L’avocat général de la Cour de justice de l’UE estime que « les accords Maroc-UE ne s’appliquent pas au Sahara Occidental »
L'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Melchior Wathelet, a remis le 13 septembre ses conclusions sur le pourvoi introduit par la Commission européenne devant la Cour de justice à l'encontre de l'arrêt du Tribunal rendu le 10 décembre 2015, annulant la décision du Conseil de l’UE d’entériner l’Accord agricole conclu entre l’UE et le Maroc en 2012. Le Front Polisario avait saisi le Tribunal de l’UE pour demander l'annulation de cette décision.
Celui-ci avait alors annulé la décision en question « en ce qu'elle approuve l'application de l'accord de libéralisation au Sahara occidental ». En particulier, le Tribunal a considéré que « le Conseil avait manqué à son obligation d'examiner, avant la conclusion de cet accord, s'il n'existait pas d'indices d'une exploitation des ressources naturelles du territoire du Sahara occidental sous contrôle marocain susceptible de se faire au détriment de ses habitants et de porter atteinte à leurs droits fondamentaux ».
Pas de reconnaissance de souveraineté marocaine
Dans ses conclusions lues ce jour, l'avocat général Wathelet considère que « le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Maroc et que, partant, contrairement à ce qui a été constaté par le Tribunal, ni l'accord d'association UE-Maroc, ni l'accord de libéralisation ne lui sont applicables ».
L’avocat constate en substance que le Sahara occidental est, depuis 1963, « inscrit par l'ONU sur sa liste des territoires non autonomes ». S'agissant de la question de savoir si la portée des traités ou accords internationaux conclus par les États administrant des territoires non autonomes s'étend également à ces territoires, l'avocat général relève que « la pratique de la majorité de ces États démontre qu'une telle extension est subordonnée à sa prévision expresse lors de la ratification des traités ou accords. Or, les deux accords précités ne comportent aucune disposition visant à étendre leur champ d'application au Sahara occidental et une telle extension n'a pas été prévue non plus lors de la ratification de ces accords par le Maroc ».
En deuxième lieu, l'avocat général souligne que l'Union Européenne et ses États membres « n'ont jamais reconnu que le Sahara occidental fait partie du Maroc ou relève de sa souveraineté ».
En troisième lieu, l'avocat général réfute les arguments selon lesquels « la reconnaissance de l'extension de la portée des deux accords en cause au Sahara occidental s'impose au motif que ces accords seraient de toute manière appliqués, de fait, à ce territoire ». En effet, selon l’avocat général, les éléments examinés dans la présente affaire « ne suffisent pas pour établir l'existence d'une pratique générale et de longue durée qui irait, en toute connaissance des parties concernées, à l'encontre des termes mêmes de ces accords, termes qui limitent le champ d'application des accords au seul territoire du Maroc. Or, seule une telle pratique serait susceptible de constituer un nouvel accord entre les parties sur l'extension du champ d'application territorial des deux accords précités ».
Des accords inapplicables, pas d’intérêt de recours du Polisario
En quatrième lieu, l'avocat général rappelle que, en principe, « le droit international ne permet pas d'étendre le champ d'application d'un traité bilatéral à un territoire qui constitue une partie tierce par rapport aux parties au traité. Or, le Sahara occidental constitue précisément un tel territoire par rapport à l'Union et au Maroc ».
En raison de l'inapplicabilité des accords précités au Sahara occidental, l'avocat général propose à la Cour « d'annuler l'arrêt du Tribunal et de rejeter le recours du Front Polisario comme irrecevable car ce dernier n'a plus d'intérêt à faire annuler la décision contestée ».
Par ailleurs, même si les deux accords étaient applicables au territoire, l'avocat général est d'avis que « le Front Polisario n'est pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse et que, partant, son recours devrait également être rejeté à ce titre ». Le Front Polisario « n'est reconnu par la communauté internationale que comme le représentant du peuple du Sahara occidental dans le processus politique destiné à résoudre la question de l'autodétermination du peuple de ce territoire et non comme ayant vocation à défendre les intérêts commerciaux de ce peuple. De plus, le Front Polisario ne semble pas être un représentant exclusif du peuple du Sahara occidental dans les relations internationales car il n'est pas exclu que l'Espagne, ancien colonisateur de ce territoire, détienne encore des responsabilités à cet égard ».
Une annulation partielle justifiée, le pourvoi non fondé
Pour le cas où la Cour déciderait que les accords en cause sont tout de même applicables au Sahara Occidental et que le Front Polisario est habilité à contester la décision litigieuse, l'avocat général relève, à l'instar du Tribunal, que « le Conseil a manqué à son obligation d'examiner tous les éléments pertinents des circonstances de la conclusion de l'accord de libéralisation ». En particulier, bien que, contrairement à ce qui a été décidé par le Tribunal, « le Conseil ne fût pas tenu d'évaluer les effets de la conclusion de cet accord sur l'exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental, il aurait dû prendre en compte la situation des droits de l'homme dans ce territoire ainsi que l'impact potentiel de l'accord sur cette situation ». Dans cette hypothèse, l'avocat général estime que « le Tribunal a procédé à juste titre à l'annulation partielle de la décision contestée en ce qu'elle approuve l'application de l'accord de libéralisation au Sahara occidental, si bien que le pourvoi du Conseil doit être rejeté comme non fondé ».
Pour rappel, les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.
Par ailleurs, la Cour de justice peut être saisie d'un pourvoi, limité aux questions de droit, contre un arrêt ou une ordonnance du Tribunal. En principe, le pourvoi n'a pas d'effet suspensif. S'il est recevable et fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Dans le cas où l'affaire est en état d'être jugée, la Cour peut trancher elle-même définitivement le litige. Dans le cas contraire, elle renvoie l'affaire au Tribunal, qui est lié par la décision rendue par la Cour dans le cadre du pourvoi.
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