Jacques Attali, le gourou de luxe adulé par les banquiers du roi
C’est un habitué des salons feutrés du Maroc où il aime venir exposer ses grandes théories sur le futur du monde. Un exercice dont il est devenu le maître incontesté en France, à peine concurrencé par son vieux complice et rival, Hubert Védrine, lui aussi ami assidu des élites du royaume. « Je n'ai pas besoin d'ordinateur, j'ai Attali », disait François Mitterrand, qui en avait fait son conseiller privilégié. Depuis, le sherpa au visage de chouette et yeux tristes, a chuchoté à l’oreille de tous les locataires de l’Elysée.
A Casablanca, l’oracle des temps modernes était, le 9 mars, l’invité vedette de Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank pour une conférence à huis clos où seul l’état-major de la banque royale et sa clientèle privée étaient conviés. Thème du conclave : la futurologie, qu’il affectionne tant. Cette fois-ci, il est venu « prévoir le monde en 2030 ».
Avec des « si », on mettrait…
Déjà en 2009, Attijariwafa Bank l’accueillait pour sa première conférence économique annuelle. Le conférencier, apôtre du défaitisme, y annonçait la fin des banques après la crise des subprimes. Une assertion fausse, comme beaucoup d’autres prophéties souvent effrayantes du gourou médiatique qui ne se réalisent pas. Attali a une technique bien rodée, il saupoudre son propos de « si », qui lui permettent de ne pas prendre trop de risque.
Pour 2016, il égrenait récemment dans son blog de L’Express des prédictions dignes de Nostradamus : De nouveaux attentats terroristes d’une ampleur défiant l’imagination, dans tous les pays. Une aggravation des conflits en Syrie, Irak, Libye, Yémen, Ukraine. Une guerre mondiale, peut-être religieuse due à l’instabilité en mer de Chine, en Inde et en Afrique, la désintégration d’Etats sur le modèle somalien. Le Brexit, doublé d’une crise de l’Euro, elle-même due aux crises migratoires. Des catastrophes naturelles liées aux changements climatiques. Une épizootie, ou une épidémie majeure, partant d’une souche nouvelle d’un virus mutant, sans qu’aucun vaccin ni traitement ne soient disponibles, provoquant la fermeture des frontières à travers toute la planète. Sans oublier enfin, son dada, l'imminence d'une crise financière majeure qui devrait éclater à l’échelle mondiale, comparable à celle de 2008… En 1990, il prédisait la fin du modèle américain dans un déclin irréfutable. Deux ans plus tard, les Etats-Unis allait connaître une des phases les plus prospères de son histoire…
Bon client de la télé, il indispose de plus en plus par son côté « prophète géostratégique », voire de « devin » ou de « madame Irma » de la politique mondiale. Qu’importe, au Maroc, le côté « Monsieur Soleil » de ce natif d’Alger la blanche, a toujours ses fans qui se pressent en rangs d’oignons pour boire ses idées comme un élixir du savoir. De son passage à la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) créée à Londres, les observateurs avertis retiennent surtout les dépenses somptuaires qui l'ont forcé à démissionner en 1993. Cela n’a pas empêché Othman Benjelloun de lui lancer en 2002 lors d’un colloque au siège de la BMCE Bank scellant l’alliance entre la Fondation BMCE bank et son association PlaNet Finance : « La BERD : c’est vous, c’est grâce à vous ! ».
PlaNet Finance, « courtier opportuniste »
L'utilité de PlaNet Finance est difficile à mesurer, affirme cependant le think tank Fondation iFrap, tant l’organisme vit « largement de dons et de subventions obtenus grâce au prodigieux carnet d'adresse de Jacques Attali ». Nébuleuse complexe, l'association créée en 1999 visait initialement à mettre en relation des donateurs avec des organismes de micro-crédit à travers le monde. Censé évaluer la qualité des Institutions de micro-finance, pour pouvoir les recommander à des donateurs, PlaNet finance est en fait un service de rating aux dents longues.
Dans un ouvrage sur les grandes étapes de l’émergence du secteur de la microfinance au Maroc, Rida Lamrini, le premier président de la Fédération nationale des associations de microcrédit du Maroc (FNAM), relate les difficultés d’une fédération minée entre autres par l’interventionnisme des courtiers du développement, notamment par le comportement « opportuniste » de PlaNet Finance, qualifiée « d’invitée surprise ». « Les conventions signées par des partenaires crédules, pas très au fait des arcanes qui mènent aux mannes financières, servent à ferrer les bailleurs de fonds impressionnés par les programmes de PlaNet Finance et subjugués par la féconde de ses dirigeants », écrit-il. PlaNet Finance est parvenue ainsi à court-circuiter la Fédération dans un programme mis en place dans le cadre d’un partenariat entre la Caisse des dépôts et consignation française (CDC) et la CDG marocaine.
Un génie de l’esbroufe qui coûte cher
Le génie de la lampe est surtout un génie en affaires, avec une foultitude de jeunes pousses dont les chiffres sont rarement publiés. En 2001, il avait été mis en examen, son étude Attali Conseil & Associés, avait reçu quelques centaines de milliers de dollars par une officine des marchands d'armes Pierre Falcone et son associé Arcady Gaydamak, via la Banque africaine d’investissement (BAI), dans le dossier sulfureux de l’Angolagate…
En 2009, le roi Mohammed VI recevait pourtant Jacques Attali, le conseiller des princes. L’idée générale à l’époque était d’étudier la possibilité que les acteurs majeurs du microcrédit puissent se transformer en quasi-banques, proposant des services d’épargne…
Ecrivain prolixe, ses idées ne sont pas toujours originales tant il sait recoudre les travaux des autres jusqu’aux frontières de l’imposture. Son Histoire du temps parue en 1982 doit beaucoup à l'historien français Jean-Pierre Vernant et à l'écrivain allemand Ernst Jünger. Les éditions Fayard s'excusèrent avec esprit, prétendant que leur auteur « certes génial mais un peu hâtif » était « brouillé » avec les guillemets, raconte Le Monde.
Romancier, scénariste, banquier, entrepreneur, essayiste, diplomate, chercheur, musicien, Attali est tout cela à la fois. Pour éblouir son assistance, Attijariwafa Bank a du débourser entre 13 000 et 50 000 euros pour l’avoir comme orateur pour son pince-fesse mondain, si l’on en croit les tarifs affichés par les agences qui le « vendent », comme Speaker’s Academy, Confanim, Brand Celebrities ou Premium Communication. Cher payé pour une boule de cristal.
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