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14.05.2016 à 19 H 50 • Mis à jour le 14.05.2016 à 20 H 01
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Rencontre

Walid Benselim : « il faut plus de liberté aux gens pour qu’ils ne pètent pas un câble »

3.05.2016, Essaouira. Walid Benselim, chanteur du groupe N3rdistan, ici dans la salle d’exposition de photos de Jean-Luc Manaud sur les confréries Gnaoua et Aïssaoua à l’Institut Français d’Essaouira. DAVID RODRIGUES / LE DESK
Le groupe marocain N3rdistan monte samedi soir sur la scène du festival Gnaoua et musiques du monde à Essaouria. Une première pour ce jeune groupe engagé. Très engagé que se soit dans sa musique, un métissage entre musique électro et rap, que dans ses textes qui dénoncent l’injustice et prônent la liberté. Le Desk a taillé une bavette avec son leader, Walid Benselim.

Parmi la foule présente à l’Institut français d’Essaouira, Walid Benselim, le leader de N3rdistan, est le genre de personne qu’on reconnaît de suite. Grand, mince, souriant et avec des cheveux très, très volumineux. Walid Benselim est très abordable. Un jeune homme qui n’aime pas le vouvoiement et qui n’hésite pas à prendre le temps de discuter sur tous les sujets. Sans tabous.


Une poignée de main et direction l’étage inférieur, plus tranquille, pour échanger. Le membre du groupe N3rdistan composé de Widad Broco aux machines, Benjamin Cucciara à la kora et à la flûte peule et Nazim Moulay aux percussions, milite pour un monde différent. Un monde alternatif, qui selon lui, est possible. En tous cas, il y croit. Il l’espère. Il le rêve et emporte toute personne qui met un pied dans son monde, le monde du N3rdistan. Rencontre.


Vous êtes un jeune groupe de musique qui compose des textes en darija, mais aussi en arabe classique car vous reprenez des vers de grands poètes arabes classiques. Pourquoi ce choix ? Pourquoi ne pas avoir choisi des poètes marocains et donc des textes en darija ?

Je ne sais pas, on ne s’est pas posé la question. On adore la poésie et ces poètes-là. Elles nous inspirent énormément et du coup, on s’est dit qu’on allait reprendre ces textes-là. Ce sont de grands poètes. Ils ont inspiré beaucoup de générations dont la nôtre que ce soit Ahmad Matar ou Mahmoud Darwich. Ce sont des poètes de la liberté. Pour certains avec des textes plus anciens datant du XVIIIe, des poésies qui, même si elles sont écrites à cette époque-là, sont des poésies qui sont encore d’actualité.


Et il y a aussi des poètes marocains qui parlent de liberté, non ?

Oui, bien sûr. Il y en a qui sont déjà repris par de grands musiciens d’ici. On n’est qu’au début.


Y-a-t-il a un poète marocain qui t’inspire particulièrement ?

Oui, El Majdoub parce que c’est une sagesse populaire marocaine. C’est quelqu’un qui a écrit des choses très intéressantes. C’est une philosophie populaire. Ce sont des textes anciens sur la vie, sur l’argent, le rapport à la société.


Qu’as-tu pensé à l’époque du débat sur l’introduction de la darija dans l’école ?

Pour moi, c’est un non-sujet car ce n’est pas le vrai débat. C’est comme ce qui se passe généralement en France quand il y a trop de chômage, on te parle d’autres choses, on te parle du voile. C’est vraiment de la poudre aux yeux. Le vrai sujet, c’est en fait de trouver une solution au chômage massif des jeunes. Le vrai sujet, c’est de régler la pauvreté. La vraie question, c’est « qu’est-ce qu’on enseigne ? » Si tu m’enseignes les mathématiques en darija, pas de problème. Ce n’est pas la langue qui va passer la connaissance. C’est quels sont les moyens et le contenu qu’on met, que ce soit en darija, en français, en anglais pour que la connaissance perdure et passe d’une génération à l’autre. C’est ça, la vraie question. Il n’y a pas assez de moyens dans l’éducation mais ça, c’est généralement, au niveau international. C’est pour cela que nous, quand on reprend des textes de poésie en arabe classique, c’est pour toucher un public plus large, pour parler à toutes les générations et un peu au monde entier. C’est pour leur dire, le problème, il est lié à cette politique que les gouvernements mènent.


Alors pourquoi ne pas écrire des textes en arabe classique si tu veux que tout le monde ou en tout cas une partie, vous entende ?

L’arabe classique, tout le monde va le comprendre. Ceux en darija, je pense que le public va comprendre l’idée générale du texte et c’est déjà une bonne chose.


Dans vos textes, tu parles de liberté, de combat. Quel est, pour toi, le principal combat à mener au Maroc ?

Je pense qu’il n’y a pas de confrontations. Les thématiques qui sont importantes pour nous, c’est la liberté, l’amour, le partage. Ce sont des valeurs qui nous tiennent à cœur. Il faut appeler à avoir plus de liberté et surtout, à prendre plus de liberté. Tu sais, toutes ces valeurs ne se donnent pas mais elles se prennent. Par exemple, on prend l’amour, on donne l’amour, ça vient de soi, ça ne vient pas de l’extérieur. Je veux dire que ce n’est pas un gouvernement qui va te donner la liberté d’écrire ce que tu veux. C’est toi qui prends cette liberté-là. Tu confrontes, tu vois comment les gens vont réagir. C’est un espace qu’il faut combler.


Le membre du groupe N3rdistan composé de Widad Broco aux machines, Benjamin Cucciara à la kora et à la flûte peule et Nazim Moulay aux percussions, milite pour un monde différent. DAVID RODRIGUES / LE DESK


Mais est-ce difficile de prendre ces libertés ?

Oui, oui, c’est vrai. Il y a des situations très délicates mais disons qu’il faut avancer, oser être plus libre, chercher cette liberté et pour cela, il faut l’accompagner d’éducation, on y revient tu vois, car sans éducation, la liberté est biaisée. Il y en a qui vont te dire, la sécurité pour la liberté. Pour moi, c’est l’éducation, l’éducation culturelle, pour la liberté. Et en plus, c’est en donnant plus de liberté que les gens ne pètent pas de câble. La pression crée l’explosion.


Y-a-t-il, pour toi, suffisamment de culture au Maroc ?

Non, il n’y en a jamais assez mais je suis optimiste, on avance. Il y a des initiatives privées, personnelles, parce qu’il y a des gens qui osent écrire, des musiciens, des artistes, des entrepreneurs du monde de l’art qu’ils veulent faire de belles choses. Il y a tout un pan qui s’est construit autour de la culture et du coup, cela crée plus d’espoir. En fait, je n’ai jamais attendu des gouvernements de changer les choses, et ça, c’est partout, ce n’est pas exceptionnel au Maroc. Le combat est international.


Si je comprends bien, selon toi, il ne faut rien attendre des politiques ?

Oui, on est pour une démocratie participative, plutôt directe, par tirage au hasard. Il y aussi un système économique qui pousse à la surconsommation, un capitalisme effréné qui fait peur et du coup qui tue nos vies. En plus, je ne sais même pas si ces hommes politiques font des choix aussi. Il y a une incohérence parfois dans leur propos. Je ne sais même pas s’ils sont conscients qu’ils font du mal.


Est-ce que tu penses que la démocratie participative que tu prônes, pourrait marcher ici, au Maroc ?

Pour l’instant, non. On a testé des gouvernements de tout bord politique et ça ne marche pas donc pourquoi pas ne pas tester la politique populaire, des gens tirés au sort. Par exemple le maçon qui sera dans l’assemblée et pourrait parler de maçonnerie, à l’inverse d’un politique pour qui son métier est d’être politicien. Dans ce choix-là, chaque citoyen est appelé à faire son devoir de citoyen et non pas de voter chaque cinq ans pour élire quelqu’un qui va soi-disant le défendre mais c’est lui qui va aller se défendre lui-même.


Dans un de vos textes, vous reprenez un texte d’Ahmad Matar, un poète révolutionnaire irakien, qui est « vous célébrez le mariage de l’injustice et de l’oppression (…) Nous vous demandons que de partir et malgré tout le mal que vous nous avez fait, nous n’oublierons pas cette faveur que vous nous ferez en partant. Dégagez ! ». Tu avais dit dans une interview que ce texte s’appliquait à tous les gouvernements du monde. Y compris au Maroc ?

Je me rappelle d’une phrase d’un grand universitaire au Maroc qui est mort et dont j’ai oublié le nom, pour te situer, on pourrait citer dans le même style Mehdi El Manjra. Et cet universitaire disait qu’il n’y a pas d’oppositions politiques dans nos pays, toutes les oppositions utilisent la base pour marcher dessus et arriver au pouvoir. Donc « malgré tout le mal que vous nous avez fait », cela rejoint un peu ça. On n’a pas d’hommes politiques, on n’a que des marchands, des professionnels de la politique, c’est pour cette raison-là qu’Ahmad Matar disait « dégagez ! » et qu’on l’a repris.

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