De Casablanca au Delaware, comment McKinsey se joue du fisc au Maroc
Malgré près de 300 millions de dirhams de chiffre d’affaires engrangés en 2020, la filiale casablancaise du cabinet américain ne paie pas d’impôts sur le revenu pour cause de déficit chronique. A l’instar de ses pratiques décriées en France, où une enquête préliminaire pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale » a été ouverte par le parquet financier, c’est au nom de charges externes très conséquentes que cette « optimisation fiscale » est prétendument justifiée

Le parquet national financier français a annoncé ce mercredi l'ouverture d'une enquête préliminaire pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale » visant le cabinet McKinsey. La décision fait suite à l’enquête ouverte le 31 mars dernier, elle-même déclenchée par la publication d'un rapport sénatorial qui dénonce « un phénomène tentaculaire », au vu des prestations en nombre élevé et aux dépenses stratosphériques de la commande d’Etat.
La publication d'un article dans Le Canard enchaîné titré L'incroyable myopie du fisc français avait auparavant mis le feu aux poudres. L'hebdomadaire satirique y faisait état d'un versement de l'intégralité des bénéfices de McKinsey France (dont le chiffre d'affaires est de 300 millions d'euros) à sa maison-mère basée aux Etats-Unis. Si cela est légal, l'entreprise doit se justifier auprès du fisc français. Ce qui n'aurait pas été fait dans le cas de McKinsey, faisant ainsi peser des soupçons de fraude fiscale.
En résumé, le cabinet américain est soupçonné de ne pas avoir payé d'impôts en France pendant 10 ans, de 2011 à 2020, grâce à un système d'optimisation fiscale.
Au Maroc, c’est le même système qui a été mis en place par McKinsey & Co Morocco. Créée à Casablanca en 2004, cette antenne qui a obtenu l’avantageux statut CFC (Casablanca Finance City) et qui couvre en tant que hub régional l’Afrique subsaharienne francophone multiplie des contrats avec l’Etat. L’entité marocaine affiche un chiffre d’affaires généreux de près de 287 millions de dirhams (MDH) en 2020, mais dépense sans compter pour n’afficher qu’un résultat net négatif de près de 34 MDH. Résultat, elle ne paie pas non plus d’impôt sur les sociétés, si ce n’est la cotisation minimale de 0,5 % sur le chiffre d’affaires, produits d'exploitation et produits financiers, soit la modique somme d’environ 565 000 dirhams.
Le système d’optimisation fiscale qui lui permet d’échapper au fisc ne date pas d’hier, ni ne fait de McKinsey une exception en la matière, de nombreuses multinationales de services l’ont adopté depuis des années, un peu partout dans le monde. Le principe est assez simple : gonfler les charges au maximum, notamment externes comme le montrent les données tirées des états de synthèse de McKinsey & Co. Morocco : rémunération des consultants séniors étrangers dont les lourdes charges sont justifiées au nom de leurs expertises pointues soit 104 MDH en 2019 pour les contrats gagnés par la boutique marocaine (contre 118 MDH pour le personnel local), des frais de missions, de déplacements et autres pince-fesses pour 61 MDH, sans compter les études et prestations (76 MDH) et des achats de fournitures caracolant à près de 78 MDH.
Ainsi, à la rubrique des « autres charges externes », on retrouve le montant exorbitant total de 206 MDH qui sont ainsi assimilés aux fameux « prix de transfert », l’appellation courtoise pour indiquer ce qui se volatilise à l’étranger au nom de la facturation des services rendus par la maison-mère à sa filiale. De l’argent frais qui remonte ainsi avant la ponction d’impôt puisque déduit avant dividende.
A l’instar du cas français, McKinsey & Co Morocco (Casablanca) est détenue depuis les Etats-Unis. Une coquille-miroir, McKinsey & Co. Inc Morocco a été établie spécifiquement pour la contrôler à hauteur de plus de 99 % dans le paradis fiscal de l’Etat du Delaware en 2004 (175 $ au bilan fiscal annuel), la part résiduelle unique étant dévolue à la maison-mère de New York fondée en 1966. C’est cette mécanique implacable qui pompe ainsi tout ce qui est engrangé au Maroc et par extension en Afrique subsaharienne francophone, terrain de chasse de la firme casablancaise.
Comme en France, au Maroc, McKinsey répond par des cris d’orfraie, comme le cabinet l’a fait longuement à Medias24, expliquant, la main sur le cœur, que tout ce pactole qui transite Outre-Atlantique est justifié par des coûts d’expertise mirobolants, de la propriété intellectuelle dont la valorisation est discrétionnaire, voire même, le privilège pour un pays d’accueillir une filiale qui si elle ne s’acquitte que de la maigre cotisation minimale au titre de l’IS, paie d’autres impôts…
Mais tous les connaisseurs de la méthode de la siphonneuse affichent un sourire en coin à la lecture de cet argumentaire de prestidigitateur qui survend sa crédibilité et sa marque face à la concurrence locale et qui désigne du doigt les autres cabinets internationaux dont les cols blancs et les power points coûtent aussi chers, sinon plus.
« L'équation est simple, au démarrage de l’activité, pour les 2 ou 3 premières années, il est concevable d’être déficitaire, mais ensuite vous êtes censé être bénéficiaire, et si ce n’est pas le cas à cause des prix de transfert, cela veut tout simplement dire que c’est bien le bénéfice qui est transféré à l'étranger. Cela, s’appelle de l’évasion », tranche un consultant avisé. Pour lui, et pour d’autres, il n’existe pas une « pratique des prix de transfert » qui justifierait un déficit chronique rapporté à un capital maintenu à 45 MDH comme rapporté par le commissaire au compte Mazars de mai 2020, alors que le chiffre d’affaires est en expansion, que les ressources humaines sont renforcées (plus de 100 collaborateurs) : « Soit ils sont exagérés pour faire évader le bénéfice ailleurs, soit non, et de toute manière, il faut du contrôle drastique ». De la part du fisc et de l’Office des Changes…
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