Sahara : Quand la machine de l’État fabrique le ridicule
Faute d’une diplomatie de bon sens, la politique de la table renversée est devenue la doctrine du pays en matière de relations internationales. En trois mois, l’establishment qui nous gouverne a réussi l’exploit d’isoler le pays de la scène internationale : on coupe d’abord les contacts avec l’UE, anticipant une déconvenue judiciaire au sein de la Cour Européenne, on boude les pays arabes, se défaussant à la dernière minute de l’organisation d’un Sommet pourtant prévu de longue date sous prétexte qu’il n’y a rien à discuter, et pour finir, on crée un précédent historique, en ameutant des millions de personnes, à qui on distribue pain, sardines en boite, drapeaux, portraits du roi et effigies défigurées de Ban ki-moon, pour insulter le secrétaire général de l’ONU, qui, jusqu’à preuve du contraire, reste la seule organisation représentative du concert des nations.
Certes, la langue de Ban Ki-moon a fourché lors de sa visite dans les camps des séparatistes. Fallait-il pour autant sortir de derrière les fagots les vieilles recettes de la propagande pour lui faire comprendre que les Marocains sont intraitables sur la question ? A qui était vraiment destiné ce rassemblement massif aussi incongru qu’anachronique ? Au front intérieur, convaincu jusqu’à la moelle de la marocanité du Sahara, ou aux Nations Unies, qui n’ont pas de position à prendre sur ce dossier, sauf à concilier les belligérants sur une solution politique négociée ?
Une infamie orchestrée par l'Etat
Mobiliser trois millions de personnes dans la rue pour proférer des insultes à l’endroit d’une personnalité publique ayant rang de chef d’Etat contribue plus à l’avilissement du peuple qu’à l’expression de sa juste indignation. Le code pénal marocain ne condamne-t-il pas l’atteinte à l’honneur des chefs d’Etats et de gouvernements étrangers ? La justice n’avait-elle pas sanctionnée des journaux qui avaient tourné en ridicule les dictateurs Kadhafi, Bouteflika, Ben Ali, ainsi que des têtes couronnées du Moyen-Orient ? Une politique de deux poids, deux mesures qui confirme s’il en est besoin que c’est bien l’Etat et ses ramifications qui ont donné la tonalité d’une telle démonstration d’infamie.
Quand c’est la machine de l’Etat qui orchestre cela, cela s’appelle de la bêtise diplomatique. Le degré zéro de la politique et des règles de bienséance. Une cause juste peut être défendue par des moyens justes, propres et civilisés, d’autant plus que la question du Sahara, tabou suprême, n’est jamais débattue en place publique, ni même sous la coupole de l’Hémicycle, tant elle est la chasse gardée du Palais. Comment alors justifier l’appel du peuple à témoigner, quand on refuse à ce même peuple de discuter librement d’une question ayant trait à son avenir ? Voilà où se situe en réalité le curseur de la maturité. Que les autorités qui poussent des pauvres hères à comparer Ban Ki-moon à Pokémon, à un singe ou à un âne, leur donnent d’abord les clefs de compréhension de ce conflit de quarante ans au lieu de l’infantiliser à la moindre poussée de fièvre nationaliste.
Pourtant, au-delà des arguties juridiques du droit international, les arguments objectifs en faveur du Maroc ne manquent pas, nous les avons tous appris par cœur dans les cours d’éducation civique : histoire, liens culturels et cultuels, géographie, bey’a... Un dérapage verbal venant de Ban Ki-moon, présenté comme un simple fonctionnaire par des médias à l’unisson ne changera en rien en l’adhésion de tout un peuple autour de la souveraineté nationale sur ce territoire. S’exciter comme un enfant gâté qui ne veut jamais entendre des mots qui lui déplaisent ne sert qu’à montrer une chose : notre fébrilité qui frise le ridicule.
Une ambiance digne de la Corée du Nord
Pris en flagrant délit de partialité, Ban Ki-moon pouvait être gêné, décrédibilisé de manière intelligente et sage sur le territoire de la diplomatie. Un communiqué prenant la communauté internationale à témoin, suivi d’une offensive dans les chancelleries qui comptent, étaient la réplique raisonnable à adopter. Au lieu de cela, la machine de l’Etat s’est emballée comme à son habitude, usant de ses réflexes et techniques de propagande d’un autre âge, pour renvoyer au monde l’image d’un pays sous-développé rabaissé le temps d’un immense raout au rang de la Corée du Nord. Si le peuple aime son roi, la tentation d’idolâtrie dans un mouvement moutonnier n’est que contre-productive. C’est la manière la plus malsaine de défendre la sacro-sainte intégrité territoriale.
Pire que son ridicule, cette manière de procéder, laissera à n’en pas douter des séquelles durables auprès de la communauté internationale, à qui on s’évertue à vendre l’image d’un pays serein et sûr de ses convictions. Le mandat de Ban Ki-moon touche à sa fin, mais on se rappellera encore longtemps et avec mépris dans les couloirs de l’ONU d’un Maroc impulsif et rétrograde. La cause nationale n’avait pas besoin de cela.
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