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25.04.2016 à 18 H 13 • Mis à jour le 25.04.2016 à 19 H 07
Par
Interview

Brésil : fin de règne pour Rousseff, chronique d’une guerre des classes

Jean-Jacques Kourliandsky est chercheur historien à l’institut de relations internationales et stratégiques, spécialiste des questions d’Amérique latine. IRIS
Le projet de destitution de la présidente brésilienne Dilma Roussef est-il un coup d’Etat qui ne dit pas encore son nom ? Pris la main dans le sac, la présidente est-elle toujours légitime au pouvoir ? Quel rôle joue le puissant lobby des patrons dans cette affaire ? Peut-on parler d’une nouvelle lutte des classes ? Eclairage avec Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur et historien à l'institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de l’Amérique Latine.

La destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff par le parlement qui doit être confirmée en mai par le conseil du sénat est un « détournement de procédure » grave qui écarte, sans recours, une présidente élue par des élections générales, en bénéficiant d’une manipulation médiatique et d’un soutien des grands patronats au Brésil, explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur et historien spécialiste des questions d’Amérique latine à l’IRIS. Une destitution qui plongera le Brésil, déjà affaibli économiquement, dans un flou institutionnel et dans une situation très claire de « lutte des classes » entre pauvres et revenus moyens supérieurs. Le Desk a interrogé le chercheur français, auteur d'Amérique latine, insubordinations émergentes, pour mieux comprendre ce qu’il se trame au Brésil.


Êtes-vous surpris du vote en faveur de le destitution de la présidente Dilma Rousseff ?

Le résultat du vote était prévisible compte-tenu de la désagrégation de la coalition majoritaire (PMDB, PP, PSD, PTB,PSB), laquelle avait annoncé qu’elle voterait en faveur d'une destitution de la présidente Dilma Rousseff. En revanche, les explications de vote données par les partisans de la destitution, très saugrenues, m’ont paru déconcertantes.


La destitution a été votée par les députés de la coalition gouvernementale, à la majorité qualifiée. Il ne manque plus que le vote du Sénat pour valider sa destitution, simple procédure de formalité pour les analystes politiques. UESLEI MARCELINO / REUTERS



Certains analystes ont qualifié cette destitution de coup d’Etat légal par ceux qui n’avaient pu accéder au pouvoir par les urnes. Vous partagez cet avis ?

Le régime politique brésilien est présidentiel. Il ne prévoit pas, à la différence des systèmes parlementaires, le vote d'une censure provoquant si elle est adoptée la chute du gouvernement. Ceux qui ont voté la destitution de la présidente ont procédé à un détournement de procédure. La présidente a été destituée par le Congrès des députés pour "crime de responsabilité", c'est à dire atteinte grave à la Constitution. Or, les explications de vote en témoignent, ce n'est pas un crime contre la Constitution qui a motivé le vote des députés, mais un désaccord politique. Le détournement de procédure est donc très grave car il vise en effet un remaniement politique en écartant sans recours une présidente élue en 2014 par 54 millions de brésiliens.


Le président du Congrès, Eduardo Cunha, a été le chef d'orchestre de la mise à l'écart de la présidente pour crime contre la Constitution. Eduardo Cunha fait l'objet de demandes d'enquêtes pour fraude fiscale et détention de comptes cachés en Suisse. Son nom a par ailleurs été cité dans les Panama Papers. Carta Capital, le seul hebdomadaire d’opposition à faire une couverture sur ses démêlés judiciaires, présente le Brésil comme une république bananière.


Quels sont les enjeux derrière cette destitution ?

Le Brésil est entré en récession depuis 14 mois. Les raisons en sont multiples. La présidente avait annoncé une hausse des impôts afin de préserver les acquis sociaux de ces dernières années et relancer les investissements publics. Le patronat brésilien, et en particulier celui de la capitale économique, São Paulo, et le syndicat des exportateurs de produits agro-alimentaires, secteur économique stratégique, ont refusé cette perspective. Ils ont multiplié les démarches auprès des élus et organisé via la grande presse qui leur est acquise une intense campagne visant à faire plier le gouvernement dans un premier temps, puis à encourager la mise à l'écart de la présidente. Le vice-président, appelé, en cas de destitution à faire fonction de chef de l'État a clairement signalé, qu'une fois au pouvoir il remettrait le pays sur de bons rails économiques, grâce à une politique reposant sur la rigueur budgétaire, la reprise des privatisations, et une pleine insertion internationale du Brésil. La FIESP, le patronat de São Paulo, a remercié publiquement et régions par régions, les députés ayant voté la destitution, dans des encarts publicitaires insérés dans la « grande presse ».


Le patronat brésilien, en particulier le secteur agro-alimentaire, a apporté son soutien par les voies médiatiques à la destitution de la chef d'État brésilienne. RICARDO MORAES / REUTERS


Comment une présidente « incorruptible » qui a limogé plusieurs ministre soupçonnés de corruption est arrivée à cette situation ?

Votre question est révélatrice du succès de la manipulation médiatique. La présidente n'est pas écartée pour corruption mais pour crime contre la Constitution. Son crime selon les initiateurs de la proposition serait d'avoir présenté le dernier budget avant les élections présidentielles de 2014 de façon volontairement trompeuse. Pratiquement aucun député n'a évoqué le motif officiel de la destitution pour justifier son vote.


Est-ce que nous sommes devant une situation claire de polarisation des classes au Brésil, si on prend en considération les milieux sociaux d’où viennent les pro et les anti-Rousseff ?

Les classes moyennes et supérieures se sont mobilisées afin de ne pas avoir à payer la perpétuation de politiques sociales bénéficiant aux plus pauvres. L'adoption de quotas permettant aux plus pauvres, aux noirs et aux indigènes, d'accéder à l'université avait, dès avant la récession, braqué les milieux universitaires et les classes moyennes soucieuses de maintenir un entre-soi sélectif. Les catégories aisées ont supporté les gouvernements du parti travailliste (PT) jusqu'en 2013, soit au cours de la période de croissance économique, permettant la générosité sociale, tout en offrant des perspectives de gains aux mieux-pourvus. La récession a changé la donne. Le recours en 2013 à des médecins cubains pour permettre la couverture universelle à la population avait mobilisé les professionnels privés de la santé contre le gouvernement. L'adoption en 2014 d'une loi rendant obligatoire la déclaration du personnel domestique, plus de six millions, avait renforcé l'hostilité des classes moyennes. Les plus pauvres n'ont pas manifesté contre le PT et la présidente. Ils n'ont pas pour autant manifesté de façon massive en leur faveur. La crise est passée par là. Elle a partiellement démobilisé les plus démunis. D'autant plus que le PT qui avant 2003 avait un contact permanent avec les mouvements sociaux a partiellement abandonné cet acquis. Un grand nombre de ses cadres a en effet intégré l'appareil d'État.


Le parti travailliste a perdu depuis son arrivée au pouvoir l'assentiment généralisé de la rue et des classes les plus-démunies. ADRIANO MACHADO / REUTERS

Ces épisodes peuvent-il ramener la gauche dans la rue ?

Le Brésil était déjà dans une situation de faiblesse économique et institutionnelle. La procédure de destitution, loin de clarifier les choses, va les rendre encore moins gérables. Le PT a d'ores et déjà signalé qu'il considérerait illégitime la destitution si elle arrivait à son terme. Cette procédure a ressoudé le camp de gauche, affaibli par diverses divisions ces dernières années. D'autre part Michel Temer, vice-président appelé à succéder à Dilma Rousseff pourrait être démis pour participation au réseau de corruption, tout comme les présidents du Congrès et du Sénat, tous membres du PMDB. Perspective ayant motivé le refus du centre-droit, le PSDB, de participer à un éventuel gouvernement présidé par Michel Temer.


Le PT paie t’il sa déviation vers des politiques libérales en acceptant le jeu des alliances obligatoires ?

La Constitution de 1988, et le système électoral brésilien ne permettent pas l'émergence de majorités solides. Les présidents élus se trouvent de fait en cohabitation avec un parlement éclaté, en 20 à 22 groupes parlementaires. Ce qui les oblige quel que soit le vainqueur, le PT ces dernières années, à négocier avec des formations d'orientations souvent fluctuantes. Ce mode de fonctionnement favorise une culture du donnant-donnant, au plus offrant, dont les limites restent ouvertes. Au lendemain des élections de 2014 le PT qui n'avait que 59 députés sur 513 a négocié un accord majoritaire avec huit autres formations. Les grands partis, PT et PSDB ont reconnu la nécessité d'une réforme politique afin de donner au pays une stabilité et une transparence jusqu'ici impossible. Mais l'adoption d'une telle réforme suppose le vote d'une loi et donc l'impossible approbation de petites formations, bénéficiaires du système actuel.


Est-ce le retour du courant réactionnaire de droite et de la sphère des hommes d’affaires au Brésil, après l’Argentine ?

La crise économique déstabilise les gouvernements en Amérique latine qui, ces dernières années ont privilégié les politiques de développement social reposant sur la défense de la souveraineté nationale. Faute d'avoir pu ou su anticiper le retournement de conjoncture — la chute des prix des matières premières agricoles, minérales, énergétiques —, ces gouvernements sont étouffés par le tarissement de ressources alimentant leurs budgets et finançant les programmes sociaux. D'autant plus que la plupart de ces pays avait refusé d'affronter les catégories privilégiées en réformant leur fiscalité. Le cas du Venezuela est particulièrement emblématique. La pression fiscale, 14 % du PIB est l'une des plus faibles d'Amérique latine. L'action révolutionnaire et les programmes sociaux étaient en effet financés par les exportations pétrolières.


Les droites locales, les patronats, ont repris la main en Argentine, au Venezuela, au Brésil, en raison de la fenêtre qui leur a été ainsi offerte par le retournement de la conjoncture économique. Ils l'ont fait partout en s'appuyant sur de puissants groupes de presse privés, se comportant en défenseurs d'intérêts particuliers et non en fournisseurs d'informations à l'opinion.


Les américains ont-il joué un rôle dans les diverses crises politiques sud-américaines ?

Les Etats-Unis ont certes de bonnes relations avec les secteurs les plus libéraux des sociétés latino-américaines. Mais ils n'ont pas eu ces derniers mois de rôle actif dans les changements en cours comme cela avait été le cas avec l'encouragement donné aux dictatures militaires dans les années 1970. Barack Obama est venu saluer à Buenos Aires l'alternance de la droite libérale. Mais il n'a pas été à l'origine de celle-ci.

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