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16.12.2016 à 17 H 13 • Mis à jour le 16.12.2016 à 17 H 16 • Temps de lecture : 4 minutes
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Parution Retour difficile pour les “Revenants” du jihad en Syrie

Ils s'appellent Bilel, Yassin, Zoubeir, Safya ou Lena. Français expatriés en Syrie pour y grossir les rangs jihadistes, ils sont de retour. Le journaliste David Thomson a recueilli leurs confidences et dresse leurs portraits dans “Les Revenants”

De David Thomson, on se souvient d'un passage remarqué dans l'émission Ce soir ou jamais. Ce 25 avril 2014, dans le talk-show de Frédéric Taddeï, le jeune journaliste vient présenter Les Français jihadistes, récit d'une enquête auprès de ceux qui ont choisi d'aller combattre en Syrie. Il y évoque un groupe jihadiste alors peu connu, l’État Islamique en Irak et au Levant, dont les membres lui auraient affirmé considérer le sol français comme un terrain d'action légitime. Stupeur des co-invités : entre une « représentation qui fait le jeu du populisme européen » et un « glissement dangereux », ils lui reprochent son amateurisme et déplorent un manque d'humilité. Huit mois plus tard, l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo fait douze morts. Le 13 novembre, on en déplore 130 dans Paris, revendiqués par l’État Islamique. Le 14 juillet dernier, le camion-bélier de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel tue 86 personnes sur la promenade des Anglais, à Nice.


Deux ans plus tard, Thomson récidive avec Les Revenants, co-édité en décembre 2016 par les Éditions Seuil et le pure-player Les Jours. Sur les quelques 1 100 français partis combattre en Syrie, sept cents s'y trouvent toujours et deux cents y sont morts. Les autres sont de retour : beaucoup attendent leur jugement dans les prisons hexagonales, certains tentent de se réinsérer avec plus ou moins de bonheur tandis que quelques-uns comptent poursuivre le combat en France.


Expatriés en Syrie


Pourquoi sont-ils partis ? Thomson évoque un « sentiment de frustration et d'humiliation en France ». Selon lui, « l’État islamique propose à ces ego froissés une dignité, un statut, une revanche sociale et la foi en une transcendance spirituelle. La propagande occupe le vide idéologique de la postmodernité en leur vendant un projet, là où les sociétés capitalistes sécularisées ne sont plus en capacité de produire une politique génératrice d'espoir ». Il rappelle que les milieux populaires sont surreprésentés parmi les jihadistes et souligne le rôle de la « jihadosphère », un « univers médiatique parallèle très codifié » - tout à la fois source d'information alternative et réseau social confiné - dans la radicalisation progressive des français jihadistes.



Si les causes de l'engagement sont multi-factorielles, plusieurs des Revenants sont passés par le salafisme quiétiste ou le mouvement tabligh, pourtant opposés à l'usage de la violence, avant d'embrasser le jihad armé. En outre, les passés délinquants sont d'autant plus représentés que l'engagement dans le jihad permet, selon Thomson, de mettre « en conformité islamique un mode de vie délictuel ou criminel du point de vue du droit républicain, devenu antinomique avec celui de Dieu, non pas en lui intimant le changement, mais, au contraire, en lui offrant une onction transcendantale », ce qui explique en partie le fort impact des discours jihadistes en prison.


Yassin, Bilel et les autres


Un baccalauréat scientifique mention bien, des parents médecins libéraux : Yassin est une exception de la sociologie jihadiste, habituée aux milieux sociaux les plus défavorisés. Après des études de médecine et de pharmacie avortées, il durcit une foi dilettante, sensibilisé par l'internet djihadiste. La suite est habituelle : aller simple pour la Turquie, depuis laquelle il rejoint le califat au prix de quelques billets glissés aux garde-frontières turcs. Il n'a pas vingt ans, et combat à Deir ez-Zor, « le Stalingrad de l’État Islamique » dixit Thomson, où les jihadistes essuient les tirs répétés des loyalistes de Bachar Al-Assad. Une balle dans le ventre, une partie des intestins arrachée, la hanche brisée : la lutte est de courte durée. Ses parents, morts d'inquiétude, décident alors d'émigrer en secret vers le califat afin de rapatrier leur fils. Accompagnés de leurs filles et engagés comme médecins de l'EI, ils négocient leur fuite en Turquie auprès d'un responsable du consulat de France à Istanbul. Si les autorités françaises accompagnent parfois les retours, elles restent sur le qui-vive. Quatre jours de garde à vue, un séjour en hôpital pénitentiaire puis un bracelet électronique jusqu'à son procès, ses papiers confisqués : Yassin risque dix années de prison.


Les autres portraits brossés par Thomson présentent de jeunes adultes désorientés : Bilel, 27 ans, bénéficiaire du RSA et abonné aux emplois précaires, a passé deux ans en Syrie avant de se décider à rentrer après les attentats du 13 novembre. Zoubeir, 20 ans, élève moyen et sans histoires, a trouvé dans le jihadisme un engagement radical, qu'il renie désormais et sur lequel il développe un discours plus que critique, avec le soutien des autorités. Safya et Lena sont elles aussi rentrées au pays : la première, enceinte, ne voulait pas accoucher en Syrie. La seconde, symbole de ce que Thomson considère comme un « biais sexiste » dans l'approche sécuritaire du jihadisme féminin en France, est aujourd'hui libre alors qu'elle continue d'assumer son assentiment au projet de l’État Islamique.


Radicalisation de l'islamisme ou islamisation de la radicalité : tandis que dans l'espace médiatique français s'opposent les approches de Gilles Kepel et Olivier Roy, David Thomson rappelle les déterminants sociaux de l'engagement jihadiste tout en insistant sur le caractère proprement religieux des logiques d'investissement individuelles. Il pointe en ce sens l'échec latent des politiques de déradicalisation qui peinent à prendre en compte la multiplicité des causes du départ en Syrie.



David Thomson, Les Revenants, Co-édtion Seuil et Les Jours, Paris, 304 pages. Décembre 2016.

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