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Rumeurs, hoax et assertions médiatiques passés au crible

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Media Fail
24.12.2016 à 12 H 16 • Mis à jour le 24.12.2016 à 23 H 36 • Temps de lecture : 1 minutes
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Que vaut le « prix Mandela » décerné à Mohammed VI ?

« L’Institut Mandela » a décerné « le prix Mandela de la paix » au roi suscitant l'extase de certains médias. Pourtant le « think tank » bordelais qui enchaine les « conférences internationales » n’a pas de notoriété sinon celle d’avoir pour président d’honneur un ancien funambule de la politique française au parcours sulfureux et deux profs marocains spécialistes de l’agitprop dans son board
À l'origine
« C'est une belle consécration pour le roi Mohammed VI », écrit le HuffPost Maroc. « Mohammed VI lauréat d’un prestigieux prix en France », renchérit H24. D’autres aussi en ont parlé en des termes laudateurs, parmi eux : Medias24 , Maroc Hebdo, LeSiteInfo, AlYaoum24, Hespress, ChoufTV etc, y compris le site officiel du PJD, sans compter la ribambelle de médias électroniques africains, dont le Tunisien Kapitalis. Tous ont rapporté en choeur que le roi Mohammed VI a été fait lauréat « pour (...) ses actions très louables en faveur (...) de l’Afrique » du « prix Mandela de la paix 2016 » par « l’Institut Mandela »

Ce dernier se présente sur sa vitrine internet comme « un think tank (…) de promotion d’égalité des chances, favorable à l’économie de marché, à la solidarité internationale et à l’unité africaine ». Il affirme se donner pour mission « de garder vivant l’esprit et l’inspiration du President Mandela et de promouvoir ses valeurs de société ouverte et de paix partout sur le continent par une diplomatie intellectuelle ». A côté de Mohammed VI, d’autres chefs d’Etat africains ont été primés : Ibrahim Boubacar Keita du Mali (prix de la démocratie), Isoufou Mahamadou, du Niger (prix de la sécurité), Macky Sall du Sénégal (prix de l’émergence), Patrick Talon du Bénin (prix de la gouvernance) et autant de diplomates, d’artistes, d’entrepreneurs pour les catégories « courage », « science », « audace » etc… La liste est longue.
Les détails
La presse qui a rapporté l’information a repris sans trop s’interroger les éléments de langage pompeux du communiqué diffusé par cet institut « installé à l’Université de Bordeaux depuis 2014 » qui avance que « le comité du prix Mandela a reçu pour l’édition 2016, 3 623 candidatures dont 3 191 candidatures populaires, 25 candidatures individuelles, 388 candidatures diplomatiques et 19 candidatures officielles ». Nulle trace cependant des éditions précédentes...

Etonnant aussi qu’un institut qui décerne des prix à des personnalités politiques mondiales mette en avant dans son communiqué un compte Facebook désactivé, une simple adresse gmail et un numéro de téléphone mobile pour tout points de contact. Autre anomalie pour un organisme étranger : le nom du roi est suivi de la formule très officielle « que Dieu le garde » que seuls les médias d’Etat marocains et la MAP s'échinent à utiliser. D’ailleurs, l’agence de presse officielle n’a pas fait état de ce prix. Un signe pour le moins alarmant s'agissant d'une distinction dite de prestige.

Image de synthèse du Prix Mandela 2016 pour la paix décerné à Mohammed VI. La distinction n'avait pas d'existence avant cette remise de prix tout aussi virtuelle.


« L’institut est composé de généraux, de diplomates, de politiques, de journalistes, d’acteurs économiques, d’experts, de chercheurs et d’intellectuels de la diversité mondiale », relate LeSiteInfo sur la base des informations disponibles sur le site internet de l’organisation. Contacté par Medias24, le président de l’institut Paul Kananura a déclaré que le jury était composé de cinq personnalités « un ancien ambassadeur, un ancien ministre, un général à la retraite, un secrétaire et un membre de la société civile ».
Les faits réels
« L’institut Mandela », présidé par Paul Kananura qui se présente comme, « expert en géopolitique et politiques publiques, exerçant des fonctions de conseil stratégique auprès des gouvernements et des grandes entreprises », n’a en réalité aucun lien avec la grande figure politique sud-africaine dont il utilise le nom et quelques photographies sur son site, si ce n’est que son président d’honneur, Olivier Stirn est qualifié « d’ami de Mandela ».

Stirn, ancien ministre de Pompidou, de Giscard et de Mitterrand est davantage connu du grand public pour avoir été contraint de démissionner en 1990 à la suite d’un scandale dont la presse française avait fait ses choux gras à l’époque. On s’était aperçu qu’il avait recruté contre paiement l’essentiel du public d’un colloque sur l’avenir de la gauche durant lequel des chômeurs et des intermittents du spectacle avaient été embauchés pour remplir la salle qu’ils ont désertée alors que les orateurs du PS se succédaient encore au micro… « Girouette politique », selon Le Canard Enchainé, Olivier Stirn est passé par toutes les écuries partisanes : UDR, UDF, PS, MDR, UMP… C’est encore lui qui, en mars 2011, avait annoncé la création de « l’Union des Français Musulmans » dans le giron de l’UMP. Ce qui ne l’empêche pas d’être par ailleurs membre du comité France-Israël. Stirn avait aussi été cité par les médias dans une sombre affaire d’héritage qui l’a opposé en 2001 à une jeune marocaine, mariée à son père octogénaire…

Quant à Paul Kananura, l’artisan rwandais du projet « Institut Mandela » arrivé en France en 1997, celui-ci préside l’Association des stagiaires et étudiants en France (ASEAF) dont les activités se confondent avec celles de l’institut. Il enchaine des « conférences internationales » auxquelles assistent assidument quelques universitaires marocains qui gravitent autour de l'Institut royal des études stratégiques (IRES).

Paul Kananura préside l’Association des stagiaires et étudiants en France (ASEAF) dont les activités se confondent avec celles de l’institut. FACEBOOK


Alors que la première édition des « Journées économiques et consulaires africaines », événement-phare de « l’Institut Mandela », avaient été organisées assez modestement en juillet 2015 face à un public clairsemé dans l’enceinte de l’Université de Bordeaux, celle de 2016 tenue en juin 2016 à la Villa Méditerranée de Marseille a pris soudainement de l’ampleur recevant le soutien entre autres de la région PACA et du…Département d’Etat américain, dit sa brochure.

Entretemps, en mars 2016, Kananura signait avec Mohamed Harakat, professeur de finances publiques, président du « Global Governance Center » et responsable du Master « Stratégie et gouvernance en Afrique » à l’Université Mohammed V de Rabat « un protocole de partenariat et de coopération ». L’événement avait été relayé par Le360.



Tour de passe-passe entre les deux hommes en réalité: Harakat siège parmi les administrateurs du comité exécutif de « l’Institut Mandela » comme d’ailleurs Abderrahmane Mekkaoui, professeur universitaire qui doit sa notoriété internationale pour avoir été à l’origine du monumental hoax sur la disparition en Libye de 11 avions de ligne en 2014 repris en boucle par des sites complotistes et pour la plainte qu’il avait déposée contre un pilote d’Air France pour une blague désobligeante à l’égard de Mohammed VI. Un barouf qui avait même embarrassé le Palais à la veille d'une visite royale à Paris.

Mekkaoui qui se présente comme « expert militaire » est souvent invité à s’exprimer sur des questions de géopolitique internationale par la presse, toujours pour relayer des thèses sécuritaires alarmistes ou propagandistes. Son nom a émergé dans les documents fuités du compte « Chris Coleman » où l’on apprenait qu’il était « responsable des affaires politiques et porte parole du journal » Algeria Times, un média électronique contrôlé par la DGED aujourd’hui disparu, et dans lequel il exerçait sous le pseudonyme « Ben Younes Tlemçani ».

Les deux universitaires Marocains siègent au conseil exécutif de l'Institut Mandela en tant qu'administrateurs. CAPTURE ECRAN SITE INSTITUT MANDELA


Le général à la retraite faisant partie du jury, cité par Medias24, n’est autre que Jean-Philippe Ganascia. Le haut gradé a été Commandant de la Force de l’Union Européenne (Eufor) au Tchad et en Centrafrique de 2007 à 2009. Il a quitté le service actif en septembre 2009 et depuis s’est converti dans la communication et le lobbying pour des organismes de sécurité et certaines personnalités africaines. Il a géré l’image et les relations presse de Romain Bedel Soussa, candidat malheureux à la présidentielle de mars 2016 au Congo-Brazzaville avait rapporté La Lettre du Continent.

C'est donc ce petit comité hétéroclite qui a veillé à la distribution des prix... Sur un post d'un compte Facebook de l'institut (actif celui-là), annonçant la remise des « prix Mandela 2016 », Paul Kananura s’affiche d'ailleurs bien seul sur 7 photos faisant la pose et parlant au micro dans un local tapissé d’affiches du… Club Suisse de la presse désespérément vide. Quel est le lien entre ce club genevois et le prix africain décerné par l'officine bordelaise ? Aucun: les photos ont été prises le 16 décembre alors de Kananura intervenait à un pseudo-colloque réclamant la libération d'Hannibal Kadhafi organisé par Marcel Ceccaldi, l'avocat du fils du dictateur libyen déchu...

Le verdict
Pour faire simple, « le prix Mandela » est bidon. Il est l’œuvre d’un représentant remuant d’une association estudiantine africaine en France qui a trouvé tout son intérêt à ce que son « institut » soit noyauté par des universitaires marocains réputés pour faire de l’agitprop. Les médias qui ont relayé la nouvelle, certains impressionnés par le nom de Mandela - pouvant prêter à confusion avec MINDS ou le prix onusien éponyme entre autres -, n’y ont vu que du feu, d’autres servant la soupe ou tout simplement paresseux, sont tombés dans le panneau de cette énième opération de pieds nickelés censée servir le roi et son image, et qui finalement ne fait que le desservir encore une fois.

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