Art « Le songe d’une nuit d’hiver » de Fathiya Tahiri
Ils se tiennent là, seuls ou en groupe, serrés les uns contre les autres, au bord de la toile, soit parce qu'ils déguerpissent, s'enfuient, soit parce qu'au centre, ils n'en ont plus la force. Leur silhouette se trouve alors démesurément étirée, et leur tête semble hydrocéphalique, ou peu s'en faut.
Ces pauvres bonshommes ou bonnes femmes, dépeints par Fathiya Tahiri, tantôt nus, les yeux grands et perçants, exprimant tantôt des supplications muettes, tantôt une rage folle contre ce qu'ils ont en face d'eux, sont tous traversés, renversés, lessivés, foudroyés par des flux, des courants, des drames, qui, sans être nommés ni même figurés, se reconnaissent.
L’artiste privilégie les couleurs acides : des rouges de braise, un rose chair pâle, un vert d’eau, un autre de teinte atomique, un bleu fluorescent et un autre d'aspect intergalactique... Celles-ci teintent bizarrement les personnages d’une douce lividité, renforcée par des coups de pinceau balayant et floutant leurs contours. Ces êtres semblent sur le point d'être aspirés par le fond, peints dans les mêmes teintes sales et mélangées, donnant une impression de netteté incertaine.
Fathiya Tahiri dans sa nuit
« C’est un tableau qui me bouleverse », chuchote une visiteuse. Devant la peinture d'une femme allaitant son enfant, les jambes écartées pour s'approcher du spectateur, ses yeux vides semblent vous fixer, vous donnant un frisson d'effroi le long de l'échine.
Spectrale, ce visage semble surgir de la nuit, un peu flou, sans s'en détacher complètement, donnant une impression de glaciale présence. Il est comme retenu entre deux mondes, à la frontière du visible et de l'invisible, exprimant à la fois la douleur et la force de cette mère, sa peine incommensurable et sa puissante ténacité. Effacée par le poids de la maternité, elle n'est plus là pour personne, mais reste présente pour lui, sans jamais baisser les bras.
La peinture s'efforce autant de révéler les sujets que de les submerger dans la matière, rarement épaisse. C'est même tout le contraire. Elle est fluide et nébuleuse. Les visages émergent des toiles, telles des reflets à la surface d'une flaque d'eau.
Fathiya Tahiri utilise parfois de la technique mixte ou de la peinture à l’huile, une approche à la fois tendre et explosive. Contre qui ? Contre tous : elle-même, et ensuite le spectateur. Avec ses pinceaux, elle explore les méandres de son propre être pour exprimer ses réflexions et ses sentiments les plus profonds.
Les œuvres de Fathiya Tahiri donnent toujours l'impression d'être trempées les sujets ont des traits qui errent, la chair se décompose et l'expression se liquéfie, littéralement. C'est le résultat de la touche à la fois griffue et douce d'un peintre qui cherche à marquer son sujet, voire à le blesser, pour ensuite le réconforter, sans chercher à reproduire fidèlement qui que ce soit.
À nos yeux, cependant, la peinture de Fathiya Tahiri possède quelque chose en plus : un mélange de cruauté et d'empathie qu'elle projette sur ses sujets et le spectateur. Fathiya Tahiri fait partie de ces artistes chanceux qui ne se demandent jamais « quoi peindre », mais seulement « comment le peindre ». En réalité, elle laisse libre cours aux subjectivités de ses émotions et de ses sentiments, qui prennent le pas sur la représentation du réel pour interpréter plutôt ce que l'on a ressenti, de la manière la plus personnelle et sincère possible.
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