Travail des filles mineures : Najat Ikhich appelle à la mobilisation de la rue

Votée par la commission des affaires sociales de la chambre des Représentants, la loi n°12-19 autorisant le travail des « petites bonnes » à partir de 16 ans a provoqué l’émoi des féministes et de la société civile. Pour faire passer cette « patate chaude », longtemps reportée par les gouvernements qui se sont succédés, le PJD a cherché l’appui de sa majorité, dont les députés du PPS. Le parti de Nabil Benabdellah a dû faire face à une crise au sein de ses rangs qui ont refusé de voter une loi jugée non progressiste. Dans une tentative pour sauver les apparences, le texte a fixé le salaire minimum des employées domestiques à 1540 DH, assorti d’une obligation de déclaration à la Caisse nationale de sécurité Sociale (CNSS). Des mesures jugées « démagogiques » par la société civile qui a largement condamné cette loi. Eclairages avec Najat Ikich, militante des droits de la femme et présidente de la Fondation Ytto pour le soutien aux femmes.
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Avez-vous eu le sentiment d’un recul sur les acquis des femmes et des enfants après le vote de ce texte en commission ?
En vérité, je redoutais ce vote mais je n’ai pas été tant choquée par l’adoption de cette loi. D’une part, le PJD a des postures rétrogrades connues, mais ce vote est la preuve de la prédominance de la prédation politique dans les milieux progressistes. Ces derniers sont prêts à avaler toutes les couleuvres pour s’agripper au pouvoir.
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Pourquoi les femmes politiques n’ont-elles pas fait entendre leur voix ?
Malheureusement, les femmes militantes sont otages des positions de leur partis. Elles subissent la pression et la tutelle de leur groupes politiques. Pour militer, elles doivent travailler en dehors des partis. Cette loi a démontré aussi que le camp des féministes est désordonné, fragile, ce qui limite son actions sur le terrain.
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Quelles seront les conséquences de ce texte sur la sociologie des femmes au Maroc ?
Les victimes toutes désignées sont ces femmes-enfants issues des campagnes. En plus d’être otage du mariage pour mineur, elle seront désormais réduites à l’esclavage et jetées dans le monde impitoyable du travail domestique dans les villes. Par ailleurs, c’est l’école publique qu’on a mis trop de temps à rendre accessible dans ces régions qui seront dorénavant désertée par ces filles qui seront fatalement poussées par leurs parents à aller gagner de l’argent dans la violence et l’anonymat des villes. Pourtant, le Maroc a signé des conventions internationales interdisant le travail des enfants. Pour résumer, ces filles mineures ont désormais le choix entre le mariage et le travail.
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Le PPS, qui a présenté cette loi, avance que ce texte a apporté également un lot de nouveautés comme la fixation d’un salaire minimum et l’obligation d’inscription à la sécurité sociale…
C’est de la poudre aux yeux. Les gens ne sont pas dupes, ils savent qu’une fois ces filles seront placées chez des familles, personne ne viendra vérifier si ces injonctions sont respectées ou non.
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Les défenseurs de ce texte de loi estiment que l’âge des 16 ans colle à la réalité du pays et à ses traditions. Que répondez-vous à cela ?
Il existe d’autres phénomènes et pratiques dans la société marocaine, comme la prostitution consentie par les parents, le viol, la pédophilie … Est-ce une raison pour les légaliser au lieu de les combattre. Le but du droit consiste à changer les mentalités. Cette référence aux traditions marocaines est utilisée comme appât politique par les partis qui utilisent le populisme dans le but de faire passer des lois restées dans les tiroirs pendant des années. Maintenant que la majorité gouvernementale est sure du soutient populaire, elle a les coudées franches pour allez au bout de sa feuille de route idéologique.
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Y a-t-il encore une chance pour barrer la route à cette loi ?
Pour barrer la route à cette loi, il faut des actions de protestation quotidiennes et ciblées. Mais pour cela, il va falloir que le mouvement féministe et la société civile se réorganisent et fixent clairement comme objectif de lutter contre ce texte irrespectueux pour les enfants et les femmes. Gagner le combat de l’opinion publique et la rue sera dur, mais il va montrer si la société civile est capable encore une fois de faire entendre sa voix.
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