Vaste offensive diplomatique du Maroc pour réintégrer l’Union africaine
La tenue du 27e sommet de l’Union africaine cette semaine à Kigali, la capitale du Rwanda, a fait l’objet de nombreuses rumeurs au Maroc sur l’éventuel retour du royaume au sein de l’organisation régionale, qu’il avait quitté en 1984 sur décision de Hassan II, suite à l’adhésion de la RASD.
Le quotidien Le Monde, citant une « source autorisée » marocaine, avançait jeudi que le royaume « déposerait sa candidature pour rejoindre l’UA, en réponse à l’appel amical de plusieurs pays africains. Le sommet de Kigali sera le point de départ de la procédure ».
Ce vendredi, un communiqué de la présidence kenyane en a apporté la première confirmation officielle : le conseiller royal Taieb Fassi Fihri a déclaré lors de sa rencontre avec le président kényan Uhuru Kenyatta que le Maroc souhaite être réintégré au sein de l’UA. « Tout ce que nous voulons, c’est que notre adhésion soit restaurée sans pré-conditions. », a-t-il affirmé selon le compte-rendu officiel de la réunion publié par la partie kenyane.
Ces dernières semaines, le ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar a multiplié les déplacements dans les « pays amis » du royaume (Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, Egypte, Libye, Soudan, Tunisie) afin de transmettre un message du roi Mohammed VI. Il s’est également rendu en Ethiopie, qui abrite le siège de l’UA mais aussi une représentation de la RASD.
Obtenir le gel de l’adhésion de la RASD
Pour réintégrer l’Union africaine, le Maroc doit obtenir une majorité de votes favorables (28 Etats membres sur 54). Mais le royaume pose une condition, rappelée par la ministre déléguée aux Affaires étrangères Mbarka Bouaida en janvier 2014 à l’occasion du 22e sommet de l’UA à Addis Abeba : « nous ne pourrons envisager un retour que si nos conditions sont satisfaites. Ces conditions sont simples, logiques et raisonnables : c’est la sortie ou le gel de l’adhésion de ce que l’on appelle la RASD. (…) Sa participation à l’Union africaine est en violation totale et absolue du droit international, nous ne pouvons l’accepter. Et nous espérons que l’UA puisse un jour réaliser et corriger cette anomalie juridique et politique ».
Le Maroc pointe l'incohérence de la position de l'Union africaine, qui affirme soutenir les efforts de l'ONU pour parvenir à une solution politique négociée au conflit mais qui préjuge des résultats de ces négociations en maintenant la RASD en son sein.
La suspension de la "république sahraouie" ne pourra être obtenue qu’en obtenant une majorité des 2/3 des Etats membres de l’UA (36 sur 54). La diplomatie marocaine doit donc élargir la base de ses soutiens, en dehors du « pré-carré » traditionnel du royaume en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale.
Outre l’ouverture programmée de nouvelles ambassades sur le continent, le rapprochement en cours avec le Rwanda de Paul Kagamé, qui s’est rendu en visite officielle au Maroc en juin dernier, va dans ce sens, tout comme l’annonce par la Zambie il y a quelques jours du retrait de reconnaissance de la RASD.
Le Maroc tente également de convaincre certains poids-lourds du continent, qui ont apporté leur soutien au Polisario pour des raisons historiques et idéologiques, en mettant en avant les bénéfices qu’ils pourraient récolter d’une relation bilatérale développée avec le royaume. C’est le cas du Kenya, qui avait retiré sa reconnaissance de la RASD en 2006 mais qui a autorisé la réouverture d’une représentation à minima du Polisario en 2014 sous la pression de l’Afrique du sud et de l’Algérie. Lors de sa rencontre avec le président kényan, Taieb Fassi Fihri a ainsi exprimé le souhait du Maroc de développer les partenariats avec ce pays d’Afrique de l’Est, notamment dans l’agriculture, les énergies renouvelables et les logements sociaux. Le conseiller royal a également loué le « leadership » du président kényan, qui pourrait selon lui jouer le rôle d’un « médiateur honnête et impartial » concernant la réintégration du Maroc au sein de l’UA.
Au Nigéria, autre soutien de poids du Polisario, c’est le ministre délégué aux Affaires étrangères Nasser Bourita et le patron de la DGED Yassine Mansouri qui ont rencontré jeudi le président Muhammadu Bouhari. Avec à la clé un accord pour installer une usine de fertilisants de l’OCP dans le pays.
La diplomatie marocaine peut également miser sur les luttes d’influence entre le Nigéria et les deux principaux soutiens du Polisario sur le continent, l’Algérie et l’Afrique du sud, à l’occasion des élections prévues dimanche et lundi à Kigali pour renouveler les membres de la Commission de l’UA. Pour la première fois, le Nigéria présente un candidat au poste de Commissaire pour la Paix et la Sécurité (CPS), le plus stratégique des portefeuilles de la Commission, et va batailler contre l’Algérie, dont les diplomates se succèdent à la tête du CPS depuis 2003 et qui compte bien garder un pied au sein de la Commission.
Nasser Bourita et Yassine Mansouri ont poursuivi leur tournée en se rendant vendredi à Alger, où ils ont rencontré le premier ministre Abdelmalek Sellal pour transmettre un message du roi Mohammed VI au président Bouteflika et discuter de questions sécuritaires régionales.
Élection d’une nouvelle Commission
Le timing de cette nouvelle offensive marocaine n’est pas anodin. Alors que l’Union africaine monte en puissance sur la scène internationale, son « verrouillage » par Alger et Pretoria, appuyés par la présidente de la Commission Nkosazana Dlamini-Zuma, en poste depuis 2012, a permis au Polisario de faire adopter des positions fortes en sa faveur par tous les organes de l’organisation régionale.
La dernière en date a été adoptée en avril 2016 par le CPS, qui qualifie le Sahara de « territoire occupé » et demande à l’Assemblée générale de l’ONU de fixer une date pour la tenue d’un référendum d’autodétermination. Deux mois plus tôt, les mêmes éléments de langage avaient été adoptés par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA réunis à Addis Abeba. Seuls le Sénégal, la Côte d’Ivoire et les Comores avaient officiellement émis des réserves.
Lors de l’élection prévue à Kigali ce weekend, trois candidats se disputent officiellement le poste de Nkosazana Dlamini-Zuma : Pelonomi Venson-Moitoi (Bostwana), Specioza Naigaga Wandira Kazibwe (Ouganda), et celui qui est sans doute le candidat privilégié par Rabat : Agapito Mba Mokuy, actuel ministre des Affaires étrangères de Guinée Equatoriale.
Un autre candidat déclaré – mais non-enregistré pour l’instant – pourrait également sortir du lot en cas de divisions trop importantes des chefs d’Etat sur les trois premiers profils : le sénégalais Abdoulaye Bathily, qui serait lui aussi un atout important pour la diplomatie marocaine du fait de la solidité de l’axe Rabat-Dakar.
Ces élections constituent donc une « fenêtre de tir » que le cabinet royal semble disposé à exploiter au mieux pour renverser la tendance sur le continent.
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