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21.09.2016 à 16 H 58 • Mis à jour le 04.10.2016 à 18 H 27
Par
Législatives 2016

Les leurres du programme économique du PJD

19.09.2016 à Rabat, Abdelilah Benkirane à la conférence de présentation du programme du PJD. MOHAMED DRISSI KAMILI / LE DESK
En adoptant trois cas de figure pour les principaux indicateurs macroéconomiques, le PJD trouble plus l’esprit du public qu'il ne l’éclaire sur ses orientations. Un numéro de prestidigitation inédit pour un programme électoral.

Dernier en lice à publier l’intégralité de son programme électoral cette semaine, le PJD subira irrémédiablement un examen plus serré que ses pairs. Ayant fait campagne en 2011 sur un programme électoral optimiste, il a formé une coalition majoritaire sur la base d’un programme gouvernemental plus restreint et a été obligé d'adopter une politique de consolidation fiscale, amortie par la baisse des prix du pétrole à l’international. Le PJD cherche désormais à maintenir sa position d’organisation leader sur le paysage partisan marocain.


A la décharge du PJD, cet exercice d’énumération de contingences n’est pas une hérésie d’analyse ou de prédictions futures. MOHAMED DRISSI KAMILI / LEDESK


Son programme économique est jusqu’à présent le plus chiffré de ses concurrents, mais en s’efforçant d’être le plus précis possible, il s’attire des critiques quant à la logique interne de ses propositions. Analyse.


Trois options pour convaincre par l'expertise

La décision du PJD d'annoncer des scenarii de croissance de PIB - avec des indicateurs pertinents, est une innovation particulière dans l’arène politique. Elle illustre l’aboutissement du cheminement du parti qui avait pris l’habitude d’annoncer des objectifs faramineux de croissance (7 % en 2007 et 2011) à une approche plus modeste des objectifs macroéconomiques. A travers cette déclinaison de contingences, le PJD espère projeter une image de compétence en matière de politique économique.


Extrait du programme du PJD qui présente sous forme de matrice les trois scénarios envisagés. DOCUMENT PJD


Or, en adoptant trois cas de figure pour les principaux indicateurs macroéconomiques de l’économie marocaine, le PJD sème plus la confusion dans l’esprit du lecteur qu'il ne l’éclaire sur ses orientations. Comme dans un menu de restaurant chinois, le lecteur peut choisir dans les trois options offertes, et se faire sa propre idée de ce que vaut le programme économique du parti dirigé par Abdelilah Benkirane.


Sources : Programme PJD, Banque Mondiale, calculs de l’auteur.


A la décharge du PJD, cet exercice d’énumération de contingences n’est pas une hérésie d’analyse ou de prédictions futures. En 2007, le HCP publiait une note dressant une panoplie d’options ouvertes à une planification stratégique d’ici 2015. La note insiste cependant sur le fait que les options offertes ont un caractère exploratoire plutôt que normatif, et que ces scenarii s’inscrivent dans une approche de détermination des choix de modèles de croissance. Ce que propose le PJD n’est pas un modèle de croissance, en tout cas pas sur un horizon temporel de 8 ou 10 ans. Son programme économique correspond à une programmation pluriannuelle sur cinq ans.


Nulle part ailleurs dans le monde un programme électoral ne déclare des objectifs contingents. Proposer trois niveaux de croissance et leurs corollaires est équivalent à un tour de magie éculé : le magicien dissimule un message numéroté sous chaque objet dans une pièce. Il demande ensuite à son audience de choisir un numéro. Suivant le choix du public, le prestidigitateur désigne l’objet correspondant au numéro. Ainsi le public incrédule croit aux pouvoirs mystiques du charlatan.


Malgré son discours social et l’image assumée de défenseur de la veuve et de l’orphelin, le PJD omet de déclarer des objectifs de réduction du chômage. MOHAMED DRISSI KAMILI / LEDESK


Le scénario optimiste appelle une croissance moyenne entre 6,5 % et 5,5 %. Dans ce cas de figure, le PJD est confiant de réaliser une croissance supérieure à celle prévue dans le programme gouvernemental qu’il a fait voter en janvier 2012. Il est sur ce point en ligne avec son principal rival, le PAM. Les deux partis considèrent de facto la moyenne de 5,5 % comme un seuil bas des potentialités de l’économie marocaine.


Comme pour le PAM, une croissance maximale résout une grappe de problèmes pour le PJD. Grâce à cette croissance, il dépasse l’objectif FMI de réduction de l’endettement du trésor à 60 % en prévoyant un ratio d’endettement à 55 % du PIB. Grâce à cette expansion de production de biens et services, l’objectif contraignant d’un déficit budgétaire de 2,5 % est abandonné en faveur des 3 % habituels.


Outre le fait que ce scénario est optimiste par définition, il semble considérer l’économie marocaine comme une unité indépendante ou autonome du reste du monde. Le PJD lie ce scénario optimiste à un contexte mondial où le prix du baril est à 40 dollars. Les experts du parti de la lampe semblent ignorer qu’un prix de baril aussi bas est une mauvaise nouvelle pour l’activité mondiale - et en particulier les plus grandes économies, notamment l’Union Européenne, les Etats-Unis et la Chine. Les études les plus récentes offrent un argument robuste suggérant que la baisse des prix du pétrole à partir de mi-2014 est due à une anticipation pessimiste des agents mondiaux quant à l’évolution de la demande future. Si en 2021 le prix du baril reste à 40 dollars, cela veut dire que le Maroc a peu ou pas de chances de tirer sa croissance par la demande extérieure qui lui est adressée.


Or le PJD a fait du développement de l’industrie dans l’économie marocaine un axe important de ses promesses électorales. L’industrie dont il est question est surtout tournée vers l’export, qui ne peut être soutenable qu’en période d’expansion mondiale. Un prix de baril aussi bas suggère le contraire, et remet en cause la cohérence même du scénario optimiste.


Le scénario neutre est lui même une légère exagération des perspectives de l’économie marocaine dans le moyen terme. Il suppose en effet que la croissance va enregistrer une moyenne entre 4 % et 5,5 % - alors même que les projections du FMI, ainsi que le comportement de l’économie marocaine durant les dernières années, suggèrent que la croissance sera plus proche de 4 % que de 5,5 %. Les indicateurs de finances publiques donnent une idée de la logique qui gouverne les projections PJD : le parti espère améliorer d’une année à l’autre la croissance du PIB de telle manière à ce que le déficit soit résorbé graduellement, passant à 2 % en 2021, et portant ainsi le ratio d’endettement à 57 % pour la même année.


Comme pour le PAM, une croissance maximale résout une grappe de problèmes pour le PJD. Grâce à cette croissance, il dépasse l’objectif FMI de réduction de l’endettement du trésor à 60% en prévoyant un ratio d’endettement à 55% du PIB. . MOHAMED DRISSI KAMILI / LEDESK


Il convient également de pointer l’incohérence de la croissance du scénario neutre à 5 % dans la comptabilité des composantes de la demande intérieure : la croissance de la consommation des ménages compte pour près des deux tiers de la croissance du PIB, alors même que l’investissement diminue sa part dans le PIB. Le seul moyen pour que l’objectif des 5 % soit réalisable est de faire jouer la demande nette extérieure à la hausse. Deux problèmes principaux se posent à cette hypothèse : une consommation domestique vigoureuse plombe les exportations nettes. Ensuite, les perspectives du principal partenaire commercial du Maroc, comme le souligne le document du PJD, reste l’Union Européenne. Ses perspectives de croissance étaient déjà chancelantes avant le choc du Brexit, et le calcul de la croissance du scénario neutre trahit un excès certain d’optimisme quant aux perspectives de reprise de la demande européenne pour les exportations nationales.


Le scénario pessimiste correspond en vérité à quelque chose de plus réaliste, mais semble baser ses résultats sur un baril de pétrole qui passe à 65 dollars. Cette hausse relativement rapide des cours du pétrole permet ainsi d’expliquer l’inflation projetée à 3 % et un déficit budgétaire à 4 %. Le PJD anticipe ainsi l’effet adverse qu’aurait la hausse des prix du baril sur la consommation intérieure, ainsi que sur le niveau des prix en renchérissant les biens et services consommateurs d’hydrocarbures.


Sources : FMI, Bloomberg.


Plusieurs paris pour arbitrer les risques

Si les prix des matières premières sont notoirement difficiles à prévoir, les indicateurs financiers de ces marchés estiment un prix de baril stable à 45-50 dollars d’ici 2021. Les projections FMI sur ce point ont été révisées ainsi à la baisse entre 2015 et 2016, le fonds projetait un retour du prix du baril à 60 dollars dès 2017. Le scénario pessimiste correspond ainsi à des éléments de langage plutôt qu’à une contingence propre : dans le cas d’une croissance anémique similaire à celle des années précédentes, le PJD prépare dès à présent une explication qui ferait porter ce résultat à un renchérissement potentiel des prix mondiaux de l’énergie.


Il y a une ligne claire adoptée dans le programme PJD - et qui convient assez bien au personnage projeté par Abdelilah Benkirane: un bon père de famille qui gère avec parcimonie la bourse du foyer. MOHAMED DRISSI KAMILI / LEDESK


L’analogie ne s’adapte probablement pas au PJD, mais ce dernier se comporte comme un joueur qui prend plusieurs paris pour arbitrer ses risques : d’un côté, l’affichage explicite d’objectifs de déficit budgétaire et d’endettement public montre que le parti est conscient des contraintes expliquées dans le dernier rapport FMI sur la LPL. On note en effet que le programme PJD a explicitement intégré la cible d’endettement du trésor à 60 % et son lien avec les cibles équivalentes de déficit budgétaire.


Sources : FMI, Ministère des Finances, Programme PJD, calculs auteur.


Le scénario optimiste fait même flotter la possibilité d’équilibrer le budget à 2021. Si l’annonce d’un budget à l’équilibre peut être crédible en régime de forte croissance, elle suppose que le PJD compte maintenir un rythme de consolidation fiscale fondamentalement contradictoire avec le niveau de croissance qu’il souhaite réaliser, et particulièrement au vu de la place qu’il souhaite donner à la consommation des ménages comme moteur de croissance. Même le scénario neutre d’une croissance moyenne à 5 % contredit directement l’objectif annoncé par le parti d’adopter une politique de relance à cours terme.


Malgré son discours social et l’image assumée de défense de la veuve et de l’orphelin, le PJD omet de déclarer des objectifs de réduction du chômage. Alors qu’il parle de la nécessité de réduire le chômage, et particulièrement celui des jeunes, le soin de détail apporté dans ses indicateurs macroéconomiques ne se reflète pas sur les objectifs de création d’emplois et d’absorption de la population en chômage dans le marché du travail.


Sources : HCP, Programme PJD, calculs auteur.


Pourtant, cette croissance qu’il appelle de ses vœux, et qu’il souhaite tirer par la consommation intérieure ainsi que les exportations grâce aux politiques industrielles, devrait créer des emplois. Comme pour les autres partis politiques, la création d’emplois est très sensible aux perspectives de croissance. Ayant décliné ses projections en différents cas de figure, l’omission du taux de chômage est difficile à expliquer, d’autant plus que le PJD s’était engagé sur des valeurs cibles en 2007 et 2011, ainsi que dans le programme gouvernemental qu’il a fait voter en janvier 2012.


Malgré l’énumération des contingences, il y a une ligne claire adoptée dans le programme PJD - et qui convient assez bien au personnage projeté par Abdelilah Benkirane : un bon père de famille qui gère avec parcimonie la bourse du foyer. Le fait qu’un parti se réclamant d’un référentiel social accepte d’équilibrer le budget en période de croissance robuste montre que le PJD a bien déterminé ses priorités pour la prochaine législature : apurer les comptes publics, même si la croissance n’est pas au rendez-vous.

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