Les Africains ne veulent plus être jugés par les babtous

C’est une véritable claque pour les justiciers de La Haye. L’Afrique du Sud interpelée, en 2015, à la demande de la Cour pénale internationale (CPI) d’exécuter les mandats d’arrêt émis contre le président soudanais Omar Al-Bachir, a transmis une missive, le 20 octobre, à l’ONU lui signifiant son retrait de l’instance. Un départ qui prendra effet dans un an, à compter de la date de réception de la correspondance par le secrétaire général de l’ONU.
Au Burundi, alors que le pays est en proie à des violences sans précédent depuis avril dernier, Fatou Bensouda, la redoutable procureur de la CPI a lancé une enquête préliminaire contre plusieurs responsables à Bujumbura, dont le président Pierre Nkurunziza. Tortures, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées… les chefs d’accusation ne manquent pas pour envoyer les caciques burundais moisir pendant quelques années à La Haye. Résultat, le Burundi a dénoncé un complot international et s’est retiré, le 7 octobre, de la CPI. Il sera imité par le Gamibie, le 25 octobre. De quoi ébranler les fondations de la juridiction et pousser plusieurs pays africains à une désertion générale.
Fatou, la justicière de l’Afrique
S’il est admis que les régimes de plusieurs chefs d’État en Afrique sont loin de répondre aux standards de la démocratie à l’occidentale, leur traque par la CPI soulève à l’échelle continentale un agacement et génère un ressentiment souvent orchestré par ces mêmes régimes pour asseoir leur pouvoir. Laurent Gbagbo et son ancien ministre Blé Goudé dont le procès est toujours en cours à La Haye, ont provoqué en Côte d’Ivoire un schisme au sein de la population et jeté la suspicion sur l’actuel président Alassane Ouatara.
En Centrafrique, l’homme d’affaires devenu chef de guerre, Jean-Pierre Bemba, 53 ans, a été jugé responsable de la vague de meurtres et de viols commis par sa milice, le Mouvement de libération du Congo (MLC) entre octobre 2002 et mars 2003. Il sera condamné à 18 ans de prison par la CPI. En septembre dernier, suite aux violences préélectorales qui ont fait plusieurs morts à Kinshasa en RDC, Fatou Bensouda a envoyé une mission pour surveiller de près la situation sur le terrain.
Si la démarche de la CPI est louable sur le fond, le ressentiment des pays africains s’exprime de plus en plus ouvertement dans les arcanes de l’Union africaine (UA) qui a demandé le gel des mandats d’arrêt émis contre Omar Al-Bachir. Sans résultat.
La Cour des pauvres
Cette rébellion des pays africains recentre le débat autour de la question de la justice à double vitesse. A commencer par les puissances mondiales comme la Russie et les États-Unis et Israël qui ne sont pas membres de cette cour et ne sont jamais inquiétés pour leurs actions militaires à travers le globe. Pourtant, ils ont droit au chapitre pour valider les mandats d’arrêt lancés à l’encontre de certains chefs d’État.
De son côté, la CPI, dans une tentative « dé-africaniser » ses poursuites, a lancé une enquête sur les responsables israéliens à propos des crimes commis à Gaza, déclenchant la colère des Israéliens et de leurs alliés américains. Résultat, les enquêteurs de la CPI ont fait marche arrière déclarant qu’il ne s’agit pas d’une « véritable enquête » concernant le travail mené sur le terrain en Israël.
La vague de désertion des pays africains risque d’être le principal point à l’ordre du jour lors de la prochaine assemblée qui va réunir les 123 membres de la CPI, le 16 novembre. De son côté, la procureure générale Fatou Bensouda hésite à ouvrir de véritables enquêtes sur les crimes commis en Irak, Afghanistan, Libye, Syrie ou récemment au Yémen. De quoi renforcer les positions de certains pays africains qui agitent la carte du néocolonialisme, devenue leur principale béquille rhétorique, dans le but de relativiser leurs propres exactions.