
Papotage avec Alaa Zouiten, le moderniste du Oud
Son chapeau fedora et sa chemise bariolée clashait avec le look dandy ivoire arboré sur la pochette de son dernier album, Talking Oud, dont il a apporté quelques exemplaires au penthouse du Sofitel. Le jeune musicien habite à Berlin depuis quelques années et a fait son déplacement à la ville blanche pour jouer pendant les afters de Jazzablanca au Sofitel Tour Blanche. Il est avenant et chaleureux, mi frère, mi ould derb, son interview s’est transformée en séance de papotage au point que l’organisation nous a intimé d’écourter les questions.
Né à Casablanca en 1985 mais élevé, avec ses deux sœurs, à Youssoufia par des parents employés de l’OCP, Alaa a baigné dans un univers musical classique et prévisible, typique de la plupart des familles marocaines. Son père, mélomane, écoutait Oum Kalthoum, Abdelhalim Hafez, du malhoun et du tarab andaloussi, mais pas seulement. « En dépit de son côté aristocrate fassi, il aimait Nass El Ghiwan, ce que j’ai toujours trouvé bizarre. » Son père a préparé le terreau de ses influences musicales, mais c’est chez sa grand-mère qu’aura lieu la révélation. Le jeune garçon passait un énième été chez la matriarche quand il est tombé sur un petit piano. L’obsession est devenue telle qu’il a perdu tout intérêt pour le foot, lui préférant la cacophonie du jouet. « Vu que cela faisait énormément de bruit, la famille s’est mise à me le cacher, mais je finissais toujours par le trouver. Je pianotais dessus sans connaître la moindre notion en musique ». Pourtant, il arrivait à jouer quelques mélodies agréables à l’oreille sur le petit instrument, si bien que son cousin a convaincu ses parents de l’inscrire à un cours de musique.
A l’Association Culturelle de Youssoufiya, la seule association culturelle de la ville, il rencontre son tout premier mentor, un professeur nommé Aziz Rbib. « Il était d’une générosité extraordinaire. Il nous apprenait également la danse, la peinture et le théâtre. Il apportait des partitions de septième et de 8ème année de conservatoire et me demandait de les jouer ». Aziz Rbib lui appris à jouer au piano, quant au luth, c’est son cousin qui lui a montré comment le manier en reprenant Bent Bladi, la plus andalouse des chansons marocaines.
De la musique à la médecine et vice versa
Elève studieux et brillant, Alaa a eu la meilleure note du bac de la région de Safi l’année de sa diplomation. Evoluant dans un Maroc et une famille où il est impensable de faire de sa passion un métier, il était logique qu’il abandonne la musique pour emprunter un chemin plus apollinien. D’abord en tentant une inscription à des classes préparatoires à Paris, mais l’égarement de son dossier d’inscription a fait qu’il n’a pas eu le visa à temps, ce qui l’a amené à opter pour la faculté de médecine de Marrakech dont il avait réussi le concours haut la main. Les deux premières années d’études étaient plutôt paisibles, c’est quand le programme des cours a commencé à se corser qu’il s’est remis à sous-peser la possibilité de continuer ses études à l’étranger. Côté musique, les jam sessions entre potes commençaient à le limiter, d’autant plus que ses propres influences devenait de plus en plus matures. « Je venais de rencontrer Paco de Lucia et j’écoutais Miles Davies et la musique classique. Je me suis dit que si je voulais atteindre le niveau de virtuosité des personnes que j’admire, il fallait que je me déplace chez eux ».

Au milieu de sa quatrième année de médecine, il prend une pause et fait le tour du Maroc en compagnie d’un ami. Ensemble, ils parcourent plus de 1 500 kilomètres en vélo et distribuent des médicaments dans les villages isolés. « A mon retour, je me suis dit que ce break sera définitif, que j’étais né pour faire de la musique. On nait seul et on meurt seul, chacun doit assumer ses propres choix ». Une fois la décision prise, il s’enferme chez lui, se laisse pousser une barbe et, pendant deux mois, il cherche sur internet où il pourrait se rendre pour aiguiser son talent. La France était celle de Sarkozy, le Canada et les Etats-Unis sont trop chers, la Belgique manque de soleil… Il finit par choisir l’Allemagne et apprend la langue en autodidacte pendant un an.
Influences hétéroclites
Durant cette période charnière et avant de rejoindre les bancs de l'Ecole Supérieure de Musique Franz Liszt de Weimar, Alaa a rencontré son deuxième mentor : Mohamed Jbara. Le père de la fusion marocaine apprécie le talent du jeune musicien et le recrute le temps de la production de son album Lmida. « J’habitais pratiquement chez lui, on répétait chez lui tous les jours, c’était mon second atelier. J’ai appris beaucoup de choses avec lui, notamment l’expérience sur les grandes scènes, même si ce n’était pas des scènes internationales ». Jbara lui a appris que les musiques traditionnelles marocaines peuvent servir de repère tel que prouvé par le succès légendaire de Nass El Ghiwan. « Nous sommes chamboulés au Maroc dans les mariages, on écoute l’ayta et sur la radio on écoute de l’oriental. Même les compositeurs qui ont émergé après l’indépendance, comme Doukkali, ont été influencé par l’école orientale. »
En ce qui concerne ses influences spécifiques au oud, il cite Mounir Bachir et Saad Chraibi. Le premier lui a fait comprendre que le luth peut devenir agressif, un instrument à part entière avec lequel on peut faire un récital, à la manière de la cithare de Ravi Shankar le second est pour lui le seul musicien marocain capable de faire parler son luth.
Talking Oud
« Pour un instrumentaliste, le vrai challenge et le but ultime c’est de faire chanter son instrument. Dans cet album, j’ai fait une palette de plusieurs styles et atmosphères où le luth peut, à chaque fois, parler une langue différente. » L’album en question, Talking Oud, est son dernier en date, sorti trois ans après son premier dans lequel on entend jouer son premier quintet de musiciens jazz. Les deux albums ont été autoproduits en Allemagne et Alaa est à ce jour son propre manager. Il jongle avec ses études, les concerts et l’élaboration de son prochain album qui sera un mélange de musiques nord-africaines et de flamenco.
Il fait parler son instrument tel un ventriloque, mais il veut surtout contribuer à le moderniser et le rajeunir. « Il faut le dépoussiérer et le considérer comme un moyen d’expression, ni plus ni moins, pas obligatoirement en jouant les maqamat arabes. » La musique du luthiste est influencée par l’esprit jazz, son instrument ne s’exprime pas de façon linéaire mais joue au ping pong avec les autres instruments. « La tradition du arabe exige que la musique soit horizontale, sans le moindre changements d’accords ou d’harmonie », déplore Alaa. Ceci dit, il insiste sur le fait de maîtriser les règles à la perfection avant d’oser les briser comme quoi, la modernité c’est sacraliser l’ancien pour qu’il daigne céder la place au nouveau.
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