A la Chambre des représentants, les députés crient leur ras-le-bol face à l’absentéisme des ministres

La séance hebdomadaire consacrée aux questions orales à la Chambre des représentants a failli se finir plus tôt que prévu. Pour cause : ce qui a été qualifié par « le boycott gouvernemental » du parlement par plusieurs députés de la première chambre.
En effet, un ordre du jour riche avait été établi pour cette séance du 20 mai, avec huit ministres en charge de pas moins de dix départements, dont l’Agriculture, l’Industrie, l’Économie, le Budget, l’Emploi, le Tourisme ou encore l’Investissement. Or, sur les huit ministres attendus par les représentants, quatre ont annoncé leur absence, à savoir Nadia Fettah, ministre de l'Économie et des Finances, Younes Sekkouri, ministre de l'Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l'Emploi et des Compétences, Fatim-Zahra Ammor, ministre du Tourisme, de l'Artisanat et de l'Économie sociale et solidaire, et Mohcine Jazouli, ministre délégué auprès du Chef du gouvernement, chargé de l'Investissement, de la Convergence et de l'Évaluation des politiques publiques.
La correspondance de Baitas tenant au courant la présidence de la première chambre de l’absence de ces ministres a été lue, comme l’indique le règlement intérieur de cette chambre, à l’ouverture de la séance par Driss Chtaibi, député de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et troisième vice-président de la Chambre à qui il incombait de présider la plénière de ce lundi. Celle-ci indiquait que le porte-parole du gouvernement se substituera à ses collègues absents pour répondre aux questions qui leur sont adressées, évoquant le principe de « solidarité gouvernementale », conformément à l’article 93 de la Constitution, aux articles 3 et 9 de la loi relative à l’organisation du travail de l’Exécutif et enfin l’article 266 du règlement intérieur de la première chambre.
La première critique est venue du président de la séance, Chtaibi, qui ne s’est pas empêché de commenter : « je trouve que cette solidarité est exagérée ». Les voix des parlementaires se sont vite élevées et les cris se sont multipliés interrompant ainsi le mot d’ouverture. Face aux tentatives des groupes de la majorité qui ont aussitôt surgi pour défendre les membres du gouvernement concernés, Chtaibi n’a pas hésité à rétorquer : « si quelqu’un se trouvant en-dessous de cette coupole n’a pas l’idée de défendre le pouvoir législatif, je ne peux qu’être étonné », avant de poursuivre ses tentatives de remettre de l’ordre à la salle.
Un semblant de calme enfin réinstauré, les présidents des groupes parlementaires de l’opposition ont pris la parole dans le cadre de motions d’ordre, faisant tous part des mêmes reproches. « Le règlement intérieur prévoit certes la possibilité pour le ministre chargé des relations avec le parlement de prendre la parole à la place de l’un de ses collègues. Cependant, cela ne peut pas se faire en masse et il ne doit y avoir de recours à cela qu’en cas de besoin uniquement », a souligné Driss Sentissi, président du groupe du Mouvement Populaire (MP) à la Chambre des représentants. Ce député a ainsi étayé les cas où l’absence d’un ministre convoqué par le parlement est justifiée, estimant que la situation de ce lundi ne convient à aucun des trois cas de force majeure prévus par la loi. « Nous considérons que l’article 262 n’est pas applicable dans ce cas », a-t-il ajouté, notant que « les questions orales ont un aspect actuel, et visent à éclairer l’opinion publique ».
L’intervention de Sentissi a été suivie par celle de Mohamed Chaouki, président du groupe du Rassemblement national des indépendants (RNI) qui s’est soulevé pour défendre les ministres absents. Le jugement « exagéré est très subjectif à mon avis », a-t-il lancé en réponse à Chtaibi, avant de hausser le ton contre les autres députés : « Nous comprenons cette paresse dont souffrent certains et qui les empêche de produire de véritables sujets pour exercer l’opposition, mais nous nous opposons à ce que la Constitution soit utilisée par ceux-ci pour uniquement abuser de ses dispositions ». Le leader du RNI a ainsi insisté que la question de l’absence « légitime » des membres du gouvernement est « une affaire fictive », justifiant ses propos par les mêmes articles précités dans la correspondance de Baitas.
« La goutte qui a fait déborder le vase »
Les prises de parole des différents présidents de groupes se sont ainsi succédées. Les attaques-défenses et arguments-contre-arguments ont cependant vite cédé la place aux accrochages et le chaos s’est vite réinstallé poussant Chtaibi, incapable de remettre à l’ordre les députés et lui-même dénonçant fermement les parlementaires qui défendent le gouvernement, à lever la séance. Cette situation a ainsi provoqué une suspension d’une bonne trentaine de minutes, avant la reprise de la séance et de sa diffusion avec la prise de parole de Baitas.
« Le ministre délégué en charge de l’Investissement est aux États-Unis prenant part à une importante foire pour attirer les investissements dans notre pays (…) le ministre de l’Emploi est actuellement à l’étranger », a déclaré Baitas, justifiant l’absence de ses collègues et rappelant qu’il a expliqué cela dans sa correspondance. Et d’ajouter : « En ce qui concerne la ministre de l’Économie et des Finances, le département est représenté aujourd’hui et le ministre chargé du Budget se chargera de répondre aux questions (…) il reste un seul département qui n’est pas présent en raison d’engagements gouvernementaux urgents, à savoir le Tourisme dont je me chargerai de répondre aux question liées ». Dans la même veine, Baitas a réitéré le respect et l’estime de l’Exécutif envers le parlement.
Cependant, bien que la séance se soit par la suite poursuivie normalement, les arguments avancés par le porte-parole n’ont vraisemblablement pas réussi à calmer la colère des députés. Contactée par Le Desk, une source au Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), ne cache pas la frustration des parlementaires tant de cette formation que d’autres. « Nous sommes malheureusement devenus habitués avec ce gouvernement à ce genre de comportement. Les ministres ne ressentent pas le besoin ou l’envie de se présenter et répondre aux questions des parlementaires », déplore cette source, ajoutant que « le porte-parole du gouvernement invite les députés à reprogrammer ou à reformuler leurs questions en écrit. Or, les questions écrites qui sont restées sans réponse ou auxquelles les réponses sont venues des mois après, nous en avons une tonne ».
Bien qu’admettant que pour certains départements les absences de ce lundi peuvent être « comprises et excusées », notre source déplore surtout l’absence de Sekkouri. Reprenant le même argument du caractère urgent de certaines questions programmées lors de cette séance, notre interlocuteur s’insurge : « Est-ce le contexte actuel pas suffisamment urgent pour le ministre de l’Emploi de retarder ou annuler son déplacement à l’étranger et venir éclaircir les Marocains sur la situation si inquiétante en matière de l’emploi et de la formation, notamment sous la lumière des derniers rapports des institutions constitutionnelles ? ».
Pour cet interlocuteur, l’agitation qui a marqué la séance des questions orales de cette semaine est « tout à fait normale, et ne fait que traduire la frustration que vivent les membres de l’Institution législative avec l’actuel Exécutif ». La question de l’absentéisme des ministres au parlement ayant été évoquée à maintes reprises, « les absences en lot annoncées ce lundi ont été la goutte qui a fait déborder le vase », indique notre source, estimant que les fortes réactions sont tout à fait « justifiées ». Dans ce sens, il évoque le même argument que celui brandi par le président du groupe de l'USFP, Abderrahim Chahid : « Dans le cas de ce ministre, sur les 23 séances auxquelles il devait prendre part, il n’a assisté qu’à quatre. Cela s’applique à d’autres aussi ».
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