Accident de Bouknadel: LGV et «mafias du rail» pointées du doigt
L’accident ferroviaire de Bouknadel survenu le 16 octobre qui a fait à ce jour 7 morts et des dizaines de blessés dont certains sont dans un état grave, a révélé de nombreux dysfonctionnements structurels de l’Office national des chemins de fer (ONCF) par ailleurs engagé dans le projet pharaonique du premier TGV africain devant relier à partir de cette fin d’année les villes de Tanger et Casablanca.
Des critiques pointent désormais la stratégie de l’ONCF qui s’est lancé malgré un endettement conséquent dans des projets de construction de la ligne et des grandes gares LGV dotées d’installations commerciales, alors que ni la qualité des infrastructures de base, ni le service aux passagers ne sont au rendez-vous.
Priorité absolue donnée à la LGV
« Il est évident que des ressources financières, en ressources humaines et en formation continue, peut-être même en matériels, ont été défalquées au service de la LGV. Tout le reste pour l’ONCF est devenu secondaire », relate une source du secteur qui explique que même le cadre de travail à l’ONCF est à deux vitesses : « les personnes qui travaillent pour le projet LGV jouissent de conditions optimales tandis que les autres sont parqués dans des trous à rat », ajoutant que « les ateliers de maintenance pour le futur TGV sont ultra-modernes alors que pour les trains conventionnels, la situation est dramatique ». Aussi, « la situation était prévisible en raison de la priorité absolue donnée à la LGV ».
Exemple significatif de cette situation alarmante, les retards enregistrés des trains qui constituent un des principaux points noirs de l’ONCF, en sus de la maintenance défaillante et de l’hygiène des rames souvent évoquées autant par les usagers que par des sources internes du personnel des cheminots.
Des retards de trains conséquents et réguliers
Selon des données exclusives extraites de la base de données en temps réel de l’Office et dont Le Desk a pu consulter le détail, parfois jusqu'à 80 % des trains journaliers ont accusé un retard durant la période d’avril à la mi-octobre 2018.
Cette base de données, tenue confidentielle jusqu’à présent, devrait selon nos sources être rendue publique à l’aide d’une interface consultable en ligne. Un leak qui fait suite à certains échanges audio entre techniciens, déjà diffusés sur les réseaux sociaux, qui rendent compte de défaillances significatives dans le système d’alerte des incidents.
Des échanges audio entre techniciens révélateurs
Ces échanges, dont la teneur a été authentifiée au Desk par des sources internes à l’ONCF, évoquent le fait que des problèmes techniques avaient été signalés sur le tronçon Salé-Kénitra à hauteur de Bouknadel bien avant que ne survienne l’accident. Ils évoquent, selon les sources consultées, l’absence d’une signalisation de ralentissement obligatoire et d’un défaut d’aiguillage déjà communiqués et qui n’aurait pas été corrigés. Un des techniciens décrit qu’un train avait subi des perturbations à une certaine vitesse et qui auraient été fatales au TNR n°9 accidenté en raison de son poids plus léger. Ce qui contredirait ainsi la thèse entendue d’un défaut du train lui-même et non au niveau de la voie ferrée. Une voie par ailleurs empruntée par les rames de test de la LGV, ce qui aurait ajouté à la désorganisation des contrôles...
D’autres témoignages d’usagers ont émergé, sur Facebook notamment, faisant état des mêmes inquiétudes lors du passage d’un train précédent celui qui a déraillé. A leur arrivée en gare de Kénitra, les voyageurs avaient formellement avisé les responsables de l’ONCF de vacillements de rames à l’endroit où devait survenir le déraillement. Ce que confirme par ailleurs un des messages audio d’un technicien.
Un écosystème de maintenance entre les mains de « mafias »
De manière générale, l’accident de Bouknadel serait ainsi la conséquence d’une situation globale liée à l’écosystème mis en place dans le traitement des avaries et de la maintenance. Selon une source experte, il y a deux pistes principales à explorer dans ce cas. D’abord le manque général de l’entretien : « Les techniciens et chefs de centre sont pressés de dire dans leurs rapports que l’état des trains est satisfaisant. Dans les faits, ils redoutent de signaler une avarie par écrit sur leurs carnets au risque de remontrances. C’est devenu une culture à l’ONCF ». Secundo, « une grande partie des contrats de sous-traitance, voirie, maintenance, signalisation, ouvrages d’art etc., sont donnés à des gens liés à l’ONCF. Il semblerait que des petits groupes d’intérêt se sont constitués autour de PME, soit avec des anciens cheminots, soit avec des proches, qui se passent de manière fréquente des petits marchés entre eux. ». Ce qui au final, explique en substance la même source, constitue un entre soi « entre les mains de mafias » qui anéantit toute possibilité de contrôle effectif ou de garde-fous, en raison de ces accointances. Preuve que le problème du système d'aiguillage de Bouknadel ne serait pas un cas isolé, un cas similaire d'aiguille défectueuse serait connu au niveau de Skhirat, d'après une source au sein d'une entreprise de maintenance en contrat avec l'ONCF.
Suite au drame, le cabinet royal a indiqué dans un communiqué qu’une « enquête a été ouverte en vue de déterminer les causes et les circonstances de cet accident ». Outre le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, et le ministre de l’Equipement, Abdelkader Amara, le directeur général de l’ONCF Mohamed Rabie Khlie et le commandant de la Gendarmerie royale, le général Mohamed Haramou se sont rendus sur place. L’ONCF demeure quant à elle cantonnée à une communication homéopathique dans le sens du démenti des témoignages des usagers.
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