Media Fail
Des éléments des Forces armées royales lors d’un exercice inter-armées sur le littoral marocain. FAR
La dangereuse « fake news » de la caserne militaire attaquée à Larache
Une « information » particulièrement anxiogène lancée par le quotidien « Assabah » et relayée par « LeSiteInfo », relatant l’attaque inédite d’une caserne des Forces armées royales à Larache, a été massivement diffusée sur les réseaux sociaux, par certains médias étrangers et par des officines spécialisées dans le monitoring des risques terroristes . « Le Desk » a remonté les fils de cette manipulation médiatique...
À l'origine
Dans son édition datée 2 mai, le quotidien arabophone Assabah du groupe Eco-medias (L’Economiste, Atlantic Radio) a rapporté qu’un groupe de cinquante individus avaient attaqué, la semaine précédent la publication de l’article, « une caserne » des Forces armées royales à Larache dans le but de dérober des armes de guerre. (L’article a été mis en ligne le lendemain 3 mai sur son site internet)
L’allégation a été immédiatement reprise et sans la moindre vérification d’usage par LeSiteInfo, média francophone qui s’est spécialisé dans le buzz et l'info-trottoir. Celui-ci ajoute deux mentions de son propre cru, prétendant d’abord que « pour des raisons de sécurité, l’information n’a été divulguée que cette fin de semaine », et enfin que « ces individus projetaient de subtiliser des armes pour des objectifs non avoués ».
Des rajouts qui insinuent donc que cette attaque, inédite au Maroc pour autant qu'elle soit véridique, aurait pu être motivée pour des raisons à caractère terroriste.
Les détails
L’allégation a été immédiatement reprise et sans la moindre vérification d’usage par LeSiteInfo, média francophone qui s’est spécialisé dans le buzz et l'info-trottoir. Celui-ci ajoute deux mentions de son propre cru, prétendant d’abord que « pour des raisons de sécurité, l’information n’a été divulguée que cette fin de semaine », et enfin que « ces individus projetaient de subtiliser des armes pour des objectifs non avoués ».
Des rajouts qui insinuent donc que cette attaque, inédite au Maroc pour autant qu'elle soit véridique, aurait pu être motivée pour des raisons à caractère terroriste.
Le récit incohérent et alarmiste d’Assabah soulève pourtant de nombreuses questions et aurait donc du être accueilli avec une extrême vigilance. Il y est dit que les supposés assaillants, venus en nombre, ont décidé aux aurores (5 heures du matin) de prendre d’assaut, non pas une caserne militaire comme indiqué dans le titre de l’article, mais « un poste de garde relevant du 49 ème régiment des Forces armées royales à Larache », chargé de la surveillance du littoral marin.
Voici la traduction littérale du passage de l’article d’Assabah relatant les faits selon des données citées de l’enquête ouverte par la police judiciaire sous l’autorité du procureur de Tanger et du tribunal militaire permanent de Rabat, selon le journal :
« Les personnes impliquées dans l’attaque ont pris la mer depuis la côte de Larache, et de peur d’être interceptés par les autorités de la région, ceux-ci se sont alors repliés vers une zone près d’Asilah. Alors qu’ils étaient sur le point d’être appréhendés, les meneurs ont ordonnés aux autres candidats d’attaquer le poste de veille frontalier dans le but de s’emparer des armes et de mettre hors d’état de nuire les militaires avant de reprendre le large vers l’Espagne ».
Assabah ajoute que « des éléments de la garde ont été attaqués par surprise » et après sommation (décrite dans l'article dans un charabia d'un soit disant mot de passe dont les militaires ont fait usage pour vérifier l'identité des assaillants) , ces derniers « ont tenté d’investir le poste de garde et de se saisir des armes par la force (…). Les militaires ont alors répliqué les faisant fuir ». Le journal rapporte que les tirs au fusil-mitrailleur des militaires ont blessé six personnes qui ont été par la suite évacuées vers des hôpitaux de Larache et de Rabat.
Ce récit indique donc que l’attaque n’était pas préméditée, qu’elle ne visait pas une quelconque caserne et qu’il s’agirait plutôt d’une expédition de migrants clandestins vers l’Espagne qui a mal tourné. Le texte est d’ailleurs tronqué lorsqu’il relate des « candidats », s’agissant manifestement de simples harragas encadrés par la mafia locale de l’immigration illégale.
Les détails des faits racontés dans le méli-mélo d'Assabah n’ont pas été rapportés par LeSiteInfo qui s’est basé uniquement sur le titre trompeur du journal, faisant lui état d'une tentative avortée « de prise d’assaut sur une caserne de l’armée ». De plus, l’article du SiteInfo est très maladroitement illustré par la photographie d’une caserne française de la légion étrangère, ajoutant ainsi à la confusion.
Les faits réels
Voici la traduction littérale du passage de l’article d’Assabah relatant les faits selon des données citées de l’enquête ouverte par la police judiciaire sous l’autorité du procureur de Tanger et du tribunal militaire permanent de Rabat, selon le journal :
« Les personnes impliquées dans l’attaque ont pris la mer depuis la côte de Larache, et de peur d’être interceptés par les autorités de la région, ceux-ci se sont alors repliés vers une zone près d’Asilah. Alors qu’ils étaient sur le point d’être appréhendés, les meneurs ont ordonnés aux autres candidats d’attaquer le poste de veille frontalier dans le but de s’emparer des armes et de mettre hors d’état de nuire les militaires avant de reprendre le large vers l’Espagne ».
Assabah ajoute que « des éléments de la garde ont été attaqués par surprise » et après sommation (décrite dans l'article dans un charabia d'un soit disant mot de passe dont les militaires ont fait usage pour vérifier l'identité des assaillants) , ces derniers « ont tenté d’investir le poste de garde et de se saisir des armes par la force (…). Les militaires ont alors répliqué les faisant fuir ». Le journal rapporte que les tirs au fusil-mitrailleur des militaires ont blessé six personnes qui ont été par la suite évacuées vers des hôpitaux de Larache et de Rabat.
Ce récit indique donc que l’attaque n’était pas préméditée, qu’elle ne visait pas une quelconque caserne et qu’il s’agirait plutôt d’une expédition de migrants clandestins vers l’Espagne qui a mal tourné. Le texte est d’ailleurs tronqué lorsqu’il relate des « candidats », s’agissant manifestement de simples harragas encadrés par la mafia locale de l’immigration illégale.
Les détails des faits racontés dans le méli-mélo d'Assabah n’ont pas été rapportés par LeSiteInfo qui s’est basé uniquement sur le titre trompeur du journal, faisant lui état d'une tentative avortée « de prise d’assaut sur une caserne de l’armée ». De plus, l’article du SiteInfo est très maladroitement illustré par la photographie d’une caserne française de la légion étrangère, ajoutant ainsi à la confusion.
Toute cette affaire, truquée à la base et relatée de manière anxiogène, trouve en réalité son origine dans un article de la presse locale daté du 29 avril. Le site Larache24 rapportait l’arrestation, le 25 avril, du chef de gang des passeurs de Ras R’mel - une plage de la péninsule du Loukkos près de Larache - qui tentait de monter une traversée de migrants illégaux à bord d’un canot pneumatique.
Les passeurs et les candidats à l’immigration clandestine ont été repérés par les garde-côtes de l’armée relevant du 49 ème régiment des Forces armées royales de Tanger dont certains sont postés au niveau de plusieurs fortins de surveillance le long du littoral qui s’étend de Larache à la pointe nord du Maroc.
La mission de ce dispositif est justement d’empêcher les tentatives régulières menées par les Zodiacs transportant des migrants ou du cannabis de rallier l’Espagne depuis cette zone, la côte méditerranéenne étant davantage couverte par les radars.
Le site Larache24 rapportait dans son article initial que le chef de gang, ses complices et d’autres embarqués, avaient résisté lors de leur interpellation. Selon des sources judiciaires consultées par Le Desk, les fuyards avaient menacé leurs poursuivants avec des armes blanches (sabres, machettes et couteaux), obligeant les militaires à répliquer par légitime défense. Résultat de la vive altercation, le meneur du gang a été blessé par balles au genou, tandis que deux autres ont été visés et touchés au niveau des jambes, comme l'indique le rapport d'enquête dont Le Desk a pu avoir accès.
Enfumé à son tour, le média local avait lui aussi repris l’article d’Assabah à sa parution. Il s’est par la suite ravisé après avoir croisé les faits avec des sources judiciaires locales qui lui ont permis de faire le lien avec l’affaire qu’il avait lui-même rapportée à la source.
Le verdict
Les passeurs et les candidats à l’immigration clandestine ont été repérés par les garde-côtes de l’armée relevant du 49 ème régiment des Forces armées royales de Tanger dont certains sont postés au niveau de plusieurs fortins de surveillance le long du littoral qui s’étend de Larache à la pointe nord du Maroc.
La mission de ce dispositif est justement d’empêcher les tentatives régulières menées par les Zodiacs transportant des migrants ou du cannabis de rallier l’Espagne depuis cette zone, la côte méditerranéenne étant davantage couverte par les radars.
Le site Larache24 rapportait dans son article initial que le chef de gang, ses complices et d’autres embarqués, avaient résisté lors de leur interpellation. Selon des sources judiciaires consultées par Le Desk, les fuyards avaient menacé leurs poursuivants avec des armes blanches (sabres, machettes et couteaux), obligeant les militaires à répliquer par légitime défense. Résultat de la vive altercation, le meneur du gang a été blessé par balles au genou, tandis que deux autres ont été visés et touchés au niveau des jambes, comme l'indique le rapport d'enquête dont Le Desk a pu avoir accès.
Enfumé à son tour, le média local avait lui aussi repris l’article d’Assabah à sa parution. Il s’est par la suite ravisé après avoir croisé les faits avec des sources judiciaires locales qui lui ont permis de faire le lien avec l’affaire qu’il avait lui-même rapportée à la source.
Les conséquences de la mauvaise interprétation de cette affaire ont été particulièrement nocives, l’info-poubelle reprise en français par LeSiteInfo ayant été massivement relayée sur Internet par des dizaines de médias dont PerspectivesMed au Maroc qui s’inquiète de la menace terroriste qu'elle constitue : « l’affaire est là, bien grave, dans ses motivations comme dans ses implications. Gageons que l’état d’alerte aura été relevé de plusieurs crans au niveau des diverses places d’armes », écrit, désemparé, le journal. A l’international, la presse algérienne note « le silence de la presse marocaine ». « Les autres médias du royaume se montrent particulièrement discrets sur cette affaire », commente TSA qui reprend l’allusion au terrorisme distillée par LeSiteInfo.
Des journalistes étrangers ont retweeté la fausse info, cette fois sans mentionner précisément la source, lui offrant ainsi une nouvelle crédibilité.
Idem pour cette "experte" espagnole en contre-terrorisme jihadiste qui a relayé l'article de TSA :
La trainée de hoax a été tellement virale jusqu’à figurer sur des comptes spécialisés dans le monitoring des risques terroristes dans le monde sans qu’aucun ne se soit posé la question de savoir si Larache abritait toujours une caserne de l’armée ou pas. Il y en a bien une, celle du 48 MM des Forces auxiliaires, mais pas du 49ème régiment des FAR dont la base arrière est la place d'armes de Tanger.
Parmi ces centres spécialisés dans "la veille terroriste", l'European Strategic Intelligence and Security Center (ESISC), l'officine belge de l'inénarrable Claude Moniquet, consultant en terrorisme des chaînes d'info en continu françaises, réputé au Maroc pour avoir intenté un procès mémorable au Journal Hebdo autour d'un de ses rapports jugé tendancieux sur le Polisario qui a valu au titre-phare de la presse indépendante de l'époque une condamnation à payer 3 millions de dirhams de dommages et intérêts. Son tweet a notamment été relayé par un professeur de géopolitique de l'Université de Malaga et par un autre "expert" espagnol en jihadologie...
Mais l'ESISC, n'est pas le seul a avoir participé à amplifier la fausse nouvelle. Le compte Twitter du consultant britannique de sécurité et de renseignement privé The Inkerman Group l'a fait aussi au moment où la "fake news" a basculé en anglais.
Tout comme l'Italien Phoenix Security Group, qui souligné le rajout imaginaire du SiteInfo sur la supposée volonté des autorités marocaines à étouffer l'affaire pour des raisons sécuritaires...
...ou encore l'espagnol Cras Vigilans Group (Cv2 Group) spécialisé dans la fourniture de solutions de cybersécurité et de renseignement aux besoins des gouvernements et des multinationales, notamment dans la région sahélo-saharienne.
Un compte canadien spécialisé dans l'actualité militaire a lui aussi été intoxiqué.
Bref, la liste est encore très longue, au-delà des réseaux sociaux. Cet exemple qui ruine à petits feux la réputation du Maroc en matière de stabilité, n'est pas une nouveauté. Assabah est réputé pour diffuser des informations tendancieuses à caractère sécuritaire, souvent dans le but d'agiter l'épouvantail d'une menace islamiste imminente qui viserait le pays. En février dernier Le Desk montrait comment ce journal avait semé la confusion sur une menace de Daech contre la marine royale en Méditerranée. Un an plus tôt, il consacrait sa Une à la présence supposée d’armes nucléaires dans le royaume. « Des missiles nucléaires au Maroc ? La Russie dévoile des informations sur un stock d’armes nucléaires transportées par un avion américain à la base de Benguerir », titrait le quotidien.
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Des journalistes étrangers ont retweeté la fausse info, cette fois sans mentionner précisément la source, lui offrant ainsi une nouvelle crédibilité.
Idem pour cette "experte" espagnole en contre-terrorisme jihadiste qui a relayé l'article de TSA :
La trainée de hoax a été tellement virale jusqu’à figurer sur des comptes spécialisés dans le monitoring des risques terroristes dans le monde sans qu’aucun ne se soit posé la question de savoir si Larache abritait toujours une caserne de l’armée ou pas. Il y en a bien une, celle du 48 MM des Forces auxiliaires, mais pas du 49ème régiment des FAR dont la base arrière est la place d'armes de Tanger.
Parmi ces centres spécialisés dans "la veille terroriste", l'European Strategic Intelligence and Security Center (ESISC), l'officine belge de l'inénarrable Claude Moniquet, consultant en terrorisme des chaînes d'info en continu françaises, réputé au Maroc pour avoir intenté un procès mémorable au Journal Hebdo autour d'un de ses rapports jugé tendancieux sur le Polisario qui a valu au titre-phare de la presse indépendante de l'époque une condamnation à payer 3 millions de dirhams de dommages et intérêts. Son tweet a notamment été relayé par un professeur de géopolitique de l'Université de Malaga et par un autre "expert" espagnol en jihadologie...
Mais l'ESISC, n'est pas le seul a avoir participé à amplifier la fausse nouvelle. Le compte Twitter du consultant britannique de sécurité et de renseignement privé The Inkerman Group l'a fait aussi au moment où la "fake news" a basculé en anglais.
Tout comme l'Italien Phoenix Security Group, qui souligné le rajout imaginaire du SiteInfo sur la supposée volonté des autorités marocaines à étouffer l'affaire pour des raisons sécuritaires...
...ou encore l'espagnol Cras Vigilans Group (Cv2 Group) spécialisé dans la fourniture de solutions de cybersécurité et de renseignement aux besoins des gouvernements et des multinationales, notamment dans la région sahélo-saharienne.
Un compte canadien spécialisé dans l'actualité militaire a lui aussi été intoxiqué.
Bref, la liste est encore très longue, au-delà des réseaux sociaux. Cet exemple qui ruine à petits feux la réputation du Maroc en matière de stabilité, n'est pas une nouveauté. Assabah est réputé pour diffuser des informations tendancieuses à caractère sécuritaire, souvent dans le but d'agiter l'épouvantail d'une menace islamiste imminente qui viserait le pays. En février dernier Le Desk montrait comment ce journal avait semé la confusion sur une menace de Daech contre la marine royale en Méditerranée. Un an plus tôt, il consacrait sa Une à la présence supposée d’armes nucléaires dans le royaume. « Des missiles nucléaires au Maroc ? La Russie dévoile des informations sur un stock d’armes nucléaires transportées par un avion américain à la base de Benguerir », titrait le quotidien.
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