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06.04.2016 à 18 H 12 • Mis à jour le 25.07.2016 à 05 H 39
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Edito

Panama Papers : silence gêné au royaume chérifien

Alors que l’onde de choc ne s’est pas assagie à l’international faisant valser nombre de personnalités publiques, au Maroc la censure et l’autocensure sur le volet local de l’affaire renseignent sur le climat délétère qui règne au sein de la classe politique, de la société civile et des médias.

Plusieurs pays ont ouvert des enquêtes pour blanchiment dans la foulée des révélations de l’enquête journalistique dite des Panama papers, qui lève le voile sur un vaste système de transactions offshore impliquant pêle-mêle des dirigeants politiques, des hommes d’affaires et des sportifs de renom.


La « plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias » est un tremblement de terre dans la sphère politique internationale. Au moins 143 responsables politiques de 50 pays différents, dont 12 chefs d’Etat, sont impliqués. L’enquête rend publique l’identité des clients de Mossack Fonseca, une firme panaméenne chargée de créer et de domicilier des sociétés basées dans des paradis fiscaux.


La justice française a ouvert une enquête pour « blanchiment de fraudes fiscales aggravées ». En Espagne, la justice mais aussi le fisc ont ouvert des enquêtes. Idem aux Pays Bas où le fisc a promis de s’intéresser aux possibles cas d’évasion fiscale. L’Australie a lancé des investigations sur 800 clients du cabinet panaméen. En Islande, le premier ministre dont le nom est apparu parmi les clients de Mossack Fonseca a été poussé à la démission… Pendant ce temps là, un silence troublant règne au Maroc, où la première fuite a levé le voile sur deux sociétés offshore gérées par Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi Mohammed VI.

Contre-pouvoirs paralysés

Aucune réaction officielle n’est venue des ministres de la Justice, de l’Economie et des Finances ou des responsables des administrations concernées. Ni de la part de l’Office des changes et de la direction générale des impôts, notamment. Le message est sans appel  :« Circulez, il n’y a rien à voir ! ».


Les contre-pouvoirs n’ont pas non plus joué leur rôle. A quelques exceptions près, les médias du pays ont fait comme si rien ne se passait dans « le plus beau pays du monde ». Le sujet est totalement absent des unes de la presse quotidienne, relégué en pages internationales où il est traité sur la base des dépêches d’agences, sans référence au Maroc. Les politiques, les députés, les partis semblent également ne pas être concernés par cette affaire.


Au delà du fait de nous apprendre que le secrétaire particulier du roi gère deux sociétés offshore dans des paradis fiscaux, les Panama papers nous frappent d’une vérité glaciale : cinq ans après l’adoption de la nouvelle Constitution de 2011, au Maroc, le roi et son entourage demeurent intouchables.


Disons le sans détour : le fait que ce soit Mohammed VI qui soit cité à travers son secrétaire particulier tétanise tout le monde. Certains se cachent derrière l’argument qui veut que le bon peuple accepte et encourage l’enrichissement du roi, comme si cela devait être une évidence de statut.


La nouvelle Constitution, aussi imparfaite soit-elle, devait mettre fin à l’impunité du pouvoir et de ses premiers cercles. Le constat est clair : la reddition des comptes n’est pas d’actualité. Le traitement politique et médiatique de cette affaire des Panama papers est là pour le montrer encore une fois.


Ceux qui se détournent de l'actualité participent à la continuité de cet état de fait. Dans le traitement de ces fuites, les démocraties font face tant bien que mal à leurs tares en mobilisant leurs institutions judiciaires. Certains au Maroc approuvent le déni de l’Etat, crient au complot, à la main invisible des services secrets américains, à la jalousie des classes… ils acceptent à tort que le pays se range aux côtés des régimes où la dictature et la censure des médias est de mise : la Chine, la Russie, les monarchies du Golfe et d’autres républiques d’Afrique subsaharienne, pour ne prendre que ces exemples.

Un débat escamoté

Etouffer l’affaire pour ne pas susciter la colère du Makhzen est une grossière erreur. Les Panama Papers ont révélé l’existence de plus de 41 sociétés nichées dans des paradis fiscaux et détenues par des Marocains. Le premier cité est Majidi, qui gère, selon les informations fuitées jusque-là, deux sociétés aux Iles vierges britanniques et au Luxembourg. Des firmes qui ont servi de véhicule financier pour l’achat d’un yacht, d’un hôtel particulier à Paris, et pour la réalisation d’un placement financier juteux dans la société Alliances Développement Immobilier.


L’argument avancé par un avocat de Mounir Majidi, très certainement Me Hicham Naciri, l’avocat du palais, est que « Les deux sociétés ont été créées conformément à la législation en vigueur et leur existence est signalée dans les registres publics. ». Soit. Ce qui justifie selon plusieurs avis, le traitement à minima de cette affaire, considérée par beaucoup comme une tempête dans un verre d’eau.


En réalité, le débat est à préciser sur des aspects escamotés. Sur la légalité d’abord de ces opérations qui sont à priori bannies par la législation et qui nécessitent donc des dérogations exceptionnelles. Celles-ci sont le fait du pouvoir discrétionnaire de hauts fonctionnaires qui s’exécutent sur injonction du Palais. Pour les entreprises qui ne font pas partie de la galaxie royale, l’obtention de ce privilège est impossible, surtout s’il s’agit d’acquérir des biens de plaisance. Nous sommes donc là face à une situation d’asymétrie qui ne s’explique que par un fait de passe-droit.


Au delà de la légalité de la procédure administrative de création des deux sociétés, une question d’éthique et de morale se pose. Pourquoi Mounir Majidi, citoyen marocain agissant pour le compte du roi du Maroc, doit-il passer par les îles Vierges Britanniques, en tenant soigneusement à cacher son identité, pour acheter un yacht, un hôtel particulier à Paris, ou pour prendre des participations dans une société de droit marocain, si ce n’est pour des raisons fiscales ?


Ces questions ont tout leur sens d’autant que les Panama Papers ne concernent pas que Mohammed VI et son secrétaire particulier. Demain, d’autres noms de politiques, d’hommes d’affaires et de grands patrons marocains seront rendus publics au fil de l’enquête.


Quelle attitude devrions nous avoir : informer le public, exiger l’ouverture d’une enquête, revendiquer la vérité, ou regarder ailleurs, comme nous le suggèrent certains à propos du roi ? Faut-il se suffire d’une déclaration sous couvert d’anonymat d’un de leurs avocats dans Le Monde pour tirer des conclusions sur la légalité de leurs actes et refermer le dossier ?


Si le Chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, un de ses conseillers ou de ses ministres étaient cités dans les Panama Papers, la machine politico-médiatique ne les épargnera certainement pas, même s’ils apportent la preuve de la légalité de leurs actes. Mais il faudra alors justifier les deux poids deux mesures, sauf à vouloir encore une fois infantiliser les Marocains.

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