n°44.Hillary Clinton ou Donald Trump, quelles conséquences pour le Maroc ?
Le duel Hillary Clinton/Donald Trump se précise pour l’élection présidentielle américaine du 8 novembre. Les deux candidats devraient recevoir l’investiture de leurs partis respectifs le mois prochain, lors de la convention nationale organisée à Philadelphie par les Démocrates et à Cleveland par les Républicains.
Une élection suivie de près à l’étranger, y compris au Maroc où Hillary Clinton est généralement perçue comme la meilleure candidate pour défendre les intérêts du royaume. « En tant que Secrétaire d’Etat (2009-2013, ndlr), elle était l’un des plus fervents partisans du Maroc au sein de l’administration », rappelle Sarah Yerkes, chercheuse à la Brookings Institution et au Council on Foreign Relations (CFR).
« Le Maroc préfère généralement les républicains mais Donald Trump n’est pas un républicain classique. Dans cette élection, c’est Clinton qui représente l’establishment américain, plutôt bien disposé à l’égard du Maroc », analyse Issandr El Amrani, directeur de projet pour l’Afrique du nord au sein du think-tank International Crisis Group.
Membre de la commission sénatoriale des forces armées de 2003 à 2009, puis nommée Secrétaire d’Etat par Barack Obama, Hillary Clinton est jugée proche des think-tanks conservateurs, de l’armée et de la communauté du renseignement. Autant de centres de pouvoir qui façonnent la politique étrangère des Etats-Unis et qui entretiennent des relations historiques avec l’Etat marocain.
Une histoire de familles
La candidate démocrate entretient également des liens personnels avec le Maroc, et ce depuis la fin des années 90, à l’époque où son mari Bill était président des Etats-Unis. En 1999, l’ex-First Lady avait été invitée par Hassan II à découvrir les charmes du royaume en compagnie de sa fille Chelsea, à l’occasion d’une escapade de plusieurs jours dans le sud marocain. Cette amitié naissante avec le défunt roi s’est perpétuée après l’accession au trône de Mohammed VI, que les Clinton ont accueilli à la Maison Blanche en 2000 pour sa première visite officielle à Washington, avant que le couple ne se rende à Rabat deux ans plus tard pour assister au mariage du jeune souverain avec Lalla Salma.
Cette relation particulière qui lie l’ex-Secrétaire d’Etat à la famille royale est illustrée par un échange d’emails daté de septembre 2012, que l’administration Obama a récemment rendu public. La diplomate Beth Jones, alors en charge du bureau du Proche-Orient au sein du Département d’Etat, rapportait une discussion téléphonique tenue avec Taieb Fassi Fihri concernant la première session du dialogue stratégique Maroc-Etats-Unis, qui devait se tenir quelques jours plus tard à Washington. Le conseiller royal transmettait un message de remerciement de la part de Mohammed VI pour la participation active d’Hillary Clinton. « Le roi, m’a-t-il dit, considère la Secrétaire comme un membre de sa famille et veut lui faire savoir à quel point il est reconnaissant du temps qu’elle consacre à la délégation marocaine », détaillait Beth Jones.
En janvier 2013, Hillary Clinton a été remplacée par John Kerry à la tête de la diplomatie américaine, ce qui n’a pas empêché le roi Mohammed VI de la rencontrer à New York en novembre de la même année en marge de sa visite officielle aux Etats-Unis. Une rencontre qui « illustre l’amitié renouvelée entre la Famille Royale et la famille Clinton, ainsi que l’estime que porte Mme Clinton au Maroc et à son peuple », avançait le cabinet royal dans un communiqué relayé par l’agence MAP.
Un homme en particulier joue le rôle de « courroie de transmission » entre les deux familles : Edward Gabriel, « Ed » pour les intimes, qui dirige le Moroccan American Center for Policy (MACP), tête de pont du lobbying marocain aux Etats-Unis. Cet Américain d’origine libanaise, spécialiste du pantouflage public/privé, est un proche de la famille Clinton depuis plus de deux décennies. Ancien fonctionnaire du Département de l’Energie dans les années 70, il s’était reconvertit dans le lobbying auprès des sociétés énergétiques et a participé aux campagnes de Bill Clinton pour la Maison Blanche en 1992 et 1996. Son rôle était alors de rallier le secteur de l’énergie à la cause du candidat démocrate. En récompense de ses efforts, le nouveau président l’a nommé en 1997 ambassadeur au Maroc, poste qu’il a occupé jusqu’en 2001 avant de revenir dans le privé pour défendre les intérêts du royaume à Washington.
Un autre email déclassifié reçu par Hillary Clinton en septembre 2012 illustre sa proximité avec le lobbyiste. « Ed n’arrête pas d’appeler pour dire que le Roi veut discuter », informait ainsi Huma Abedin, assistante et chef de cabinet de Clinton au Département d’Etat, quelques jours après la tenue de la première session du dialogue stratégique Maroc-Etats-Unis.
La présidence Hillary et le Maroc
En cas de succès aux élections de novembre prochain, quelle serait l’attitude d’Hillary Clinton envers le Maroc, elle qui louait en 2011 le « modèle marocain » post-printemps arabe et l’intégration progressive des islamistes du PJD au jeu politique ? « Vu son expérience en tant que Secrétaire d’Etat et ses relations avec la famille royale marocaine, j’imagine qu’elle maintiendrait des liens étroits avec le Maroc, mais je ne suis pas sûre qu’elle plaiderait pour de nouvelles politiques envers le royaume », avance Sarah Yerkes, rappelant que les deux pays disposent déjà d’un accord de libre échange et d’une coopération sécuritaire développée.
Sur la question du Sahara, qui constitue toujours l’alpha et l’oméga de la politique étrangère marocaine, la chercheuse estime qu’Hillary Clinton pourrait être « plus véhémente que l’administration actuelle dans son soutien au plan d’autonomie ». Un point de vue nuancé par Anouar Boukhars, chercheur marocco-américain au sein du think-tank Carnegie Endowment for International Peace. Selon lui, l’ex-Secrétaire d’Etat estime qu’un Sahara occidental indépendant constituerait « une préoccupation majeure pour l’Ouest » d’un point de vue sécuritaire, en l’absence de force militaire conséquente pour protéger le territoire. « Mais Hillary est réaliste. Elle doit équilibrer les intérêts américains au Maroc et en Algérie. Ainsi, la position officielle de son administration sera de continuer à soutenir l’autonomie comme le meilleur cadre pour résoudre le conflit, mais en réalité elle ne fera pas grand chose pour bousculer le statu quo », assure-t-il.
« Si elle est élue présidente, son administration devrait se concentrer sur d’autres questions que celle du Sahara occidental. Elle devrait en particulier tenter d’aborder les relations avec l’Arabie Saoudite et Israël, ainsi que d’autres priorités de politique étrangère dont l’Union européenne, la Chine et la Russie », détaille Geoff Porter, dirigeant fondateur du cabinet North Africa Risk Consulting.
Anouar Boukhars explique que dans ce cadre, le Maroc pourrait jouer « un rôle auxiliaire » entre Washington et ses alliés traditionnels du Golfe, dont les relations se sont détériorées suite au deal iranien et au désengagement progressif des Etats-Unis dans la région.
Dans ses discours de politique étrangère, la candidate Clinton demande par ailleurs aux « partenaires arabes » de Washington d’apporter un soutien militaire plus important à la coalition contre Daech en Irak et en Syrie. Mais Rabat ne semble pas être concerné. « Les Etats-Unis savent que le Maroc a beaucoup à faire chez lui pour s’attaquer aux soutiens potentiels de l’Etat islamique », analyse Goeff Porter. « (Ils) vont probablement concentrer leurs efforts sur des approches non-militaires pour aider le Maroc à contenir et affaiblir » le groupe terroriste, poursuit-il. Même son de cloche du côté de Sarah Yerkes, qui souligne dans ce contexte le lancement par l’Etat marocain du programme de formation des imams.
Autre sujet d’importance pour Washington : la situation en Libye. Qualifiée d’ « interventionniste » par l’actuel vice-président américain Joe Biden, Hillary Clinton pourrait être favorable à une nouvelle intervention militaire sur le sol libyen, malgré les craintes des pays voisins – dont le Maroc – concernant l’impact d’une telle intervention.
Le « mystère » Donald Trump
Quid des positions du candidat républicain Donald Trump concernant le Maroc et l’Afrique du nord ? Les analystes interrogés sont unanimes sur un point : son programme de politique étrangère reste un mystère. « Il n’est pas sûr qu’il ait une quelconque position concernant l’Afrique du nord ou s’il fait même la différence entre Monaco et Morocco ou Algeria et Nigéria », commente Geoff Porter, un brin provocateur. « Donald Trump reste plutôt général dans ses discours, en parlant de sécurité nationale ou d’antiterrorisme », décrypte pour sa part Issandr El Amrani.
Le seul soutien affiché à Trump qui pourrait faire « tiquer » le Maroc est John Bolton, un néo-conservateur nommé ambassadeur à l’ONU par Bush junior entre 2005 et 2006 et qui a appuyé la tenue d’un référendum au Sahara. Même si dans son autobiographie parue en 2008, « Surrender is not an option », John Bolton explique entre les lignes que sa position sur le référendum était plus liée à un rejet de l’ONU – et à sa volonté de se débarrasser de la Minurso – qu’à un réel soutien à l’autodétermination au Sahara.
« J’imagine que (Donald Trump) maintiendrait l’amitié avec le Maroc sans apporter de changement notable à la relation bilatérale, mais je pense aussi qu’il n’accorderait pas beaucoup d’importance à l’Afrique du nord », conclut Sarah Yerkes.
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