
n°37.Union européenne : à qui profite le Brexit ?
L’éventualité d’un Brexit paraît de plus en plus plausible. Le 23 avril dernier, Barack Obama mettait en garde le Royaume-Uni des conséquences auxquelles il s’expose à l’égard des États-Unis s’il venait à quitter l’Union Européenne. “Certains pensent peut-être qu'il y aura un accord de libre échange entre les États-Unis et le Royaume-Uni mais cela n'arrivera pas de sitôt [...] Le Royaume-Uni sera en queue de peloton [...] Nous sommes concentrés sur les négociations avec le grand bloc”, a déclaré le président américain lors d’une conférence de presse à Londres. "Les États-Unis veulent un Royaume-Uni fort comme partenaire. Et le Royaume-Uni excelle lorsqu'il contribue à diriger une Europe forte”, a-t-il renchéri. Un discours qui n’a pas eu l’effet escompté. D’après un sondage réalisé les 25 et 26 avril par la société d’étude de marché YouGov et commandé par le Times, 42 % des Britanniques sont favorables à une sortie de l’UE, contre 41 % qui souhaitent y rester. C’est surtout la dynamique qui est intéressante, puisque le taux de “pour” le Brexit gagne quatre points par rapport à une précédente enquête datant de février, et stagne chez les “contre”. Les indécis ont donc tendance à rejoindre le camp des pro-Brexit. Les jeunes pourraient contribuer à faire basculer le vote, mais encore faut-il les inciter à se rendre aux urnes. Un sondage Opinium réalisé au début du mois montre que les 18-34 ans ne sont majoritairement pas en faveur d’un départ de l’UE (53 % contre 29 %), mais il s’agit de la catégorie d’âge la moins encline à se déplacer dans les bureaux de vote (52 % ont affirmé qu’ils iraient voter, 81 % chez les plus de 55 ans).
Une économie bouleversée
Pourtant, l’avertissement de Barack Obama vient s’ajouter aux prévisions désastreuses promises à l’économie britannique en cas de sortie de l’UE. De nombreux scénarios ont été établis, et aucun n’est enviable. Si beaucoup de PME pestent contre les régulations imposées par l’UE et verraient d’un bon oeil la suppression de ces contraintes, les grandes entreprises craignent un tel dénouement. D’après les estimations de la Confédération de l'industrie britannique, ce sont 4 à 5 points du PIB britannique qui sont en jeu. La fondation allemande Bertelsmann Stiftung prévoit une perte de 313 milliards d’euros (3 427 MMDH) pour le Royaume-Uni s’il en vient à quitter l’Union. Dans le meilleur des scénarios, dans lequel le pays négocie un accord d’échanges à la manière de la Suisse, le PIB par habitant serait 0,6 % plus faible que s’il était resté. Mais si tous les privilèges concernant le commerce deviennent caduques, cette baisse pourrait atteindre les 3 %. De quoi sérieusement toucher le portefeuille des citoyens.
Les perspectives ne sont pas meilleures pour l’OCDE, qui a publié un rapport alarmant ce 27 avril. L’étude parle d’une “taxe Brexit”, qui coûterait entre 3200 et 5000 livres sterling (45 000 à 70 000 DH) à chaque foyer d’ici 2030. “Quitter l’Europe imposerait une ‘taxe Brexit’ aux générations à venir. Sauf qu’au lieu de financer les services publiques, cette taxe serait une pure perte, sans bénéfice économique à la clé”, a commenté le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurría. La balance extérieure du Royaume-Uni, déjà en piteux état depuis 2012, pourrait se creuser un peu plus à cause de l’isolement. Participer au marché unique permet de s’affranchir des taxes douanières, facilitant l’export et limitant l’impact de l’import. Plusieurs études s’accordent à dire que les prix augmenteraient sensiblement, ceux du secteur alimentaire grimpant en flèche. La compétitivité du Royaume-Uni serait également remise en cause, notamment pour les industries automobiles, pétrolières, énergétiques et pharmaceutiques, qui redoutent le Brexit.
Depuis la relative rupture avec ses anciennes colonies, l’Europe est de loin le partenaire privilégié des Britanniques, qui représente actuellement près de 50 % de son activité commerciale. C’est d’ailleurs par cette nécessité d’échanger avec ses voisins que le Royaume-Uni a rejoint en 1973 la Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’UE. Il ne s’agit que de prévisions (et donc de spéculation), mais le Brexit pourrait faire perdre de la valeur à la livre sterling, ce qui risque d'affecter l'activité de la City, première place financière mondiale. Francfort et Paris pourraient alors récupérer des miettes, à moins que, comme certains experts le prévoient, les flux financiers ne quittent l’Europe. Autre conséquence envisageable, les détériorations des relations avec l’Écosse, qui, indépendantiste et europhile, pourrait remettre un coup de pression pour réclamer son indépendance, et rejoindre de nouveau l’UE.
La souveraineté et l’indépendance comme mots d’ordre
Mais alors, où réside l’intérêt du Brexit pour le Royaume-Uni ? Celui-ci s’est toujours tenu à l’écart du continent, autant politiquement qu’économiquement. D’abord, il n’aurait plus à contribuer au budget de l’UE (il bénéficiait déjà d’un régime de faveur). En 2014, sa participation était de 11,3 milliards d’euros. Compte tenu du fait qu’une partie du budget lui est réallouée, ce financement ne lui est pas particulièrement préjudiciable. En 2014, cela représentait, selon les Décodeurs (Le Monde), une baisse de 0,23 % de leur revenu national brut. Au fil des années, l’agacement envers Bruxelles s’est accentué. Les Britanniques estiment que leur souveraineté est mise en péril et que, leurs lois étant édictées par la commission européenne, un déficit démocratique se fait ressentir. Les régulations européennes sur les plans économiques, financiers et commerciaux sont également vus comme des handicaps. Limitations et restrictions ne font pas partie de la culture ultra-capitaliste anglo-saxonne. Et si les accords avec l’Europe ne tiennent plus, certains y voient l’opportunité d’en contracter avec le reste du monde, s’affranchissant de sa dépendance. Mais le véritable nerf de la guerre est peut-être le thème de l’immigration, question de plus en plus épineuse en Europe. L’UKIP (Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni), parti indépendantiste de droite et eurosceptique, en fait son principal argument. La crise de 2008 a moins férocement touché le pays que le reste de l’Europe, entraînant un afflux de travailleurs étrangers. La gestion par l’UE de l’accueil des migrants et des réfugiés a certainement constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Des privilèges pour retenir le Royaume-Uni
Lors de la campagne des dernières élections, David Cameron, réélu, avait promis de soumettre à un référendum le maintien du pays dans l’UE dans les deux ans. Promesse tenue, les Britanniques seront appelés aux urnes le 23 juin prochain. Défavorable à une telle action, il a négocié pour le Royaume-Uni un statut spécial, entériné lors du Conseil européen des 18 et 19 février 2016, pour convaincre les Britanniques de rester dans l’UE. Cette dernière a approuvé une série de concessions pour éviter une séparation.
Le premier ministre britannique a obtenu de restreindre les aides sociales accordées aux migrants provenant d’un État membre de l’UE. S’il demandait à pouvoir mettre un veto sur une législation européenne, il s’est contenté du “carton rouge”, un système lui permettant de ne pas appliquer une loi européenne s’il réunit l’assentiment de 15 états membres. Londres a également demandé un droit de regard sur la politique monétaire de l’euro, qui a une influence sur la City, et la reconnaissance de principe que l'euro n'est pas la monnaie unique de l’UE.
L’assurance de l’assouplissement des normes et restrictions pour améliorer la compétitivité des entreprises a aussi été actée. De gros efforts consentis par l’UE, qui souffrirait également du Brexit. Le Royaume-Uni représente 13 % de sa population, 15 % de sa richesse, et 12 % de son budget. Sa puissance économique et diplomatique serait amoindrie par un tel départ. La diminution des échanges va impacter les autres pays européens, notamment la France et l’Allemagne, ses partenaires économiques privilégiés. Mais selon les estimations, les retombées devraient être minimes, avec une perte de PIB de l’ordre de 0,5 %. Politiquement par contre, les paris sont ouverts. Certains craignent que la sortie du Royaume-Uni de l’UE ne crée un mouvement eurosceptique encore plus puissant et qu’une désagrégation ne s’enclenche. C’est le cas de Marine Le Pen, qui soutient l’UKIP dans son combat en espérant pouvoir relancer le débat d’un retrait de la France de l’UE. Mais d’autres voix sont plus optimistes. Le Royaume-Uni n’a jamais été un grand défenseur de l’intégration européenne, et a souvent constitué un obstacle à son développement et son fonctionnement. Son absence pourrait alors contribuer à la constitution d’une Europe plus soudée.
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite
