La folle histoire du lanceur d’alerte d’origine marocaine harcelé par Israël

Le lanceur d’alerte Mordechai Vanunu risque une nouvelle incarcération pour violation des conditions de sa mise en liberté. Le maroco-israélien est accusé d’avoir eu des échanges avec des ressortissants américains dans un hôtel de Jérusalem-est pendant plus de trente minutes en 2013 et d’avoir déménager de son appartement en 2014 sans en avoir informé les autorités, rapportait The Jewish Voice hier. Il est également soupçonné d’avoir révélé des informations à Channel 2 News à l’occasion d’un entretien avec le média en septembre 2015. Des prétextes selon Avigdor Feldman, son avocat, qui parle de « harcèlement ». « Une mise en examen pour avoir rencontré deux étrangers il y a trois ans, pour avoir emménagé dans un nouvel appartement situé dans le même immeuble que le précédent, et pour avoir donné une interview qui a été présentée dans les règles à la censure militaire », pour Feldman il s’agit ni plus ni moins d’acharnement. Son client n’a pas été épargné par la justice israélienne, qui ne lui a jamais pardonné d’avoir révélé au monde l’existence d’un programme d’armement nucléaire israélien. Rembobinage.
Un complexe nucléaire sous couverture
Mordechai Vanunu est né à Marrakech de parents juifs orthodoxes. Il émigre avec sa famille en Israël dès l’enfance, et après avoir étudié la philosophie et un passage dans l’armée, il se retrouve à travailler dans une installation de Dimona, située dans le désert à 200 kilomètres au sud de Jérusalem. De façade, il s’agit d’une fabrique de textile. Mais c’est en fait un complexe nucléaire qui s’y cache, dans lequel Vanunu est recruté en tant que technicien. Il y sera employé pendant neuf ans, avant d’en être renvoyé pour ses opinions divergentes avec la politique du pays, notamment concernant le traitement de la Palestine. Il aura quand même le temps d’introduire un appareil photo dans la centrale et de prendre des clichés des lieux, dans lesquels est produit du plutonium et sont confectionnées des armes nucléaires.
Il décide ensuite de s’exiler en Australie, où il change radicalement de vie. Il prend le nom de John Crossman et se convertit au christianisme via l’Église anglicane d'Australie. Loin de sa vie antérieure, son passé le rattrape quand il est approché par Peter Houman, journaliste au Sunday Times, qui a réussi à le retrouver. Il a entendu des rumeurs et souhaite rencontrer Vanunu en personne. Il se rend donc en Australie pour établir le contact. Après s’être assuré que le récit de son interlocuteur est crédible, Houman le persuade de l’accompagner au Royaume-Uni, où il est caché dans un hôtel de campagne pendant que les enquêteurs du journal effectuent les recherches nécessaires pour corroborer ses dires. Mais le temps passe, et Vanunu s’ennuie. Il change d’hôtel pour s’installer dans le centre de Londres, où il rencontre une femme de laquelle il s’entiche. Houman le prévient qu’il peut s’agir d’un piège, mais Vanunu décide de partir à Rome avec elle, qui se présente comme étant une touriste américaine.

Embobiné par une agent du Mossad
Une bien mauvaise idée. Dans la capitale italienne, il est discrètement enlevé et acheminé vers Israël par bateau. La femme en question était en fait un agent du Mossad, une branche des services secrets israéliens. Malgré la disparition de son témoin clé, le Sunday Times publie son article, qui ne fera pas autant de bruit qu’espéré. Il était prévu que Vanunu fasse des apparitions à la télévision pour commenter ces révélations, ce qui aurait permis de lancer la machine médiatique. Plusieurs semaines après s’être emparé de lui, Israël admet que Vanunu est en sa possession, tout en se gardant de mentionner qu’il a été kidnappé dans un pays étranger. C’est donc le prisonnier lui-même qui, le jour de son procès, réussit à se procurer un stylo et écrit sur sa main le message « Détourné à Rome le 30 octobre 1986 ». Il sera jugé coupable de trahison et d’espionnage et condamné à 18 ans de prison. Il purgera sa peine dans la prison de Shikma, dans la ville d’Ascalon.
Plus de dix ans à l’isolement
Dès sa sortie de prison, il a demandé à bénéficier de la loi dite de « révocation de la citoyenneté israélienne » qui permet à la Cour suprême d’Israël de destituer de leur nationalité les Israéliens condamnés pour traîtrise ou espionnage. La Cour lui a refusé cette possibilité inscrite dans la législation israélienne. Depuis lors, il n’a cessé de faire l’objet de poursuites judiciaires.
En 1997, il est adopté par un couple d’Américains anti-nucléaires, Nick et Mary Eoloff. Une première procédure d’adoption a été rejetée, avant que la justice ne leur donne raison en retrouvant la trace d’un cas d’adoption d’un adulte dans le Minnesota, qui leur a servi de jurisprudence. Leur idée était de l’adopter pour lui octroyer la citoyenneté américaine et le faire sortir de prison. Mais la nationalité américaine ne lui est pas accordée. Ils décident alors de profiter de leur nouveau statut de parents pour venir lui rendre visite, ce qu’ils parviendront à réaliser, non sans mal. En 1998, il a enfin la possibilité de quitter l’isolement, qu’il fréquentait depuis le début de son incarcération. Il y retournera ensuite quatre mois pour divers comportement inappropriés sans grande importance. Il est libéré sur parole en 2004, interdit de communiquer avec des étrangers, de parler à la presse, ou de quitter le territoire. La même année, il demande l’asile à la Norvège pour « raisons humanitaires », une requête qui n’aboutira pas. Ayant peur pour sa vie, il tente d’obtenir l’asile dans d’autres pays, en vain. Sous étroite surveillance, il est plusieurs fois accusé de manquements à ses conditions de libération. En juillet 2007, il écope de six mois de prison ferme et six mois avec sursis. En 2010, il passe onze autres semaines derrière les barreaux.

Harcelé parce-que…Marocain ?
Il épouse en mai 2015 sa conjointe de longue date, la Norvégienne Kristin Joachimesen. Des voix se sont élevées en Norvège pour lui permettre de rejoindre le pays et d’obtenir un visa. Des membres du gouvernement se sont prononcés en faveur de l’idée, appelant à accentuer la pression sur Israël pour le laisser partir. Mais l’état hébreu ne l’entend pas de cette oreille, et compte bien le garder sous contrôle. Le prisonnier d’opinion, entre autres nommé prix Nobel alternatif en 1987 « pour son courage et son abnégation en révélant l'étendue du programme d'armement nucléaire d'Israël », n’est donc pas prêt de franchir la frontière et retrouver une vie normale.
Quelques voix au Maroc ont fait remarquer qu’étant à l’origine marocain, lui-même, ses parents et ses ancêtres sont nés au Maroc, sa nationalité marocaine est restée intacte du point de vue de la loi marocaine. De fait, Vanunu reste un marocain de nationalité, comme d’ailleurs tous ces compatriotes de confession hébraïques ayant immigré à l’étranger de force ou par choix.
Lors de son interview à Channel 2 en septembre 2015, relayée par Haaretz, Mordechai Vanunu avait lui-même avancé que son harcèlement par Israël était dû à ses origines marocaines : « Si j’étais ashkénaze et originaire d’un kibboutz, j’aurais été traité correctement », avait-il déclaré.
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