Musique À la recherche du son perdu: la quête de Jannis Stürtz, chineur de Fadoul, le James Brown marocain
Quand certains cherchent des Pokémons, d’autres font du vinyl digging. Une discipline pratiquée par des DJ dont le but consiste à chercher de vieux vinyles ou d’antiques cassettes pour déterrer des sons à sampler. Ces chineurs ont fait des continents comme l’Afrique ou l’Asie leur terrain de jeu. On leur doit notamment la découverte du jazz éthiopien popularisé par des DJ comme l’américain Nicholas Jaar qui a fait du musicien Malatu Astakte sa source d’inspiration musicale.
Au Maroc, c’est le DJ et producteur berlinois Jannis Stürtz qui racle les fonds de tiroirs des disquaires. Quand nous le rencontrons dans un café à proximité de l’ancienne médina de Casablanca, il donne l’impression de découvrir l’Amérique. « Je viens de revenir de Labhira où j’ai acheté quelques 45 tours que je vais écouter dans ma chambre d’hôtel », jubile-t-il. Après de multiples voyages au pays où il a écumé les vieux disquaires de Casablanca, Rabat, Marrakech et Agadir, sa plus grande découverte est sans doute Fadoul. Une sorte de James Brown marocain inconnu du grand public.
Mix du DJ américain Nicolas Jaar inspiré du musicien éthiopien Mulatu Astatke
Jannis la fouine
Quand il parle de musique marocaine, Jannis se défend d’en être un expert : « Je ne connais pas la musique marocaine. Je me contente de rechercher des sons joués par des musiciens de l’époque qui ont complètement disparu dans la nature ». Sa technique est simple : visiter les anciens disquaires et errer dans la ville, muni d’un petit lecteur de vinyle dans son sac. Victimes de la digitalisation de la musique, du piratage et de la quasi-disparition des cassettes et des vinyles, les vieux disquaires vivent avec le sentiment d’être des damnés de l’histoire. « Ils sont généralement aigris et mélancoliques. Ces témoins d’un business jadis prospère s’étonnent qu’un blanc bec vienne chercher des disques qu’ils gardent jalousement dans des cartons poussiéreux. Il faut manœuvrer délicatement avec eux », déclare, amusé, Jannis.
« Quand je repère un commerce de vieux matériel audio, je m’y incruste sans hésiter. Il y a une chance sur deux de trouver de vieux vinyles cachés dans un recoin », nous confie-t-il. Et son flair va s’avérer payant en 2015, quand il tombe sur un 45 tours dans la médina de Casablanca. « Sur la pochette, il y avait la photo de Fadoul et derrière le nom de James Brown. Je suis rentré à l’hôtel et j’ai écouté le disque qui s’appelle Sid Redad. C’était la révélation pour moi », se souvient l’explorateur.
Jannis mixant ses trouvailles à Paris
En effet, Sid Redad est une reprise du tube Papa got a brand new bag de James Brown chanté en darija par Fadoul. Cette découverte tourne à l’obsession pour Jannis qui se rend à quatre reprises au Maroc avec pour mission de chercher les disques enregistrés par Fadoul. Il en déniche deux à Casablanca, et deux autres à Rabat et Agadir. « L’idée de compiler un album devenait évidente. J’ai réussi en deux ans à réunir huit chansons que j’ai remasterisées dans mon studio Jakarta Records et sorti cette année sous le label Habibi Funk. Nous avons vendu quelques milliers d’exemplaires entre CD et vente en ligne. C’est une musique de niche qui a son public », détaille Jannis.
Mais qui est au juste Fadoul ?
Al Zman Saib enregistré par Fadoul en 1971, est une reprise d’All right now du groupe The Free
Fadoul : 1942 - 1991
« En cherchant ces disques, j’ai voulu également le rencontrer. J’avais pour seule piste un membre du groupe casablancais The Golden hands par qui j’ai appris la mort de Fadoul et qui connaissait vaguement le quartier où il a habité », rembobine Jannis qui débarque à Casablanca avec l’intention de reconstituer l’histoire de Fadoul. Chanteur au timbre Rythm and Blues très proche de James Brown, Fadoul a vécu comme une rockstar. Peintre, chanteur et acteur, on raconte même qu’il aurait travaillé quatre ans durant les années 80 comme clown dans en cirque en Hollande.
Comme Fadoul, Bob Jalil et d’autres artistes de l’époque donnaient un cachet local aux grands succès de l’époque
Côté musique, Fadoul reprenait les grands tubes de James Brown ou encore The Free ou Bad Company en darija avec des textes qui portent tout le spleen de la jeunesse révoltée de l’époque. Il aurait même écrit la musique d’une pub d’une marque de jus d’orange. En cherchant les musiciens qui jouaient avec lui, Jannis rencontre le bassiste, seul survivant du groupe Fadoul et les Privilèges. Finalement de fil en aiguille, il trouve le lieu de résidence de la famille de Fadoul. « J’ai rencontré sa nièce âgée de 21 ans qui connaissait vaguement la carrière artistique de son oncle. Grâce à elle, j’ai rencontré les membres de sa famille pour les informer de la sortie du CD de Fadoul et pour leur filer 50 % des royalties de l’album El Zman Saib, soit 3 500 euros », précise Jannis.
Direction Alger
Ce qui a fasciné le jeune berlinois dans la musique de Fadoul c’est son côté bricolage et le côté non aseptisé du son. « Il n’avait pas les moyens des groupes comme Jil Jilala, donc il se débrouillait pour enregistrer avec le minimum et sans grand savoir-faire en production. Exemple : un de ses morceaux commence avec un son de basse très forte. Quand il s’en rend compte, il coupe carrément le son de la basse et enregistre la piste telle quelle. C’est ce côté minimaliste qui frôle la naïveté qui m’intéresse », analyse Jannis qui mixe ces morceaux lors de soirées dans des clubs à Beyrouth, Paris et Berlin.
Au début des années 80, Fadoul devenu Bob Fadoul, enregistre quelques morceaux dans un studio à Alger. Une musique dont il reste une cassette pour unique trace.
Mais, Jannis n’est pas au bout de ses surprises. Quand la première compilation El Zman Saib est sortie, un Algérien le contacte sur Facebook pour l’informer qu’il dispose d’un enregistrement de Fadoul. « À la première occasion, j’ai sauté dans un avion et j’ai débarqué à Alger. Le monsieur en question me fait écouter une cassette avec deux morceaux reggae que Fadoul a enregistrés dans un studio algérien sous le nom de Bob Fadoul », détaille Jannis qui rajoute : « Il ne s’agit pas d’une grossière interprétios d’un standard de reggae. Fadoul livre un son qu’on pourrait qualifier de Deep Dub qui témoigne d’une bonne compréhension de cette musique jamaïcaine. Sans oublier qu’en 1983, il s’est essayé également au rap, un style inconnu dans le reste du monde à l’époque ». Malgré la qualité très moyenne de la cassette, Jannis débourse 400 euros pour l’acquérir et ces morceaux feront partie d’une galette qui sortira prochainement chez Jakarta Records. Une nouvelle occasion de découvrir l’univers sonore d’un Maroc définitivement relégué aux oubliettes.
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