S'abonner
Se connecter
logo du site ledesk
Newsroom
Le meilleur de l’actualité au fil des événements

Connectez-vous

Mot de passe oublié ?

Abonnez-vous !

Découvrez l'offre de lancement du Desk

60 DH
1 mois
Découvrir les offres
04.07.2016 à 22 H 22 • Mis à jour le 04.07.2016 à 22 H 22
Par
Disparition

Abbas Kiarostami, monument tranquille et vénéré du cinéma iranien

Le scénariste et metteur en scène, Palme d’Or à Cannes en 1997 avec «Le Goût de la cerise», est décédé en France à l’âge de 76 ans. REUTERS
Chef de file du cinéma iranien, le réalisateur Abbas Kiarostami, s'est éteint en France ce lundi 4 juillet à l’âge de 76 ans. Pionnier de la Nouvelle Vague iranienne et Palme d’or en 1997 pour Le Goût de la cerise, il a tourné plus de 40 films et remporté de très nombreux prix dans le monde entier. Malgré la censure subie par les régimes successifs, il est resté fidèle à son pays. En silence.

Sa dernière apparition au Festival de Cannes remonte à 2012. Avec Like Someone in Love, il nous offrait une dernière démonstration de son art cinématographique à travers de longs plans-séquences, des reflets de lumières, du hors-champ, des voix-off… Un jeu d’images et de sons autour d’une relation énigmatique entre une jeune étudiante-prostituée et un vieux sage en quête d’empathie. Rien n’est montré, tout est dévoilé par des glissements sentimentaux successifs.


« Cela ne veut pas dire que l’histoire est finie »

Un film sans début ni fin véritable. Le tout tourné en japonais, à Tokyo : « Tout film est une expérience nouvelle », disait Abbas Kiarostami en 2012 au micro de RFI, lors de la sortie du film en France. Quand nous tournons un film, nous racontons nécessairement une histoire. Alors je ne vois pas comment on peut avoir la prétention de connaître le début et la fin d’une histoire quelle qu’elle soit. On arrive toujours dans une histoire alors qu’elle a commencé sans nous et on s’en sépare avant qu’elle s’achève. Même si vos personnages meurent, cela ne veut pas dire que l’histoire est finie. »


Né à Téhéran le 22 juin 1940, formé aux Beaux-Arts, réalisateur de films publicitaires, Abbas Kiarostami participe en 1969 à la création du département cinéma de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes (le Kanoun), dans le cadre duquel il va réaliser de nombreux courts-métrages. AGA KHAN MUSEUM


Ainsi s’inscrit Abbas Kiarostami après sa mort dans l’histoire cinématographique. « C’est un des grands cinéastes de notre temps » avait confié Juliette Binoche, après deux films tournés sous sa direction. Pendant 40 ans, Abbas Kiarostami a défendu le cinéma contre le risque de la routine et la censure, fondé le Kanun, une des plus importantes structures cinématographiques en Iran, popularisé un cinéma iranien sans clichés en Occident, surpris les cinéphiles du monde entier, jusqu’à sa consécration à Cannes, en 1997, pour Le Goût de la cerise. Cette fable philosophique questionne l’acte du suicide, la liberté de mourir, dans un pays islamique. Dans la banlieue de Téhéran, Kiarostami nous embarque à bord de la voiture d’un quadragénaire désespéré cherchant un volontaire pour l’aider à mourir et à l’enterrer. Le pourquoi de sa quête reste dans l’ombre.


La poésie du cinéma

L’ambiguïté des histoires demeure le trait caractéristique du cinéma de Kiarostami. Une vision du monde pétrie de scènes lumineuses et sombres superposées où les frontières entre le près et le lointain, entre la vie et la mort disparaissent. Le cinéma se transforme en poésie : « Pour moi, la poésie, ce sont des instants où nous perdons le sens de notre propre réalité, où nous transmettons à l’autre quelque chose de notre langage individuel, intime, qui émane de nos émotions personnelles. Et pour que cette transmission soit possible, il y a une empathie, une proximité nécessaire. C’est l’expression d’une souffrance ou d’une joie à un autre qui veut bien partager cette peine ou cette joie. C’est bien pour cela que la poésie ne peut pas toujours se dire. »


Les notions de documentaire et de fiction n’ont pour lui aucune importance : Abbas Kiarostami filme à l’intérieur du réel, cette donnée intangible avec laquelle il faut nourrir l’espace de la fiction, et non pas composer. C’est plusieurs fois le cas dans Expérience (Tajrobeh, 1973), lorsque l’adolescent se trouve dans le bus puis en descend, des têtes et des automobiles viennent obstruer, souvent fugitivement, le champ du film. CRITIKAT


Né le 22 juin 1940 à Téhéran, ce fils d’un peintre s’avère mauvais élève, mais dès son enfance, fasciné par le dessin et le cinéma. Abbas Kiarostami finance ses études aux beaux-arts à l’université de Téhéran par un boulot nocturne à l’administration de la circulation routière. Après, il démarre comme peintre dans la publicité avant de tourner ses premiers films publicitaires. Il gagne sa vie avec des annonces pour la télévision et des génériques pour des films lorsque la Nouvelle Vague iranienne démarre en 1969. Kiarostami s’y engage alors en créant un département « réalisation » à l’Institut pour le Développement intellectuel des Enfants et des Jeunes adultes de Téhéran (Kanun). Cette institution devient un des studios phares et le moteur de la modernisation du cinéma iranien. Dès le début de sa carrière Kiarostami se montre intransigeant par rapport à la mise en œuvre de ses idées cinématographiques. Lors du tournage de son premier court métrage de cinéma, Le Pain et la rue, en 1970, il s’acharne pendant 40 jours sur une seule scène de ce film de douze minutes afin de réaliser l’image qui trottait dans sa tête.


Un cinéma prêt à bousculer une société figée

Sous le règne du Shah, il manque de moyens, mais pas d’imagination : entre 1970 et 1979 pas moins de 13 courts, moyens et longs métrages voient le jour dont Le Passager en 1974 et Le Rapport en 1977. Le premier raconte l’histoire d’un jeune arnaqueur amoral, le deuxième évoque le destin d’un percepteur accusé de corruption. Des récits parsemés de sujets forts, prêts à bousculer une société figée, touchant à la morale, la justice et au sens de la vie.


Après la révolution iranienne en 1979, Abbas Kiarostami prend la décision de rester en Iran. Un choix jamais remis en question, malgré la pression de l’ordre islamique et de la censure subie. Kiarostami prend la direction du Kanun et réussit à obtenir un budget suffisant pour continuer à y produire des films jusqu’en 1992. Ainsi sort en 1987 Où est la maison de mon ami, entièrement tourné à la hauteur et du point de vue d’un enfant. Kiarostami réussit sa percée en Occident avec plusieurs prix décrochés au Festival de Locarno. Il agrandit encore sa réputation avec sa Trilogie de Koker dont La Vie continue, tournée après le terrible tremblement de terre en 1990, à Koker, un village dans le nord de l’Iran. Dans tous les films de la trilogie apparaît un chemin en forme de « Z » situé sur une colline. Cette figure du chemin Z sera la marque de fabrique de la sensualité formelle dans l’œuvre du maître persan qui était au-delà du cinéaste toujours aussi photographe, poète et peintre : « C’est souvent le cadre qui lui donne l’idée de la scène. Il commence vraiment comme un peintre, comme un visionneur », a raconté l’actrice française Juliette Binoche.


Le Passager (1974) raconte l’histoire de Gassem, un jeune garçon qui est passionné par le foot et qui préfère jouer des matchs dans le village avec ces irremplaçables buts que de faire ses devoirs au grand désespoir de sa mère. Un jour, il se met en tête d’aller voir l’équipe nationale à Téhéran. Mais malheureusement il vit dans une famille pauvre et il n’a pas assez d’argent pour se payer le voyage. BLOGCINE


Salué à l’unanimité en Occident après la Palme d’or pour Le Goût de la cerise en 1997, Kiarostami devient de plus en plus dérangeant pour le régime iranien. Jusqu’à la veille de la projection prévue à Cannes, Téhéran avait bloqué le film pour non-respect du code de la censure à cause de l’évocation du suicide. Et lors de son retour en Iran avec la Palme d’or dans la main, Kiarostami est accueilli par des jets de pierres. En 2008, le réalisateur tourne son dernier film en Iran, Shirin, avec Golshifteh Farahani et Juliette Binoche, l’adaptation théâtrale d’un poème iranien du XIIe siècle, filmé sur les visages des spectateurs. Copie conforme, tourné en Italie, et Like Someone in Love, réalisé au Japon, est-ce la censure qui l’avait poussé à tourner ses derniers films en exil ? Voilà la réponse donnée par Abbas Kiarostami après la sortie de Like Someone in Love en 2012, au micro de RFI :


« Je pourrais certainement faire des films en Iran. De toute façon, il est toujours compliqué de faire un film, où que vous soyez. Aller dans un pays inconnu dont la langue vous est complètement étrangère représente aussi une difficulté qui n’est pas forcément moindre par rapport à celle de travailler en Iran. Mais ce qui se passe, c’est que quand je pars à l’étranger, au moins, je peux anticiper sur les difficultés qui seront les miennes. Alors dans mon propre pays, une telle prévision est absolument impossible. Vous commencez le travail sans savoir ce que ce travail deviendra. Malheureusement, les lois dans mon pays ne sont pas claires. Il suffit d’un changement de personne pour que toute la législation aussi varie. Donc commencer un film en Iran est prendre un risque d’une autre nature. Mais cela ne veut pas dire que je ne peux pas faire de film en Iran. »


La leçon de cinéma d’Abbas Kiarostami

Sa mort ne changera probablement rien au statut de ses films dans son pays natal. Ils seront toujours condamnés par les autorités et pourtant vus par un grand public, affirmait Kiarostami en 2012 : « Tous les films sont vus en Iran. Ils peuvent être tournés n’importe où dans le monde, les cinéphiles iraniens qui sont extrêmement nombreux, finissent toujours par se procurer des copies. Et d’une manière générale, toute interdiction incite à l’infraction, mais ce seront des DVD au marché noir. »


Le Goût de la cerise, Palme d’Or 1997 est œuvre difficile, aride comme son décor : la banlieue industrielle de Téhéran, un no man's land de terre éventrée et d'éboulements rocailleux. Mais un film qui pousse sans cesse à rester aux aguets, à interpréter le moindre indice. En un mot : qui fait le pari de l'intelligence. C'est le miracle d'un récit d'un dépouillement extrême. Des hommes qui parlent dans une voiture qui roule. Une pensée qui chemine. En art, on utiliserait le mot installation : ici, c'est un procédé narratif quasi hypnotique. TELERAMA


A la différence de tant de ses confrères, Kiarostami ne déplorait pas tant que cela la censure. Quand d'aucuns dénoncent les difficultés innombrables que le régime met sur leur chemin, lui en appellait au réalisme, au point de pas ajouter sa voix à ceux qui dénoncent les atteintes à la liberté de penser, de créer, ou simplement d'être. De toute façon, le combat cinématographique en Iran continue, par exemple avec l’ancien assistant de Kiarostami, Jafar Panahi, devenu le symbole d’une résistance cinématographique. Avec son Taxi Téhéran, tourné dans la clandestinité, le cinéaste iranien dissident, condamné à 20 ans d’interdiction de tournage pour avoir voulu filmer les manifestations après la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009, avait fait un formidable pied de nez aux autorités avec un Ours d’or remporté à la Berlinale 2015. La leçon de cinéma donnée par Abbas Kiarostami n’aura pas de scène de fin.


Avec Agences, RFI

©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.