Lutte anti-corruption : Neila Tazi demande à rendre publics les rapports de l’IGF
C’est une intervention particulièrement remarquée qu’a faite dans l’hémicycle Neila Tazi au nom du groupe parlementaire de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) à la Chambre des conseillers : « Le Maroc souffre toujours du problème de la corruption, malgré toutes les mesures qui ont été prises », a-t-elle lancé dans le cadre d’une question adressée à Ghita Mezzour, ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé de la transition numérique et de la réforme de l'administration.
Tazi a ainsi rappelé un chiffre éloquent : le fléau de la corruption coûte près de 50 milliards de dirhams par an au pays, soit l’équivalent de l’enveloppe mobilisée par le fonds Covid, faisant un parallèle significatif à la ressource nécessaire au budget annuel du projet de généralisation de la couverture sociale.
Citant les différents rapports de l’ONG Transparency, Tazi a fait remarquer que le Maroc a glissé inexorablement de la 73ème place du classement mondial en 2018 à la 87ème en 2021, alors que d’autres pays de la région MENA ont amélioré leur score, comme les Emirats arabes unis, placé à la première marche du podium dans le monde arabe et à la 24ème au niveau mondial.
Cette dégradation de la note du Maroc dans cet indice de transparence affecte directement la confiance des investisseurs, notamment étrangers (IDE), qui se fient particulièrement à l’évolution de ce type d’indicateurs dans leur décision d’engager ou non des investissements dans les pays cibles (Doing Business).
La représentante du patronat à la Chambre des conseillers a souligné que malgré la Stratégie nationale de lutte contre la corruption lancée en 2012, et dont la CGEM a largement contribué à la mise en œuvre, « la corruption est encore institutionnalisée, (…) courante dans tous les secteurs, constituant un véritable obstacle au développement ».
Une promesse de campagne du PJD qui a échoué
Neila Tazi a aussi rappelé dans son allocution qu’elle avait déjà, il y a deux ans, interrogé l'ancien chef du gouvernement, Saâdeddine El Otmani, lui signifiant que son exécutif s'était engagé auprès des citoyens à l'éliminer, et qu’il n'avait pas atteint les objectifs qu’il s’était assignés. A ce titre, hormis le Numéro Vert anti-corruption mis en place sous son mandat, la lutte contre la corruption dont le Parti de la justice du développement (PJD) en avait fait un des principaux thèmes de campagne, a échoué.
Ghita Mezzour a d’ailleurs en parallèle fait état de l’avancement de ce chantier. « Quelque 67 000 appels ont été reçus jusqu'à mi-mai courant sur la ligne téléphonique directe créée par la présidence du Ministère public et lancée le 14 mai 2018 et dédiée à la dénonciation d'actes de corruption », a indiqué la ministre déléguée, en réponse à la question orale présentée par le groupe CGEM à la Chambre des conseillers.
Elle a noté que la ligne téléphonique anti-corruption a donné lieu, trois ans après son lancement, à 217 interpellations de suspects en flagrant délit, à raison de deux cas par semaine, dont des salariés du secteur public et privé dans toutes les régions du Royaume.
La ministre a indiqué que le programme gouvernemental a « placé la lutte contre la corruption au centre des priorités afin de renforcer la confiance entre l'usager et l'administration, notant que la stratégie nationale de lutte contre la corruption a été mise à jour, permettant la convergence et la réalisation progressive de ses objectifs ».
Cette stratégie, a-t-elle relevé, vise à infléchir durablement la courbe de la corruption, à renforcer la confiance des citoyens, à améliorer le climat des affaires et le positionnement international du Maroc et à atteindre 30 objectifs procéduraux à travers la mise en œuvre de 203 projets en trois phases s'étendant de 2016 à 2025.
Le ministère de Mezzour a préparé un ensemble de projets structurants visant à renforcer la transparence et l'intégrité au sein des administrations publiques en lançant les portails électroniques chafafiya.ma, chikaya.ma et Open data, a relevé Mezzour, qui ont enregistré 33 000 visites de 130 pays, a-t-elle précisé, affirmant que « ces mécanismes permettent au citoyen d'obtenir des informations auprès des administrations dans un cadre de transparence ».
La ministre a également évoqué la promulgation de la loi relative à l'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption, qui vise à renforcer les prérogatives de cette autorité dans le domaine de la prévention de la corruption et à élargir son champ de compétences qui inclut désormais l'élaboration de recommandations stratégiques pour les politiques de l'État et l'émission d'avis sur les stratégies nationales.
Des mesures préventives qui ne suffisent pas
Neila Tazi, qui salue les diverses initiatives entamées dans le cadre de cette Stratégie nationale dont la hotline, estime néanmoins que si la digitalisation des procédures est une mesure préventive importante, celle-ci ne suffit pas à elle seule, à éliminer la corruption. Et de souligner, conformément au dispositif législatif relatif à l’accès à l’information, la nécessité impérieuse de rendre publics les rapports de l'Inspection générale des finances (IGF), d’assurer la pleine transparence des transactions publiques, notamment concernant les marchés des organismes d’Etat, de supprimer toute barrière entravant la libre concurrence et de réformer se faisant l'administration publique.
Ce n’est pas la première fois que Neila Tazi aborde le thème de la corruption dans son travail de parlementaire. En avril 2018, à l’époque en sa qualité de vice-présidente de la Chambre des conseillers et présidente du Chapitre Maroc du réseau parlementaire sur la Banque mondiale et le FMI, elle a participé à Washington à un panel consacré, en marge de la réunion annuelle du réseau, à la lutte contre la corruption sous le thème « bonne gouvernance et le rôle des législateurs » en compagnie de Sean Hogan, avocat général et directeur du département juridique du FMI, et du « tsar de l’éthique », Norman Eisen, avocat conseiller spécial du président Barack Obama.
C’était, comme le relatait Le Desk, l’occasion pour elle de présenter l'expérience marocaine en matière de lutte contre la corruption, la Stratégie nationale en la matière et la récente mise en place de la Commission nationale de lutte contre la corruption.
En sa qualité d'élue de la CGEM, Tazi avait été invitée à présenter le rôle du secteur privé sur la question, le rôle joué par la CGEM à travers sa « Commission éthique et bonne gouvernance » dans l'élaboration de la Stratégie nationale, mais également le pilotage par le secteur privé du programme 8 (intégrité du monde des affaires) de cette même Stratégie, le déploiement d'outils tels que la charte RSE, la promotion de la norme ISO 37001 et la participation du secteur privé dans l'élaboration des lois.
La corruption étant un frein majeur au développement, mais également à l'aide au développement, Neila Tazi avait particulièrement insisté sur le rôle fondamental des parlementaires qui doivent se saisir plus fortement des prérogatives qui leur sont octroyées pour combattre radicalement ce fléau. Elle avait mis en avant la dimension inclusive (gouvernement et société civile) de la Stratégie nationale.
Pour plus de transparence, Neila Tazi et Norman Eisen s’étaient à cette occasion accordés à rappeler l'importance de la protection des personnes dénonçant les actes de corruption et le rôle des médias dans ce processus, au même titre que tous les acteurs. « La communication joue un rôle essentiel dans cette lutte et seuls des médias indépendants seront à même de jouer leur rôle dans ce dispositif qui englobe tous les acteurs de la société », avait-t-elle insisté à dire.
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