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16.05.2024 à 21 H 44 • Mis à jour le 16.05.2024 à 21 H 44

Jeunes en situation de NEET : après le CESE, le HCP apporte un nouvel éclairage

Après les chiffres du CESE, sévèrement contestés par Aziz Akhannouch, le HCP vient rajouter ses propres données, mettant davantage en lumière l’ampleur du « NEETitude » au Maroc. Le fléau abordé cette fois-ci avec une approche genre, voici encore des chiffres qui soulignent les limites des politiques publiques en matière d'inclusion sociale des jeunes



1,5 million de jeunes marocains entre 15 et 24 ans sont en situation de NEET (ni à l’emploi, ni en éducation, ni en formation). Ce chiffre révélé la semaine dernière par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a de quoi inquiéter les pouvoirs publics, notamment sur fond d’effondrement de l’emploi. Le Conseil présidé par Ahmed Réda Chami mettait en lumière les trois ruptures auxquelles sont confrontés ces jeunes, à savoir le décrochage scolaire entre les niveaux du primaire et du secondaire collégial, puis lors du passage du système éducatif vers le marché du travail et enfin la transition d’un emploi à l’autre. Il appelait dans ce à doubler l’effort dans le cadre d’une approche globale pour accélérer l’insertion des NEETs marocains.


Ce 15 mai, le même chiffre a été repris par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) qui vient ajouter, dans son numéro 29 des Brefs du Plan, une nouvelle dimension à la problématique, en mettant l'accent notamment sur la corrélation entre le  chômage et la situation des NEET, tout en abordant le genre comme facteur de risque. Ce faisant, l’institution d’Ahmed Lahlimi dessine un portrait plus détaillé de ces jeunes en marge de l’éducation/formation et qui n’arrivent pas à accéder au marché du travail. Le HCP met également en avant les facteurs déterminants, ou facteurs de risque, pour les jeunes exposés aux trois ruptures mentionnées par le CESE.


Un potentiel « précieux » échappé

« Au Maroc, les jeunes âgés de 15 à 24 ans constituent un groupe important, représentant environ 39 % de la population âgée de moins de 25 ans. Ce potentiel démographique recèle un dynamisme et une créativité précieux pour le développement du pays »,  écrivent Khamissa El Kachach et Zineb El Ouazzani Touhami autrices de la dernière édition des Brefs du Plan. Cependant, ce potentiel échappe à la fois aux écoles et au marché de l’emploi, alors que plus du quart (25,2 %) de la jeunesse marocaine est confrontée aux défis de l’accès à l’emploi et de l’inclusion sociale.


Plus de la moitié (51,4 %) de ces jeunes vivent en milieu urbain, 85 % d’entre eux vivent dans des ménages dirigés par un homme et 87 % des chefs de ménage ne possèdent aucun diplôme, voici donc quelques chiffres qu’apporte le HCP pour dessiner le portrait des NEETs marocains.  Un autre chiffre primordial est fourni : 72,4 % de ceux-ci sont inactifs ne manifestant pas d'intérêt actif pour l'insertion professionnelle, tandis que 27,6 % sont au chômage.  Ainsi, alors que l’échec scolaire, la pauvreté et l’exclusion sociale figurent parmi les facteurs qui contribuent à la situation, « une analyse plus approfondie des données révèle une distinction notable entre les jeunes NEET au chômage et ceux inactifs (qui, ndlr) soulève des interrogations sur les politiques de promotion de l'emploi et de l'activité économique, ainsi que sur les dispositifs d'accompagnement des jeunes vers l'emploi et la formation  », souligne le HCP.


L’institution qui accorde depuis quelque temps une attention plus particulière à la question de l’emploi, surtout avec les récents pics du chômage, expose également un autre facteur important :  le contexte et le modèle familiaux. En effet, l’analyse du HCP permet d’identifier des facteurs de risque qui font que certains jeunes sont plus susceptibles à se retrouver dans une situation de NEET que d’autres, et à leur tête arrive la situation du chef du ménage. En gros, les jeunes vivant dans des ménages dont le chef n’a aucun diplôme ont deux fois plus de risques d'être NEET que ceux vivant avec un chef de ménage titulaire d'un diplôme supérieur, alors que ce risque est de 17,7 % plus élevé quand le chef de ménage est inactif. Cela met en évidence « l'importance du contexte familial et socio-économique dans les trajectoires des jeunes », note le document.   Un autre facteur déterminant  reste le niveau d’éducation du jeune : le risque est 15 fois plus élevé pour ceux dont le niveau d'éducation n'excède pas le primaire par rapport à ceux ayant un niveau d'études supérieur. Ce risque est aussi considérablement réduit pour les jeunes ayant atteint le niveau secondaire collégial ou qualifiant.


Le genre comme facteur de risque

Les jeunes femmes sont de facto plus à risque de se retrouver dans une situation de NEET. C’est ce que révèlent les données du HCP, qui montrent que la prévalence du fléau qui touche 13,5 % d’hommes atteint 37,3 % parmi les jeunes de sexe féminin. Cette réalité d’exclusion socio-économique, particulièrement accentuée en milieu rural (51,5 % contre 28,2 % en zone urbaine), varie selon la situation matrimoniale et familiale des femmes âgées de 15 à 24 ans, s’accentuant de plus en plus avec la multiplication de leurs responsabilités familiales. Le poids de celles-ci constitue le facteur déterminant pour la situation de cette population, selon l’analyse du HCP qui souligne que « la majorité des femmes NEET sont inactives, principalement en raison de leurs responsabilités familiales ».


En chiffres, ce sont 94,5 % des jeunes femmes NEET qui sont des femmes au foyer, avec une majorité considérable de celles inactives qui déclare ne pas être disponible pour travailler. Les raisons principales invoquées par celles-ci incluent l'implication dans l'éducation des enfants et es tâches ménagères (74,8 %), ainsi que l'opposition manifestée par le conjoint, le père ou d'autres membres de la famille (8,0 %). Le désintérêt pour l'emploi est ainsi évoqué comme un facteur, « mettant en évidence l'impact des normes socioculturelles sur les aspirations professionnelles des femmes, soulignant ainsi la nécessité d'une approche holistique pour promouvoir leur inclusion socio-économique », indique la même source.


Alors que les jeunes filles avancent dans leurs vies, l’addition de nouvelles responsabilités familiales accentue le risque de « NEETitude ». Le mariage s’avère ainsi un facteur déterminant du statut NEET, alors que les femmes mariées encourent environ 8 fois plus de risques d'être NEET que leurs homologues non mariées.  En plus, l'analyse révèle que la présence d'au moins un enfant de moins de 3 ans dans le ménage est associée à une augmentation d'environ 15,8 % des probabilités d'être NEET, indépendamment des autres variables.  En revanche,  l'éducation se manifeste comme vecteur d'émancipation. Selon le HCP, 85 % des femmes dépourvues de diplôme sont touchées par le « NEETitude », tandis que seulement 17,3 % de celles disposant d'un diplôme supérieur sont NEET. En outre, les chances d'être NEET sont approximativement 24 fois plus élevées pour les jeunes femmes dépourvues de tout diplôme par rapport à leurs homologues diplômées de l'enseignement supérieur. « L'accès à l'éducation formelle apparaît donc comme un levier essentiel pour atténuer la « NEETitude » et offrir des opportunités d'emploi et de formation », note-t-on.


Des chiffres qui font mal …

Le CESE l’avait évoqué explicitement en notant dans son avis que la problématique de l'insertion sociale et économique des jeunes figure comme étant « un objectif transversal dans les mesures annoncées dans le programme gouvernemental (2021-2026) », tout en rappelant qu’elle a été mise en avant à maintes reprises dans les discours royaux, en plus de figurer parmi les orientations stratégiques du nouveau modèle de développement (NMD).


Le message contenu dans le rapport publié le 8 mai n’a pas laissé indifférent le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch.  Le lendemain à la chambre des conseillers, lors de la séance consacrée à la discussion du bilan du mi-mandat de l’Exécutif, ce dernier s’est ouvertement attaqué au conseil de Ahmed Reda Chami, notant que « par coïncidence le rapport du CESE sur les NEET a été publié hier. J’espère que ce timing un hasard et qu’il n’est pas lié à la présentation du bilan de mi-mandat. Sinon, une problématique se poserait au sein des institutions constitutionnelles », a déclaré Akhannouch, notant qu’il préfère leur « accorder le bénéfice du doute ».


Alors que l’accès à l’emploi figure aussi bien parmi les causes que parmi les facteurs de risque, le HCP, qui a déjà eu sa part d’embrouilles avec Akhannouch et son équipe à la suite de la publication des chiffres sur l’emploi en février dernier, se limite dans son Bref dédié aux NEETs à formuler des recommandations et orientations pour les politiques publiques en matière d’insertion socio-économique des jeunes. « Cette étude vise à enrichir les analyses déjà menées par le HCP sur cette catégorie tout en espérant éclairer davantage les décideurs politiques et sociaux concernés par les défis rencontrés par les jeunes dans notre société, et en particulier les jeunes NEET  », peut-on lire sur le document.


Cependant, les données relatives à ce fléau, comme ce fut le cas pour celles évoquant le pic de 13 % du chômage et la destruction de près de 300 000 emplois en 2023,  ne peuvent que remettre en cause la pertinence des mesures aujourd’hui en vigueur, tout en interpellant l’Exécutif sur cette réalité. Les analystes du HCP ne se sont pas d’ailleurs empêchées de le souligner, en distinguant entre les profiles des NEET : « Cette distinction soulève des interrogations sur les politiques de promotion de l'emploi et de l'activité économique, ainsi que sur les dispositifs d'accompagnement des jeunes vers l'emploi et la formation  ».


La question demeure alors si le HCP, en jouant son rôle institutionnel d’éclairer à son tour les décideurs sur les NEET,  aura droit à un deuxième round dans cette bataille contre la data que mène Akhannouch, et si ces chiffres seront à leur tour décrédibilisés et récusés. Quoi qu’il en soit et quelle que soit la réaction du Chef de l’Exécutif et de son équipe, une chose est évidente :  il s’agit de chiffres qui mettent à nu la réalité de jeunes en dehors des bancs des écoles et établissements de formation sans avoir un accès à l’emploi. Les facteurs de risque dévoilés par le HCP sont d’autant plus inquiétants au vu qu’ils démontrent la corrélation entre le chômage, aussi bien du jeune lui-même ou du chef du ménage,  et la « NEETitude ».

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