énergie, des médias et de la finance que le banquier polyglotte servira de poisson-pilote à Othman Benjelloun dans les méandres de l’Afrique subsaharienne qu’il connaît comme sa poche. Il siège au sein du board de l’Atlantic Council, où il a l’habitude de frayer avec Kissinger, Baker, Albright, Powell, mais aussi Clinton ou Kerry.
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