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03.12.2017 à 16 H 13 • Mis à jour le 03.12.2017 à 16 H 13
Par
Reportage

Au Maroc, les routes touristiques du cannabis

La région de Ketama, épicentre de la culture du cannabis au Maroc. MOHAMED DRISSI KAMILI / LE DESK
Au Maroc où la culture du cannabis faisait vivre 90 000 ménages en 2013, selon les derniers chiffres officiels disponibles, vendre ou consommer de la drogue est interdit par la loi. Mais à Ketama, où d’abondantes plantations de kif accueillent le visiteur, le haschich fait partie du patrimoine local et sa consommation est largement tolérée

Les guides de voyage et les promoteurs du tourisme au Maroc n’en parlent jamais. Et pourtant, le tourisme du cannabis attire chaque année dans ce pays des milliers de visiteurs amateurs de kif.


« Le climat ici est très spécial. Rien ne pousse à part le kif ! », plaisante Hassan, un quadragénaire rencontré dans un hôtel de la région de Ketama. « C’est notre principale richesse », explique Hassan, qui porte au poignet une ostensible montre en or et reste discret sur la raison de ses fréquents allers-retours vers Casablanca.


Attablée dans le bar de l’hôtel, Beatrix, une Allemande de 57 ans au look baba cool, roule un joint au vu de tout le monde. Celle qui se dit « habituée des lieux » explique être « tombée amoureuse » de la région pour « la qualité de son haschich et la gentillesse de ses habitants ».


Au Maroc où la culture du cannabis faisait vivre 90 000 ménages en 2013, selon les derniers chiffres officiels disponibles, vendre ou consommer de la drogue est interdit par la loi. Mais à Ketama, où d’abondantes plantations de kif accueillent le visiteur, le haschich fait partie du patrimoine local et sa consommation est largement tolérée.


Teuf « Bombola Ganja »

Avec des amis, Beatrix a organisé à la mi-septembre un « festival » à Ketama, le « Bombola Ganja » – en fait, une soirée entre copains fumeurs devant la piscine de l’hôtel. Sur l’affiche diffusée sur la page Facebook de l’évènement, les plants de cannabis relèguent au second plan les DJ venus mixer de la « trance psychédélique ». Les organisateurs ont aussi glissé un message appelant à légaliser le cannabis à des fins médicinales.


Sur les réseaux sociaux, le festival Bombola Ganja à l'affiche. FB


Pourquoi ont-ils choisi Ketama ? « Difficile de répondre », élude avec prudence Abdelhamid, le directeur de l’hôtel. « Certains sont attirés par les montagnes, les randonnées, le climat », affirme-t-il, sans évoquer l’attrait de la culture locale du haschich. Quelques milliers de touristes viennent chaque année à Ketama, principalement d’Europe, mais aussi des grandes villes marocaines. Mais « la région n’est pas bien exploitée et il y a des dysfonctionnements (…), les routes sont désastreuses, l’eau manque », regrette l’hôtelier.


Et l’image de la ville a décliné avec le temps. Dans les années 1960 et 1970, Ketama était très prisée des hippies. Mais peu à peu, la destination a commencé à traîner une réputation de « zone de non-droit » – le guide du Routard appelait même à la fin des années 1990 les touristes à « bannir absolument » cette région de leur programme. « Le tourisme a connu un net recul », confirme Mohamed Aabbout, un militant associatif local. Il explique aussi cette désaffection par « l’extension de la culture du kif à d’autres villes du nord Maroc ».


Ville bleue à la main verte

A une centaine de kilomètres à vol d’oiseau, la ville de Chefchaouen, avec sa médina bleue accrochée à flanc de montagne, a progressivement ravi à Ketama sa position de destination phare.


Avec ses maisons pittoresques, ses ruelles entrelacées, ses venelles pavées, celle que l’on surnomme Chaouen est le chef-lieu d’une autre région réputée pour sa production de kif. Ici, petits trafiquants et faux guides accostent immanquablement les touristes pour proposer du haschich ou une visite dans des fermes à la rencontre des « kifficulteurs ».


La ville pittoresque de Chaouen à flanc de montagne. SILVIA B


Certaines maisons d’hôtes offrent également ce « service » pour une quinzaine d’euros. Sans le mentionner dans leur catalogue. A la terrasse d’un café stratégiquement situé, un homme s’approche de potentiels acheteurs : « Celle-ci c’est la meilleure, frère ! », lance Mohamed, qui expose au nouveau venu sa grosse boulette de hachisch. N’est-ce pas interdit ? « Ici tu peux fumer où tu veux, mais pas devant le commissariat ! », plaisante-t-il, avant de suggérer de se rendre sur « le terrain » voir comment est « travaillé » le kif.


Mexicaine, afghane et beldia

Mohamed accompagne un groupe de touristes à quelques kilomètres dans un village pauvre où le vert des champs s’étend à perte de vue. « Ici tu as la plante mexicaine, l’afghane, la beldia (locale en arabe) », énumère le guide. Selon lui, la plupart des fermiers importent des graines permettant d’obtenir de plus grandes quantités.


Ketama. Sur le toit d'une maison, des bottes de plants de cannabis étalées pour sécher. MOHAMED DRISSI KAMILI / LE DESK


A quelques mètres de là, de jeunes Français sillonnent les plantations avec un « guide », étape préalable à la « démonstration ». Les deux groupes se retrouvent devant une modeste ferme où un agriculteur, après avoir tapoté sur un seau, récupère la poudre qui se forme au fond, entre dans son atelier. Il revient quelques minutes après avec le produit fini. Des femmes du village assistent à la scène, l’air amusé, tandis que des poules picorent autour de la maisonnette. « Ça, ça va direct à la cité. Direct à Saint-Ouen ! », dans la région parisienne, lance un badaud, en claquettes et maillot de foot du Paris-Saint-Germain, qui vient d’acheter 200 euros de cannabis.


Comme ces jeunes, nombreux sont ceux qui viennent à Chaouen pour son kif. La ville est toutefois parvenue en quelques années à élargir la palette de ses visiteurs. « Il y a 20 ans, les touristes étaient essentiellement de jeunes Espagnols qui venaient fumer. Maintenant, les non-fumeurs viennent aussi pour le bleu de la ville, très apprécié par les touristes chinois », explique le patron d’une agence de voyage.

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