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25.03.2022 à 09 H 48 • Mis à jour le 25.03.2022 à 09 H 55
Par
Sociologie

Abderrahim Bourkia : « Ce qui se passe au stade n’est que le reflet de notre société »

Craquage lors d’un derby à Casablanca. Archives / Le Desk
En l’espace d’une semaine, deux matchs ont été émaillés de violences dont le bilan s’élève à une centaine de blessés. Qu’est-ce qui explique ces scènes dignes d’émeutes urbaines ? Quelle est la responsabilité des ultras dans ces actes ? Auteur de l’essai « Des ultras dans la ville », le sociologue Abderrahim Bourkia revient pour Le Desk sur un phénomène aux multiples causes

Le 13 mars, le match opposant, dans le cadre de la Coupe du Trône, l’AS FAR au MAS a défrayé la chronique nationale et internationale. Non pas tant par sa qualité que par les violences qui l’ont émaillé, un spectacle digne d’une guérilla urbaine. Jets de pierres, dégradations de biens publics, incendie d’un véhicule… Selon la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), le bilan s’élève à 160 blessés, dont 103 parmi les rangs des forces de l’ordre. Dans la foulée, 160 personnes ont été interpellées, dont une soixantaine se trouvent en détention actuellement. Triste retour aux gradins après deux ans de pandémie avec des matchs joués à huis clos.


Rebelote le 20 mars lors de la rencontre entre le Hassania d’Agadir et le FUS, sorti victorieux 3-1. Dégradation de biens publics, bagarres… le bilan s’élève là encore à des dizaines de blessés, dont des policiers. Plus de 80 personnes ont été arrêtées.


Si le phénomène des violences dans les stades n’est pas nouveau, il continue d’interpeller le public et les responsables politiques. Et remet au-devant de la scène la responsabilité des ultras dans ces actes de vandalisme. Comment un match peut-il se transformer en scènes d’émeutes ? Quelles sont les causes de ce phénomène ? La réponse sécuritaire est-elle vraiment une solution ? Auteur de « Des ultras dans la ville » (Croisée des chemins, 2018), un essai très remarqué qui dissèque les ressorts de ces groupes souvent pointés du doigt, le sociologue Abderrahim Bourkia répond aux questions du Desk à la lumière des derniers événements.


Quelle lecture faites-vous des derniers actes de violences dans les stades à Rabat et à Agadir ?

Ces actes de violence sont la parfaite expression d'une certaine « errance socio-économique » d'une grande partie de la jeunesse marocaine. Ils révèlent aussi leur manière d'être ensemble, leur forme d'expression, et illustrent davantage les images d'un malaise. Il y a déjà une culture de violence qui est bien installée. Il est naturel de s'interroger sur les réponses institutionnelles visant à freiner cette spirale. Est-ce que l'approche sécuritaire est suffisante ? Est-ce l'arsenal juridique est capable de donner des solutions optimales sans une véritable application et un suivi à la lettre ?


Beaucoup pointent du doigt les ultras de l'AS FAR comme coupables des violences perpétrées le 13 mars au complexe de Moulay Abdellah, ce que Black Army nie. Dans quelle mesure les ultras peuvent être tenus responsables de ces actes ?

 Les ultras de l'AS FAR sont impliqués d'une manière ou d'une autre car les jeunes interpellés portent les couleurs du club et les emblèmes des groupes Ultra Askary et Black Army. C'est vrai que les noyaux durs des groupes ne sont pas impliqués directement. Il ne faut pas que le fait d'appartenir un groupe ultra devienne un chef d'accusation ou d'un motif pour envoyer les membres en prison.



Les groupes ultras marocains sont-ils différents de ceux qui existent dans d'autres pays ?

Généralement, le modèle qui est diffusé chez nous est davantage le modèle italien. Ce mouvement est installé au Maghreb, en Tunisie au début aux années 90, puis au Maroc au début des années 2000. C'est ce qu'on appelle le « supporterisme » que l'on distingue du « hooliganisme » qui est étiqueté comme maladie anglaise avec l'image de ce jeune issu de famille ouvrière, qui vivait dans les périphériques des grandes villes, les « suburbs » de Londres ou Liverpool, dans une précarité et une pauvreté, frappées de plein fouet par les mesures « thatchérienne » de l'époque.  Car il est devenu courant d'opposer la figure du « hooligan » à n'importe quel groupe d’ultras en Europe qui s'adonne à des actes de violence au stade et aux abords du stade. Le premier type de « supporter » se caractérise par son attache indéfectible à un club qu'il soutient tout au long du match et le suit partout qu'il pleuve ou qu'il vente et le deuxième « hooligan » est celui qui cherche l'affrontement physique avec les membres rivaux et la vandalisation des biens publics et privés.


À chaque événement de ce genre, les groupes ultras s'en dédouanent, expliquant que des actes commis par des délinquants ne sauraient leur être attribués. Comment expliquer cette réaction ? Les ultras sont-ils « sociologiquement homogènes » ? Qu'est-ce qui les lie particulièrement ?

La géographie du « supporterisme » s'est profondément modifiée chez nous au cours des 15 dernières années. Il y a un déclin des groupes qui se réclament « hooligans » et une mise en valeur d'un supporterisme festif et davantage créatif. Ce mouvement est devenu hétérogène. Et chaque groupe s'exprime à sa manière, certains valorisent le côté lyrique et artistique pour chanter les louanges de son club fétiche et d'autres, mécontents des contreperformances des leurs et qui sont chauffés à blanc par un contexte socio-économique, cherchent à venger une défaite y mêlant la colère éprouvée dans la vie de tous les jours. Ce n'est pas n'importe qui qui se dirige vers le stade ou porte les couleurs d'un club, il est présent pour soutenir une équipe.


Que révèle, d'une façon générale, la violence dans les stades de notre société ?

Cela révèle les maux de notre société tout simplement. Ce qui se passe au stade n'est que le reflet de notre société. À partir du moment où le « supporterisme » dans toute ses formes répond à une logique identitaire et culturelle d’un groupe en interaction avec d’autres groupes, Il révèle la structuration socio-économique de notre société, à savoir les vives inquiétudes des jeunes : les problèmes sociaux liés aux chômages, à la pauvreté, à l'exclusion, le mépris, l’incompréhension, la socialisation, l’intégration, le rêve de la fuite vers l’eldorado occidental. Mais au-delà de ça, il met à l’épreuve l’homogénéité de la société marocaine, ses insolites formes de cohésion et d’hétérogénéité et leur véritable dynamique, ses figures de socialisation et sociabilité.


Abderrahim Bourkia est sociologue, consultant en déviance/contextes Sociaux, Écrivain, Professeur à l'I2S à l'Université Hassan 1er, chercheur au (MESOPOLHIS ) à Sciences Po Aix-Marseille

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