
Parution Le Maroc de Patti Smith
Horses, le chef d’œuvre de Patti Smith qui envoie à ce jour des ondes de choc traversant la musique, la littérature et la mode, a aujourd’hui quarante ans. Son nouveau mémoire, M Train, est une rêverie proustienne couvrant ces quatre décennies, un tour de force magique et mystique qui démarre dans un café coquet situé au Greenwich Village et sui se termine comme un requiem dans le même endroit, enclavant, dans la foulée, tout un monde perdu en 253 pages.
Just Kids, sa première autobiographie, était une élégie pour Robert Mapplethorpe, le photographe qui l’a aidée à forger son look caractéristique, en conceptualisant et immortalisant son androgynie dans la photo illustrant la pochette de son premier album, Horses. Il était également un ami cher emporté trop tôt par le sida et, tout comme elle, un artiste luttant pour sa propre reconnaissance.
M Train n’est pas le récit de sa réussite, mais un guide pratique sur comment la survivre. A 68 ans, Patti Smith a vu mourir un grand nombre de compagnons qui l’ont soutenue pendant sa jeunesse. Elle y pleure son mari, Fred Sonic Smith, mort en 1994, et son frère Todd décédé exactement un mois plus tard. Elle y fait également le deuil des artistes avec lesquels elle avait senti une connexion dont les pères fondateurs de la Beat Generation, tels que Paul Bowles, Walt Whitman et William S. Burroughs.
M comme Mental
Comme le titre le suggère, ce deuxième mémoire est un récit de voyages réels et mentaux. Son addiction pour le café l’a conduite à fantasmer sur le Maroc avant même qu’elle n’y mette les pieds. A Detroit, où elle vivait en semi retraite avec sa famille pendant les années 1980, elle se rendait tous les samedis matin à une franchise de 7 Eleven où elle commandait un grand café noir et un doghnut, avant d’aller s’asseoir sur un mur bas, blanchi à la chaux, appartenant à un magasin de pêche. « Pour moi, cela ressemblait à Tanger, bien que je n’y avais encore jamais été. Je me suis assise sur le sol dans le coin entouré de murs bas blancs, (…) libre de vagabonder sur le doux pont reliant le passé au présent. Mon Maroc. J’ai suivi les trains que j’ai voulu suivre. J’ai écrit sans écrire – sur les génies et les prostitués et les voyageurs mythiques, ma vagabondia. Après, je marchais jusqu’à la maison, joyeusement assouvie, et je reprenais mes tâches quotidiennes. Même maintenant, après avoir enfin été à Tanger, mon coin derrière le magasin de pêche ressemble au vrai Maroc dans ma mémoire. » écrit-elle. Au Maroc, elle se rendra au moins deux fois. En 1997, pour rendre visite à Paul Bowles deux ans avant sa mort et 2013 quand, invitée au Colloque à Tanger, elle a été accompagnée sur scène par les Maîtres Musiciens de Jajouka et Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers. Elle en profitera pour effectuer un pèlerinage à la tombe de Jean Genet à Larache.
Trois pierres pour Genet
Pour célébrer le premier anniversaire de leur mariage, Patti Smith et son mari se rendirent en 1981 à Saint-Laurent-Du-Maroni, la colonie pénitentiaire située au nord-ouest de la Guyane Française où les prisonniers français étaient envoyés avant leur expédition à l’Île au Diable. Elle voulait récupérer des pierres sur les ruines du site et les livrer à Jean Genet qui, idolâtrant les prisonniers de Saint Laurent, a été déçu de devoir servir sa peine ailleurs. L’écrivain, qui refusait catégoriquement de se faire enterrer dans sa France natale, est mort en 1986, et c’est sous l’étiquette de travailleur immigré que sa dépouille a atterri sur le sol marocain. Patti Smith n’a pas pu lui délivrer les pierres de son vivant, elle les a gardées pendant plus de trente ans, à l’abri dans un paquet de Gitanes vides. En 2013, elle a rendu visite à Genet qui repose désormais dans le cimetière espagnol de Larache, située sur une colline face à la mer et bordé d’une prison civile et un ancien bordel. L’escapade, qui a eu lieu au lendemain du concert donné lors du Colloque à Tanger honorant les mastodontes de la Beat Generation, a donné lieu à un court métrage signé Christoph Schlingensief. Le réalisateur allemand voulait faire ce film depuis huit ans, quand Patti Smith et le producteur marocain Karim Debbagh ont évoqué l’idée en 2005, pendant le tournage de The African Twintowers en Namibie dans lequel la chanteuse a joué. Le résultat est un court métrage filmé en noir et blanc à l’aide d’une caméra de type Bolex, qui a fait la tournée des festivals.
En début du court métrage, elle évoque les saints beatnik de Tanger Allen Ginsberg qui, lors de leur première rencontre, l’a prise pour un jeune homme et William S. Burroughs dont elle garde le mouchoir à ce jour, des monstres sacrés qui ne sont plus mais qui, avec Jean Genet, ont éternellement fait du Maroc un lieu de pèlerinage pour la marraine du punk.
M Train, Patti Smith, Trad. de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Hors série Littérature, Gallimard, avril 2016, 253 p.
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