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29.04.2016 à 14 H 43 • Mis à jour le 29.04.2016 à 14 H 45
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Disparitions

Algérie, Egypte, Liban : les femmes à la recherche des desaparecidos

A Alger, des centaines de manifestantes se rassemblent régulièrement devant l’Assemblée populaire pour protester contre les disparitions forcées de leurs proches durant la décennie noire. Ici lors d’un sit-in en janvier 1999. AFP
Dans ces trois pays du monde arabe, des épouses et mères de disparus se mobilisent et donnent de la voie en descendant dans la rue, à l’image du mouvement des Mères de la place de Mai en Argentine.

Des centaines de personnes ont été victimes de disparitions forcées dans plusieurs pays arabes, non seulement durant les guerres civiles mais sous la répression de régimes dictatoriaux. Pour connaître la vérité sur leur sort, des épouses et des mères n’ont pas hésité à descendre dans la rue. Elles se sont transformées en activistes et ont mobilisé leurs communautés afin de faire pression sur les institutions politiques.


Les circonstances politiques et sociales durant lesquelles se sont vérifiées ces disparitions forcées ne sont pas les mêmes : au Liban, les enlèvements sont advenus durant la guerre civile qui a enflammé le pays entre 1975 et 1990, en Algérie lors du conflit qui opposa les forces de sécurité et les mouvements islamistes durant la décennie noire, en Egypte au cours des deux dernières années gouvernées par un régime brutal.


Ce qui est semblable dans ces trois pays, c’est l’injustice et l’impunité dont jouissent les auteurs de ces crimes, tout comme le refus constant de la part des forces de l’ordre d’admettre leur propre implication dans ces exactions. C’est pourquoi les parents des victimes, ainsi que les activistes qui les ont rejoints et tous ceux qui se battent à leurs côtés, ont désormais perdu toute confiance vis à vis de l’Etat et de l’application de la loi.


Au Liban, les épouses et mères de disparus dans la rue

Au Liban, la guerre civile a provoqué 150 000 morts et 17 000 disparitions. A la fin de ce conflit, le gouvernement n’a pas été en mesure de fournir aux familles des informations concernant le sort des personnes disparues. Ces familles n’attendent plus rien du gouvernement, surtout après que le Parlement a approuvé une amnistie générale pour tous les crimes commis durant cette guerre. Le sens de l’injustice a été un des principaux facteurs qui a poussé les épouses et les mères des personnes disparues durant les périodes les plus violentes du conflit à s’unir pour protester.


Les gens de ce mouvement continuent de réclamer au gouvernement de se prononcer sur le sort de leurs proches, et d’inciter les organisations de la sociétés civiles qui s’occupent de droits de l’homme à prendre en considération la question des desaparecidos et à soutenir le droit des familles à connaître la vérité.


Des femmes libanaises brandissant des photographies de proches disparus à Beyrouth, le 17 Novembre 2012. ANWAR AMRO / AFP


En 2010, Wadad Halwani a écrit ses mots à son mari, disparu il y a 28 ans. Il aurait aujourd’hui 64 ans et serait à la retraite. « Adnoni, le fait que tu aies désormais l’âge d’être retraité n’arrêtera pas mes recherches, ni n’enverra ton amour à la retraite. Ta résistance, ta détermination et ta patience feront redoubler mes efforts pour obtenir ce qui me revient de droit, ce qui nous revient de droit. Crois-moi, tôt ou tard j’y parviendrai, et peu importe le temps qu’il faudra. Les forces de l’ordre essaient de me faire changer d’idée, mais elles ne réussiront pas. Tout comme échoueront leurs tentatives de me faire taire ou de déclarer, désormais, décédés tous ceux qui ont disparu, pour mettre une croix sur cette affaire. »

 

Wadad Halwani dirige le Comité des familles de personnes enlevées et disparues. Son mari Adnan a été enlevé en 1982, durant la guerre civile, par la seconde division des services secrets militaires parce qu’il était membre de l’Organisation d’action communiste. Elle commença à chercher son mari dès les premiers jours qui suivirent son enlèvement. En s’adressant aux différentes institutions de l’Etat, elle entendit souvent d’autres histoires semblables à la sienne, sans solution. Des histoires comme celle de son mari Adnan, restées lettre morte.


Wadad Halwani ne perdit pas l’espoir pour autant. Elle fit une annonce à la radio, invitant les familles de disparus à se retrouver devant la Cour pénale. Elle voulait maintenir l’intérêt des médias locaux et internationaux sur la question des desaparecidos, et transformer la souffrance endurée par les familles en une force collective, capable d’attirer l’attention des organisations des droits de l’homme au Liban et à l’étranger. A sa grande surprise, des centaines de mères et d’épouses se présentèrent à la première rencontre. Elles commencèrent à travailler ensemble. Ainsi naquit le Comité des familles des personnes enlevées et disparues.


Au cours de ces dernières années, le Comité a lancé de nombreuses initiatives, notamment l’installation d’une tente devant le siège des Nations Unies que beaucoup considèrent, désormais, comme leur seconde demeure.


Après la déclaration de paix au Liban et l’élaboration, en 1989, d’un Document d’accord national, connu sous le nom d’Accord de Taïf, les mères des desaparecidos ont continué de subir la cruauté du gouvernement. Les familles ont néanmoins maintenu la pression sur les autorités pour savoir ce qui était vraiment arrivé à leurs proches, en lançant la campagne « We have the Right to Know » (“nous avons le droit de savoir”) grâce à laquelle un comité d’enquête a été constitué avec pour mission d’enquêter sur les disparitions forcées.


Ce comité a produit un rapport révélant l’existence de fosses communes. Malgré la douleur qu’il a provoquée, les familles ont finalement pu attenter un procès à l’Etat. Ainsi en 2014, le tribunal a contraint le gouvernement à fournir une copie de toute la documentation rassemblée par le Comité d’enquête. La décision de la Cour a été considérée comme une victoire du droit à l’information.


En Algérie, la plaie toujours ouverte de la décennie noire

L’Algérie a connu une souffrance indicible durant « la décennie noire ». De 1992 à 1998, le pays a été le théâtre d’un conflit sanglant entre l’armée et les forces de sécurité, d’un côté, et les groupes islamistes de l’autre. Durant cette période des milliers de personnes ont disparu.


Nassera Dutour, présidente du collectif des familles de disparus en Algérie, explique la naissance de ce mouvement en ces termes : « J’ai parlé avec Amnesty International à Paris et à Londres, et j’ai su qu’il y avait de nombreux cas comme le mien en Algérie. Je connaissais déjà le phénomène des disparitions forcées, mais je n’imaginais qu’il fût aussi répandu. J’ai collecté les adresses des familles de desaparecidos qui vivaient à Paris, et nous nous sommes rencontrés dans la capitale française en novembre 1997. Nous étions 10, 11 personnes peut-être, Je leur ai proposé de remplir un questionnaire et de l’envoyer aux Nations Unies. Je me suis basée sur une législation internationale pour rechercher la vérité. Aujourd’hui le nombre de cas enregistrés s’élèvent à 3000. »


Nassera Dutour lutte pour connaître la vérité sur le sort de son fils disparu en 1997, et pour que la question des desaparecidos en Algérie reste une priorité malgré la consigne au silence qui entoure ce sujet. Le gouvernement algérien continue d’étouffer le problème en dispersant les familles qui se réunissent régulièrement sur la place publique. Celui-ci soutient que ces manifestations minent la cohésion de l’Etat national, et s’en sort en offrant aux familles des compensations financières pour la disparition de leurs proches, dont le décès est déclaré légalement.


Selon les organisations non gouvernementales algériennes, 25 % des familles ont refusé ces dédommagements. Quant aux nombreuses familles qui les ont acceptés, elles continuent de manifester pour obtenir les restes de leurs proches et les ensevelir. Les mères algériennes veulent des réponses sur le sort de leurs enfants. Elles veulent savoir comment ils ont été enlevés et pourquoi, s’ils figurent vraiment parmi les morts. Car elles ont le droit d’obtenir les restes d’êtres chers, d’en célébrer les funérailles et de prier sur leurs tombes.

En Egypte, une mobilisation encore plus ardue

Le cataclysme politique qui a transformé l’Egypte ces deux dernières années et demies explique que les disparitions adviennent dans des circonstances très différentes de celles qui caractérisent l’Algérie et le Liban. Les faits sont encore récents. Cependant les femmes, épouses et mères, des personnes disparues sont en train de suivre le même parcours que les Algériennes et que les Libanaises. Elles aussi descendent spontanément dans la rue pour demander la vérité sur le sort de leurs fils et maris.


Un manifestant égyptien montrant une photo de son fils tué sur la place Tahrir, le 23 décembre 2011, lors d'un rassemblement de masse contre les militaires au pouvoir, qui a suscité l'indignation lorsque des soldats ont violemment chargé les femmes venues en majorité pour réclamer le sort de leurs proches disparus. FILIPPO MONTEFORTE / AFP


En général les femmes se retrouvent en petits groupes, pour des raisons différentes, certaines familles évitent de parler des disparitions forcées en public, parce qu’elles craignent les représailles des forces de sécurité. Elle craignent également de parler avec les médias où avec la police de peur de mettre en danger la vie de leurs proches lorsqu’ils sont en détention. A l’inverse du Liban et de l’Algérie, le fait que les familles communiquent peu entre elles rend la mobilisation de la population encore plus ardue.


Cependant tandis que la situation politique se détériore, que les forces de sécurité contrôlent avec une poigne de fer les espaces publics, les disparitions forcées, les arrestations et les détentions d’activistes et de militants politiques et que les organisations de la société civile sont sous le joug de limitations croissantes, les protestations des familles de prisonniers politiques et de desaparecidos augmentent, comme celle qui a eu lieu au mois de mars devant le Syndicat des journalistes, dans le centre du Caire.


Les familles de disparus en Egypte essaient de prendre exemple sur les expériences de mouvements similaires, dans les pays arabes et dans le monde, partout où les femmes se sont montrées aptes à sensibiliser l’opinion publique et de pousser la communauté internationale à intervenir. La souffrance des femmes, en particulier des mères, peut créer des liens très solides et donner vie à une forme d’activisme singulière, capable d’attirer l’attention de l’opinion publique mondiale.


La participation de Wadad Halwani à l’écriture d’une loi sur le « droit de savoir », en collaboration avec le Centre pour la justice transitionnelle et la Fédération des femmes d’Algérie guidée par Nassera Dutour, est un modèle pour les mères de desaparecidos en Egypte et dans d’autres pays. Leurs histoires sont la preuve que trouver la vérité et punir les coupables ne relève plus de l’impossible.


Cet article de Abdel Rahman Gad  a été publié dans Mada Masr en anglais et en arabe a été traduit en français dans Babelmed dans le cadre du programme Ebticar Médias dont fait partie Le Desk.

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