Mohammed VI, actionnaire d’Alliances à travers les Iles Vierges Britanniques

Après les "Offshore Leaks" en 2013 et "Swiss Leaks" en 2015, l’International consortium of investigative journalists (ICIJ) s’apprête à publier une nouvelle enquête sur les sociétés offshore. Le journaliste américain Will Fitzgibbon, qui dirige le bureau Afrique de l’organisation, a envoyé une série de questions à Mohamed Mounir El Majidi, secrétaire particulier du roi Mohammed VI et gérant de sa fortune privée, à propos de certains biens supposés appartenir au souverain à l’étranger.
L’enquête n’a pas encore été publiée mais les questions du journaliste américain ont « fuité » lundi sur le site Le360 – dont le propriétaire, Aziz Daki, directeur artistique et porte-parole du festival Mawazine, est réputé proche de Majidi. Selon Le360, les questions portent notamment sur deux sociétés offshore, SMCD Limited et Immobilière Orion, basées respectivement aux Iles Vierges Britanniques et au Luxembourg. Le site confirme que ces deux sociétés « sont dirigées par Mounir El Majidi, en sa qualité d’administrateur », tout en minimisant la portée de cette information, qui est selon Le360 « une donnée publique, consultable par tous ».
SMCD Limited, discret actionnaire d’Alliances
Le registre du commerce des Iles Vierges Britanniques n’est pas consultable en ligne. Des données générales comme le nom d’une société ou la date de sa création, peuvent être consultées sur certaines bases de données payantes mais la réglementation du territoire n'impose pas la publication des noms des administrateurs ni l’identité des bénéficiaires économiques réels. Même les administrations fiscales de pays-tiers n'obtiennent pas toujours les informations demandées. Ce n’est qu’en décembre dernier que la France par exemple a sorti les Iles Vierges Britanniques de sa liste des États « non-coopératifs » en matière fiscale.
Mounir El Majidi dirige-t-il SMCD Limited à titre personnel ou en tant que gérant de la fortune royale ? En tentant de déminer l’enquête de l’ICIJ, Le360 révèle que cette société a servi à l’achat du voilier Al Boughaz, propriété du roi Mohammed VI. Ce qui semble indiquer que le souverain est bien le bénéficiaire économique de cette société basée aux Iles Vierges Britanniques.
Or, SMCD Limited n’est pas complètement inconnue au Maroc. Le Desk a retrouvé la société dans le capital du promoteur coté en bourse Alliances Développement Immobilier, fondé et dirigé par Mohamed Alami Nafakh Lazraq. SMCD Limited a participé au placement privé réservé aux investisseurs institutionnels en février 2008, quelques mois avant l’introduction en bourse d’Alliances, opération orchestrée par les équipes de la banque d'affaires royale Attijari Finance Corp. SMCD Limited avait alors déboursé près de 100 millions de dirhams pour acquérir un bloc de 182 000 actions représentant 1,65 % du capital. L'action ADI a été vendue à 535 DH, soit une décote de 28 % par rapport au prix de l'introduction en bourse d'Alliances réalisée cinq mois plus tard, en juillet 2008. Une "faveur" habituelle dans les pré-IPO qui a bénéficié également à des investisseurs comme la CIMR, la Mamda-MCMA, Upline Investment Fund, Wafa Assurance, la SCR, SOMED ou encore l'émirati Al Qudrah, tous entrés au tour de table du promoteur à la même date que la société dirigée par Mounir El Majidi. Pourtant, dans les notes d'information archivées par le gendarme du marché, SMCD Limited est présentée comme « une société de droit britannique qui a pour activité l’investissement en actions », sans que l’identité de ses promoteurs ne soit communiquée.

Selon la dernière note d'information d'Alliances, datée d’août 2015, la société est toujours actionnaire du groupe immobilier à hauteur de 1,43 % du capital. Un bien mauvais placement au vu de l’effondrement du cours de bourse d’Alliances, dont le titre s’échange aujourd’hui autour de 75 DH. La participation de SMCD Limited est ainsi valorisée actuellement à seulement 13,6 millions de dirhams, soit une moins-value latente qui dépasse les 80 millions de dirhams.
Pourquoi être passé par une structure basée aux Iles Vierges Britanniques pour investir dans une société marocaine ? La pratique est courante pour les grandes entreprises du monde entier lorsqu’il s’agit d’investissements réalisés à l’étranger. Au Maroc, c’est le cas par exemple de la SNI et d’Attijariwafa Bank, qui contrôlent le groupe bancaire sénégalais CBAO à travers des véhicules basés aux Iles Vierges Britanniques et à Monaco. La question mérite en revanche d’être posée lorsqu’il s’agit d’un investissement réalisé sur le territoire national.
Majidi et Benyagoud au Luxembourg
Immobilière Orion, l’autre société offshore mentionnée par Le360, est basée au Luxembourg. Dédiée à la gestion d’actifs immobiliers, elle a été créée en 2003 par Fidupar, une fiduciaire contrôlée à l’époque par la filiale luxembourgeoise de la banque française BNP Paribas. Selon les documents consultés par Le Desk, Mounir El Majidi a été nommé président du conseil d’administration d’Immobilière Orion dès sa création, aux côtés de Fidupar et de Mohcine Benyagoud, membre du secrétariat particulier du souverain.
Mais là encore, impossible de savoir qui sont les bénéficiaires économiques réels de la société : les statuts publiés lors de sa création en 2003 indiquent que ses actionnaires de départ sont Dot Finance SA et Financière du Bénelux SA, deux structures elles aussi domiciliées au Luxembourg chez Fidupar et dont l’actionnariat est inconnu.
Selon l’information du journaliste Will Fitzgibbon, confirmée en creux par Le360, Immobilière Orion a été utilisée pour acheter un appartement parisien, dont le roi Mohammed VI serait le propriétaire. Les bilans de la société consultés par Le Desk mentionnent des immobilisations corporelles qui s’élèvent à 18 millions d’euros et une dette de financement contractée en 2003 de 36 millions d’euros.
Une société administrée aujourd'hui par le parfumeur Jean Madar
Détenir un bien immobilier français à travers une société luxembourgeoise est une pratique courante pour les riches particuliers en quête d’optimisation fiscale. Au Maroc, la réglementation très stricte de l’Office des changes interdit la détention de biens à l’étranger, mais une autorisation exceptionnelle peut être accordée par le directeur de l’Office, qui dispose d'un important pouvoir discrétionnaire. Jaouad Hamri expliquait en 2013 dans les colonnes de l’Economiste que sur les dix dernières années, ces autorisations étaient « inférieures à une dizaine » et correspondaient « à des cas en lien avec l’activité professionnelle, qui nécessite des déplacements fréquents et de longs séjours »...

Majidi, Benyagoud et Fidupar sont restés administrateurs d’Immobilière Orion jusqu’en juillet 2011, date de leur remplacement par des employés de la fiduciaire luxembourgeoise LWM. Ces derniers ont été rejoints au conseil d'administration en 2013 par Jean Madar, riche homme d’affaires français, fondateur de la société Interparfums, cotée à la bourse de Paris et distributrice pendant des années des marques Lanvin, Burberry, Montblanc ou encore Van Cleef & Arpels. Les équipes de LWM gèrent également au Luxembourg la structure Madar Invest Luxe, créée en juillet 2011 et détenue par la holding parisienne de Jean Madar.