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18.12.2016 à 01 H 51 • Mis à jour le 18.12.2016 à 10 H 01 • Temps de lecture : 14 minutes
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n°80.Guerguerat : 10 clés pour comprendre le bras de fer avec le Polisario

A la frontière avec la Mauritanie se joue une partie d’échecs difficile pour le Maroc qui, poussé par sa volonté d’asseoir sa suprématie dans une zone au statut ambivalent, se voit chahuté par le Polisario au moment où il tente de convaincre de son bon droit à retrouver la grande famille africaine au sein de l’UA

Depuis l’été, la zone de Guerguerat située entre le mur de défense marocain et la frontière mauritanienne est le théâtre d’une tension nouvelle entre Rabat et le Polisario. Une situation inédite alimentée par des relations glaciales avec Nouakchott, la désignation de Brahim Ghali à la tête du Polisario et la volonté affichée par Alger pour contrecarrer le grand retour du Maroc sur la scène africaine. Explications.


1 - A l’origine, les querelles de voisinage avec la Mauritanie

 

La relation avec la Mauritanie a toujours été complexe. Du refus nationaliste à voir se créer entre le royaume chérifien et ses racines africaines un Etat tracé à la règle par la France postcoloniale en raison des mines de fer de Zouerate à l’extrême du nord du territoire dans un contexte de reconstruction européenne après la Seconde guerre mondiale, jusqu’à l’interférence de Rabat dans la politique intérieure du pays où la DGED (Renseignement extérieur marocain) faisait et défaisait les pouvoirs en place, cette relation entre le Maroc et la Mauritanie a toujours connu des tensions répétées durant le 20ème siècle. Plus récemment, à l’été dernier, Nouakchott avait interdit l’entrée sur son territoire des voitures immatriculées au Maroc arguant des divers trafics auxquels se livraient des mafias dans le no man’s land séparant la frontière sud du Sahara occidental et la Mauritanie. Mais le coup de froid entre les deux voisins est antérieur à cet épisode.


La tension entre Rabat et Nouakchott était devenue palpable depuis fin 2015. Le ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar, l’Inspecteur général des FAR, le général Arroub, et le directeur de la DGED, Yassine Mansouri, avaient été reçus en audience à la mi-décembre 2015 par le président Mohamed Ould Abdel Aziz. Rien n’avait filtré de leurs entretiens. Mais une des raisons qui ont poussé Rabat à dépêcher des émissaires à Nouakchott est le statut de Lagouira, petite localité à l’extrême sud du Sahara conquise par le Maroc en 1979. A l’extérieur du mur de défense, elle avait été laissée à l’abandon par l’armée marocaine, laissant l’occasion aux forces mauritaniennes d’y installer un campement et d’y hisser le drapeau de la république islamique.


La présence d’une unité des Forces armées royales à un défilé militaire commémorant à Nouadhibou les 50 ans de l’indépendance de la Mauritanie et l’envoi d’une caravane médicale pour prodiguer des soins à la population avait détendu l’atmosphère. Mais alors que Mohammed VI entreprenait une visite lourde de sens au Sahara à l’occasion du 40ème anniversaire de la Marche verte, Rabat avait peu goûté le coup de fil de Ould Abdelaziz à Mohamed Abdelaziz, le chef du Polisario, au moment où les camps de Tindouf venaient de subir des dégâts conséquents en raison de très fortes précipitations. Par ailleurs, l’absence d’un ambassadeur mauritanien à Rabat est toujours comprise comme le signe d’un gel des relations diplomatiques entre les deux pays.


Ces dernières années, les relations qu’entretiennent les deux pays, dans un mouvement de balancier qui jette Nouakchott tantôt dans les bras de Rabat, tantôt dans ceux d’Alger ont toujours été en dents de scie. Le cas du milliardaire-opposant Mohamed Ould Bouamatou, exilé au Maroc depuis 2010 en est un des capteurs.


Autres indicateurs de la persistance des couacs, les accusations à peine voilées de Rabat sur l’existence d’un vaste trafic de cocaïne, voire d’armes, aux abords du Sahara contrôlé par le Maroc, mettant en lumière des supposés liens entre le Polisario, la branche AQMI d’Al Qaida et certains secteurs du pouvoir mauritanien, les anicroches autour de Mauritel, l’opérateur téléphonique contrôlé par Maroc Telecom, les représailles sur les visas délivrés au compte goutte aux businessmen marocains et l’absence du Maroc au Sommet arabe de Nouakchott, montrent à quel point les relations entre le Maroc et la Mauritanie sont glaciales.


2- Un tronçon de route qui a force de symbole

 

L’opération « d’assainissement » lancée le 14 août dernier par les forces de sécurité marocaines au niveau de Guerguerat, à la frontière sud avec la Mauritanie, a provoqué une levée de boucliers à Tindouf. Cette opération a été menée en réaction à la décision prise officiellement par la Mauritanie pour mettre fin aux trafics de contrebande dans la zone.


Mais le Maroc qui avait conclu avec son voisin du sud une entente de statu quo sur ce territoire a voulu prendre la main sur toute initiative tendant à contrôler les activités dans le no man’s land. La réaction marocaine est à lire à l’aune des tensions récurrentes avec Nouakchott, mais aussi parce-que cette piste entre le poste-frontière de Guerguerat et le territoire mauritanien est fortement symbolique. Elle est pour ainsi dire le cordon ombilical des relations commerciales avec la Mauritanie – une noria de camions assure régulièrement l’approvisionnement de la capitale mauritanienne en fruits et légumes à partir d’Agadir-, mais aussi au-delà avec nombre de pays d’Afrique de l’Ouest.


Cette route est tout aussi symbolique au regard de la souveraineté déclarée du Maroc sur le Sahara. Jusqu’ici, les 20 % de territoire du Sahara occidental hors contrôle par Rabat n’avaient aucune incidence stratégique, mais une incapacité à assurer la liaison du Maroc par voie terrestre avec le reste de l’Afrique s’avère problématique.


3- La « zone tampon », une contrainte de l’accord de cessez-le-feu


Dans une lettre envoyée le 15 août au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le Polisario a accusé le Maroc de violer les accords militaires conclus avec la Minurso suite au cessez-le-feu de 1991, qui stipulent qu’aucune présence militaire n’est autorisée au sein de la « zone tampon », cette bande de 5 km de large située au sud et à l’est du mur de défense.


Si le passage entre le poste frontière de Guerguerat était assuré pour les convois civils depuis 2002, il traverse ceci-dit la fameuse « zone tampon » qui sépare à ce niveau géographique le mur de défense érigé par l’armée marocaine et le territoire mauritanien.


La nature de l’opération marocaine a été dévoilée en août dernier par la wilaya de Dakhla : il s’agit de goudronner un tronçon de 3,8 km. Les autorités marocaines n’avaient pas précisé qu’il s’agit du passage entre le poste de Guerguerat et la frontière mauritanienne.


Situé dans la « zone tampon », ce tronçon est constitué jusqu’à présent de simples pistes sur lesquelles les véhicules s’embourbent facilement. L’absence de forces de l’ordre a incité les trafics en tout genre et lui ont valu le surnom de « Kandahar ». Les ONG internationales témoignent également de cas de plusieurs migrants subsahariens qui y ont été refoulés par les autorités ces dernières années et que la Mauritanie refusait de laisser entrer sur son territoire.


L’Etat avait déjà tenté en 2001 d’entamer ces travaux de goudronnage, appuyés par une compagnie d’infanterie des FAR, mais la Minurso ainsi que « plusieurs Etats membres » de l’ONU avaient à l’époque convaincu le Maroc de faire marche arrière, selon les rapports annuels du Secrétariat général. Quinze ans plus tard, le contexte sécuritaire et les rapports de force ont donc bien changé.


Les premiers bénéficiaires de ce nouveau tronçon devaient être les touristes et les transporteurs, de plus en plus nombreux à emprunter l’axe routier Tanger-Dakar, notamment depuis l’inauguration en 2006 de la nouvelle route entre Nouakchott et Nouadhibou, mais depuis l’été, à cause de la réaction du Polisario qui a par sa présence a bloqué le goudronnage de la route, la situation est dans l’impasse.


4- Lagouira, les scories de l’entente avec Nouakchott et Paris

 

La situation au niveau du poste-frontière de Guerguerat, à quelques kilomètres de la frontière sud avec la Mauritanie a relancé la question du statut de Lagouira, située sur le Ras Nouadhibou.


Si tous les Marocains connaissent l’expression « de Tanger à Lagouira », l’histoire de la ville reste encore largement méconnue dans le royaume. Dans les faits, la ville… n’existe plus depuis de nombreuses années : le territoire est sous la garde des autorités mauritaniennes.


Ras Nouadhibou, une péninsule d’une cinquantaine de kilomètres, est en effet divisée en deux sur toute sa longueur : à l’est, le territoire mauritanien et sa capitale économique Nouadhibou. A l’ouest, une partie du Sahara occidental, la seule en dehors de la « zone tampon » à n’être contrôlée ni par le Maroc ni par le Polisario.


Lagouira est située sur la pointe sud ouest de la péninsule, à quelques kilomètres à peine de Nouadhibou, la capitale économique de la Mauritanie, et de Cansado, cité dortoir des travailleurs de la société minière nationale, où se trouve également le port minéralier qui exporte le minerai de fer du pays. Infographie Le Desk. Tous droits réservés. Reproduction interdite


Depuis sa prise de contrôle du territoire, le Maroc a conclu une entente avec la Mauritanie avec l’assentiment de la France. Le retrait des Forces armées royales de cette langue de terre qui longe l’Atlantique devait calmer le Polisario pour qu’il cesse ses incursions dommageables au poumon économique de la Mauritanie qu’est le port minéralier de Nouadhibou. Aujourd’hui, alors que le Maroc est très sensible à la question du parachèvement de son intégrité territoriale, le Polisario fait feu de tout bois, avec la complicité de la Mauritanie et l’appui inconditionnel d’Alger pour montrer que le royaume est coupé de sa pointe sud.


5- Une opportunité pour Brahim Ghali, nouveau chef du Polisario

 

A la mort du chef historique du Polisario Mohamed Abdelaziz, le congrès extraordinaire du mouvement séparatiste réuni en juillet dans un camp près de Tindouf a désigné sans surprise Brahim Ghali, ancien « ambassadeur » de la RASD à Alger pour le remplacer. Apparatchik militaire et sécurocrate de la première heure, Ghali traine de nombreuses casseroles, notamment avec la justice espagnole, qui le diminuent dans son action à l’international. Pour y remédier, il se présente comme un chef offensif multipliant les gesticulations dans la zone de Guerguerat encouragé en cela par la situation de blocage qui prévaut au niveau des Nations unies sur le projet marocain de goudronner la route vers la Mauritanie.


6- La réalité d’une « fixation » du Polisario dans la zone

 

Depuis le 28 août date de son interposition à l’asphaltage par le Maroc de la route liant le poste frontière de Guerguerat à la frontière mauritanienne, le Polisario tente de consolider ses positions dans cette zone, sous la supervision de son chef Brahim Ghali qui vient de s’afficher en photos sur les côtes de l’Atlantique. Le mouvement tente ainsi de réaffirmer son contrôle sur le territoire situé à l’extérieur du mur de défense et de maintenir la pression vis-à-vis du Maroc et de la communauté internationale.


Une communication qui vise à démontrer la libre circulation des éléments du Polisario entre le mur de défense marocain et la frontière mauritanienne, mais aussi d’entretenir une certaine tension dans la région, l’ONU n’ayant pas donné suite aux exigences du Polisario d’installer un poste fixe de la Minurso à Guerguerat.


La direction du mouvement aurait d’ailleurs décidé d’y installer une base permanente dans cette zone pour stocker des vivres et du carburant, en soutien aux patrouilles qui circulent dans la zone en violation de l’accord militaire n°1 signé entre le Polisario et la Minurso en 1997. La situation, surveillée de près par la Minurso, ne semble néanmoins pas susciter davantage d’inquiétude à New York, où aucune nouvelle consultation n’a été programmée au Conseil de sécurité de l’ONU.


La réalité est que cette offensive médiatique du Polisario tient plus de la propagande que d’une stratégie assumée. Sur le plan logistique, il est peu probable que les moyens déployés par les indépendantistes puissent assurer une présence permanente sur les lieux. Les images de propagande ont été prises lors d’incursions furtives de brigades légères, mais le Polisario tente de déployer des éléments armés dans d’autres parties de la zone tampon, plus au nord, près de Bir Lahlou, de Mijk et dans la région de Gueltat Zemmour.


7- Une carte pour Alger contre le soft power africain du Maroc


Cette agitation du Polisario est à relier aussi et surtout à l’attitude d’Alger qui voit d’un œil noir le déploiement du soft power marocain en Afrique, alors que le pays voisin est diminué dans son action diplomatique par une crise économique sans précédent due à l’effondrement de ses recettes pétrolières et d’un pouvoir sclérosé.


Ces dernières semaines, l’organisation aussi précipitée que désastreuse d’un Forum économique africain par Alger a démontré sa fébrilité à vouloir se mesurer à l’offensive diplomatique et économique du Maroc en Afrique. La résistance des soutiens du Polisario à voir le Maroc retrouver sa place au sein de l’Union Africaine en est assurément un marqueur. Aussi, le pouvoir algérien encourage ses protégés du Polisario à empêcher le Maroc d’assurer sa pleine maîtrise du territoire dans cette affaire de Guerguerat.


8- Le « droit de suite » une option à écarter


La persistance du Polisario à vouloir s’établir durablement dans la zone de Guerguerat ou le long de la langue de terre menant à Lagouira constituerait un cas de casus belli potentiel pour le Maroc s’il s’avère effectif. Certaines sources militaires cités par les médias ont indiqué que le Maroc envisagerait d’en finir par une opération coup de poing pour déloger les éléments du Polisario.



Une éventualité jugée peu probable pour de nombreuses raisons : cela constituerait une violation effective du cessez-le-feu, la présence de la Minurso intercalée entre l’armée marocaine et les brigades du Polisario empêche toute escarmouche, enfin, une opération militaire marocaine dans le contexte de son retour au sein de l’Union africaine serait un argument offert à ses détracteurs qui l’accuserait automatiquement de bellicisme.


Les forces militaires en présence au Sahara. Infographie Le Desk. Tous droits réservés. Reproduction interdite.


Nouakchott joue de son côté sa partition en connaissance de cause de ces paramètres. La Mauritanie n’a jamais jusqu’à très récemment toléré le Polisario dans cette zone, synonyme de risque d’embrasement, d’autant que son poumon économique, le port de Nouadhibou, risquerait d’en être affecté, mais elle sait que le Maroc ne tentera pas l’irréparable dans les conditions actuelles. Reste, une présence effective à Lagouira pour les forces armées marocaines qui demeure tout aussi hypothétique, la pointe sud du Sahara occidental étant trop éloignée du mur de défense pour envisager une telle option.


9- Un corridor sous contrôle de la Minurso ?

 

Dans l’absolu, le Maroc étudie la possibilité qui lui est offerte d’accepter que la Minurso puisse assurer in fine la mise en place d’un corridor permettant le déplacement sécurisé des véhicules entre le Sahara et la Mauritanie. Mais cette solution offrirait à la Minurso un rôle concret d’interposition entre les forces marocaines et les éléments du Polisario que Rabat lui conteste malgré les termes de sa mission depuis le cessez-le-feu de 1991.


Le Maroc qui a tenté cet été de réduire à néant la mission de la Minurso et qui a longtemps ferraillé contre le monitoring des droits de l’Homme au Sahara par la mission onusienne n’est certainement pas prêt à lui concéder autant de prérogatives.


10- Time out avant un retour dans le cénacle africain

 

Aussi tendue que peut être la situation actuelle à Guerguerat et au-delà jusqu’aux confins de Lagouira, le Maroc n’est pas enclin à réagir aux provocations du Polisario orchestrées par l’Algérie et alimentées par l’attitude de la Mauritanie. Rabat ne communique plus sur les travaux de goudronnage de la route stoppés depuis près de quatre mois. Toute son attention est focalisée sur les prochaines échéances de son parcours miné vers l’Union africaine.

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