De Casablanca à Bruxelles, Jawad Rhalib célèbre l’insoumission
« Je fais du cinéma du réel ». Face à l'écran noir du cinéma Lynx, c'est par ces mots que Jawad Rhalib – venu de Bruxelles pour l'occasion - a présenté Insoumise, sa dernière fable sociale et politique. Portée de bout en bout par l'inattendue Sofiia Manousha, l’œuvre braque les projecteurs sur la condition précaire des travailleurs saisonniers qui assurent la production agricole estivale de nombreux pays d'Europe occidentale. Chronique, de Casablanca à Bruxelles, d'une jeunesse révoltée.
20 février : l'exutoire inachevé d'une jeunesse conscientisée
2011, au Maroc : Laïla et ses amis discutent stratégie politique à l'aube d'une nouvelle manifestation contre le régime. Les paroles d'Hoba Hoba Spirit rythment la cavalcade qui déjà se déplace dans la ville. Harcelés par les baltaguias du pouvoir sécuritaire, les manifestants tentent de s'enfuir tandis que les coups de trique pleuvent. L'héroïne campée par la berkania Sofiia Manousha doit répondre de ses actes dans le commissariat local, où on l'accuse de tenter de déstabiliser le pays. C'est déjà le tableau d'une jeunesse en proie à l'oppression érigée en système que dresse Jawad Rhalib.
Une violence policière systémique personnifiée dans la figure d'un officier de police cynique et brutal, incarné par l'excellent Malek Akhmiss, qui campait déjà Tarik, le héros travesti de l'iconoclaste The Sea is behind d'Hicham Lasri.
Incomprise, c'est en pays wallon que la jeune informaticienne décide alors de s'exiler, tant pour fuir une situation politique incertaine que pour trouver un emploi décent. Le contrat saisonnier qu'elle décroche dans une exploitation agricole conséquente promet des jours heureux au milieu des vergers. Mais la réalité s'annonce toute autre.
Tombée dans les pommes
Entre dortoirs exigus et sanitaires insalubres, la vérité brute de la condition salariale contraste déjà avec la beauté des paysages capturés par la caméra de Rhalib. L'assurance maladie et le paiement des nombreuses heures supplémentaires ne sont plus que de douces chimères. Les contrats irréguliers, l'exploitation quotidienne, le harcèlement moral : autant d'aspects qu'éclaire cette fiction âprement réaliste, qui se refuse aux manichéismes faciles d'un certain cinéma social. Jawad Rhalib filme ainsi la détresse du propriétaire de l'exploitation, l'imposant André, belge à la barbe fournie.
Terrifié par la conjoncture internationale, le seigneur de la pomme incarne à lui seul les antagonismes d'un système économique fatalement voué à exacerber les conflits de classe.
Sous ses ordres, Thibaut gère le travail quotidien d'une vingtaine de damnés de la terre. Le riche personnage campé par Benjamin Ramon met en lumière la difficulté de cette position sociale intermédiaire, voué à n'être jamais ni parmi les puissants, ni parmi les humbles, mais à souvent jouer le jeu des premiers.
Quand les luttes convergent
Exténués par un travail qui les broient, Leïla et ses camarades décident alors de relever la tête et de faire valoir leurs droits. Le film de Rhalib, c'est le récit de prise de conscience et de cette nécessité d'organisation. Entre soutien juridique aux exploités, potentats économiques locaux et rôle de l'UE dans la politique agricole belge, Insoumise dépeint avant tout un conflit de classes férocement international. Face aux coups redoublés de la police marocaine et du capitalisme dérégulé, l’œuvre de Jawad Rhalib constitue un brûlot d'espoir politique brillamment orchestré.
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