Le silence règne toujours autour de la mort des deux jeunes de Melilla abattus par la Marine royale

Une énième manifestation et toujours aucune réponse. Comme chaque 27 du mois, des amis et des proches d’Abdeslam Ahmed Ali, surnommé Pisly, et d’Amin Mohamed Driss, se sont rassemblés sur la place d’Espagne à Melilla pour dénoncer l’absence d’explications sur les circonstances de leur mort le 27 octobre 2013, comme le rapporte le journal local Melilla Hoy.
Ces deux Espagnols, âgés d’une vingtaine d’années, avaient embarqué en Zodiac pour se diriger vers les eaux territoriales marocaines dans la zone dite de Punta Negri. Une banale sortie de pêche entre amis comme le prouverait une photo envoyée sur Whatsapp à leurs proches sur laquelle les deux jeunes hommes apparaissaient tout sourire…avant que leur balade en mer ne tourne au drame.
En novembre 2014, El Mundo indiquait sur la base d’un rapport de la gendarmerie marocaine, qu’une patrouille de la Marine royale suspectait les deux jeunes hommes de s’exercer à un trafic illégal. Pour inspecter leur embarcation, les militaires ont alors procédé à cinq tirs de sommations. Amin et Pisly auraient refusé d’obtempérer et fui avant que les dix mariniers usent de leurs armes. Résultat : 41 balles tirées, dont trois ont été fatales aux jeunes.
Une seconde autopsie qui sème le doute
Une version contestée par les familles des victimes. Une seconde autopsie réclamée par les familles et effectuée à Melilla a abouti à des conclusions qui sèment le doute. Comme l’indique Ignacio Cembrero dans son livre La España de Alá, se référant au rapport des autorités espagnoles, « il n’est pas possible de connaître la distance à laquelle les projectiles ont été tirés (…) Les cadavres ont été délavés à l’eau rendant impossible, au niveau microscopique, la détection de la présence de poudre. » Un constat troublant qui s’ajouterait à un autre : « Quand j’ai vu mon fils mort, j’ai remarqué qu’il avait reçu des coups au visage, assure Driss Mohamed, le père d’Amin. Pour les deux familles réunies par une même douleur, il s’agit à n’en pas douter d’une bavure.
« On attend maintenant d’avoir entre les mains un document officiel qui confirme que le dossier sur la mort de nos enfants est clos », s’insurge au téléphone Abdeslam Ahmed Maanan, le père de Pisly. « Lorsque le ministre des affaires étrangères José Manuel Garcia-Margallo a accepté de nous recevoir alors qu’il était à Melilla en janvier dernier, raconte-t-il, il nous a avoué que le dossier était archivé par le Maroc et ce, depuis un an ! Vous imaginez, pourquoi on ne nous a pas informés. Sa réponse était tellement vague. On lui a alors exigé d’obtenir un papier officiel stipulant que l’affaire était archivée. Il nous a assuré qu’il allait voir avec les autorités marocaines. »
Pourtant, les autorités des deux pays limitrophes s’étaient engagées à collaborer en toute transparence. En novembre 2013, soit quelques jours après le drame, Garcia-Margallo annonçait, comme le rapporte Cembrero dans son livre, que grâce « au climat de collaboration entre l’Espagne et le Maroc, cet incident serait clarifié et nous saurons ce qui s’est passé très rapidement ». Des propos confirmés un mois plus tard par le porte-parole du gouvernement et ministre de la communication, Mustapha El Khalfi qui affirmait que les conclusions de l’enquête, ouverte par le tribunal militaire de Rabat, seraient « transmises par voie diplomatique » aux autorités espagnoles. Contacté par Le Desk, El Khalfi n’a pas répondu à nos sollicitations.
Aucune information ne filtre à Rabat
« Nous nous sommes rendus plusieurs fois à Rabat pour demander des informations, raconte Abdeslam Ahmed Maanan. On nous a dit qu’on ne pouvait pas répondre à notre requête car c’était le tribunal militaire qui gérait le dossier » En clair, aucune information ne filtre. « On a l’impression que les autorités marocaines et espagnoles espèrent qu’à force, on va oublier, mais ils peuvent en être sûres, c’est le contraire, lâche-t-il. Nous exigeons d’avoir ce document qui livrera officiellement leur version des faits. Et vu que le dossier sera enterré, nous envisageons de porter l’affaire devant Bruxelles ou La Haye pour voir ce que l’on peut faire. Il faut être clair, on ne souhaite pas qu’il y ait un conflit entre les deux pays, mais dès lors que des personnes auraient pu enfreindre la loi, elles doivent être sanctionnées. Il y a eu deux morts, deux jeunes hommes qui travaillaient, qui étaient heureux et avaient une vie sans problème ».
Pour l’heure, les proches des disparus sont en attente de la formation d’un nouveau gouvernement espagnol afin d’aller toquer à la porte du Congrès de Madrid une déclaration à la main signée par plusieurs élus de l’assemblée de la ville autonome de Melilla. Leur combat continue, face au silence de Rabat et de Madrid.
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