L’alliance Atlantique se met en ordre de bataille pour contrer Poutine
La Russie tracasse considérablement l’OTAN, et constitue une menace encore plus dangereuse que les jihadistes, estime le général tchèque Petr Pavel, le président du comité militaire de l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Dans un entretien accordé au Monde, il a affirmé que “l’attitude parfois agressive” de la Russie pousse l’OTAN à préparer en priorité une “stratégie” pour se protéger des activités militaires russes. “Du point de vue militaire, la menace à l’est est bien plus importante, car les capacités russes, incluant un vaste arsenal nucléaire, posent potentiellement un problème existentiel”, a déclaré Pavel au quotidien français.
Ces derniers mois, de nombreux incidents sont survenus impliquant la Russie, nombre d’entre elles étant considérées comme des provocations. Si le général précise qu’aucune “incursion sur le territoire de l’OTAN” n’a été constatée, l’armée russe se permet fréquemment des excentricités “dans les espaces internationaux aériens et maritimes”. Le 14 avril dernier, Washington dénonçait des vols “agressifs” de deux avions Su-24 autour du navire américain USS Donald Cook en mer Baltique. Alors que les autorités russes ont parlé de “vols d'entraînement”, les États-Unis y ont plutôt vu une “attaque simulée”.
Des accusations qui sont devenues récurrentes chez les occidentaux, qui craignent que les manoeuvres russes servent à des repérages ou à tester les systèmes de défense. Le 17 février 2016, deux bombardiers russes étaient interceptés dans la Manche par les aviations britanniques et françaises. Les bâtiments s’étaient approchés à seulement quelques dizaines de kilomètres des côtes françaises. Le général évoque des “provocations délibérées”, et redoute qu’un de ces incidents ne finisse par la riposte en autodéfense de positions de l’OTAN, ce qui entraînerait des “effets dominos [...] très difficiles à arrêter”.
Retour au siècle dernier
Dans son interview au Monde, Petr Pavel n’emploie jamais le terme de “guerre froide”, mais évoque une “guerre hybride”. Il explique que la Russie use du terme de “continuum militaire”, une “guerre constante, avec des moyens qui vont de la propagande à l’emploi de soldats non identifiés, du cyber aux armes nucléaires”. Si l’expression, effrayante car elle renvoie à un contexte géopolitique qu’on pensait révolu, n’est pas prononcée, on se retrouve pourtant dans une situation similaire en plusieurs points à celle vécue après la seconde guerre mondiale et avant la chute du bloc soviétique.
Si on est encore loin des périodes les plus tendues entre les deux camps, les relations tendent à se dégrader. Depuis le 22 janvier 2015, l’horloge de la fin du monde indique 23h57. Elle n’avait jamais été aussi proche de minuit depuis 1984. Récemment, Russie et États-Unis ont renouvelé leur arsenal nucléaire vieillissant, et disposent désormais d’armes de destructions modernes. Pas de quoi rassurer des pays comme la Pologne, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, qui ont exprimé leurs inquiétudes en réalisant que le régime de Vladimir Poutine était capable d’attaquer ses voisins, de manière plus ou moins détournée, avec l’annexion de la Crimée. “Nous devons donc nous tenir prêts à toutes les éventualités”, commente le leader de l’OTAN. “Nous préparons nos troupes à des scénarios comme celui de l’est de l’Ukraine, et les états baltes sont en première ligne. Nous finalisons un plan de défense de cette région, qui sera adopté à Varsovie », ajoute-t-il.
L’OTAN a multiplié les manoeuvres militaires ces derniers mois. Du 17 août au 13 septembre 2015, le Swift Response 2015 devenait l’entraînement aéroporté allié de plus grande envergure pratiqué sur le continent européen depuis la fin de la Guerre froide, mobilisant 5 000 militaires de 11 pays de l’OTAN. Une démonstration de force visant à “démontrer la capacité de l’Alliance à se déployer rapidement et à opérer en soutien au maintien d’une Europe forte et sûre”, annonçait l’armée américaine.
L’option militaire, pas une solution
La difficulté pour les occidentaux est de s’adapter à une “guerre flexible”, et de s’accorder à distribuer une réponse “proportionnée”, prévient Pavel, qui avoue que la Russie joue bien le coup en provoquant sans cesse mais sans franchir les limites : une intrusion ou une attaque contre un membre de l’OTAN, qui provoquerait automatiquement la réaction des alliés. “La Russie sait que ses actions créent de la confusion et de l’incertitude à Bruxelles”, reconnaît le général, qui veut répliquer intelligemment : “Masser nos forces aux frontières ne servira pas nos objectifs. Il ne faut pas entrer dans une course aux armements avec la Russie”.
Autant que militaire, la dissuasion doit s’effectuer sur les terrain économiques et politiques, considère-t-il. Et pendant que les deux blocs ravivent les vieilles tensions, jamais disparues mais jamais non plus exhibées à un tel point depuis la chute de l’URSS, le moyen-orient se déchire, tout en étant la base reculée d’opérations terroristes dont l’objectif est d’attaquer l’Europe. Avec, cerise sur le gâteau, des intérêts divergents des grandes puissances dans la région, notamment en Syrie, exacerbant la discorde entre l’ouest et la Russie, et contribuant au maintien voire à l’accentuation de la zizanie dans la zone.
Ne pas répéter les erreurs du passé
“La menace au sud n’est pas aussi vitale”, admet le général tchèque. “Nous ne pouvons pas la contenir uniquement avec des moyens militaires, ni bâtir un mur en pensant ainsi vivre tranquilles en Europe. Nous devons stabiliser les régions en crise, et cela sera un long processus”. Des mots qui rappellent le fiasco libyen. L’OTAN était intervenue en Libye en 2011 pour chasser Mouammar Kadhafi, qui persécutait son peuple, du pouvoir. “Le plan militaire était intelligent, il a atteint ses objectifs en un temps très court [...] Mais il n’a pas été suivi d’un plan politique. Il n’y avait pas d’alternative à Khadafi, personne pour prendre le pays en main, et le résultat fut le chaos politique”.
Le 11 avril dernier, Barack Obama confiait d’ailleurs à Fox News que son plus grand regret durant ses deux mandats et ses huit ans à la présidence des États-Unis a été sa gestion du futur pour la Libye : “Ma pire erreur aura probablement été de n'avoir pas mis en place un plan pour ‘l'après’ au lendemain de ce qui fut, je pense, une intervention justifiée en Libye”. Une erreur à ne pas commettre de nouveau.
La menace jihadiste provient “d’acteurs non étatiques, du terrorisme, des migrations”, ce qui requiert une approche nouvelle. “Même si nous parlons principalement de l’Irak, de la Syrie et de la Libye, il faut une perspective régionale”, prévient Pavel, qui a constaté que plus les circonstances deviennent défavorables pour Daech en Syrie, plus les réseaux jihadistes s’étendent dans des pays voisins comme la Libye, l’Égypte, ou la Tunisie.
L’action de l’OTAN à ce sujet n’est pas encore claire, admet son patron. L’usage de la force militaire seule ne pourra pas tout régler, et une assistance plus poussée et intelligente aux pays concernés est envisagée. En les ravitaillant en moyens militaires et en outils de sécurité intérieure, et en soutenant leur développement économique, les pays occidentaux espèrent offrir une aide permettant de mieux garder la région sous contrôle.
Face au capharnaüm ambiant, l’idée de confier le concours d’un pays à une seule entité (OTAN, UE, pays spécifique), qui coordonnerait ensuite les actions en coopération avec d’autres acteurs, fait son bonhomme de chemin. Le général Pavel pense que cette solution améliorerait l’efficience du système, et prend la Tunisie en exemple : “Quatre pays fournissent de l’assistance dans les mêmes domaines, l’OTAN et l’UE sont présentes, ce n’est pas assez efficace”. Des propositions seront attendues pour le sommet de Varsovie. Reste à savoir si la Russie ne monopolisera pas le débat.
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