Il est nécessaire de tirer les fils des événements qui ont conduit le Maroc à participer à la coalition internationale anti-Daech pour mesurer la fébrilité du royaume face à un risque de représailles terroristes sur son sol. Contraint par des jeux d’alliances stratégiques avec les Etats-Unis et les pays du Golfe, Rabat s’est mécaniquement exposé au fil de son implication sur ce théâtre de guerre.
Fin aout 2014, le congressman de Floride, Alan Grayson, membre démocrate de la commission des Affaires étrangères, envoie une lettre aux ambassadeurs d’une dizaine de pays arabes à Washington, dont le Maroc et l’Algérie. Il demandait à ces pays s’ils sont prêts à accepter l’envoi de 5000 hommes pour participer à une coalition internationale contre Daech en Irak. A l’époque, Washington avait déjà commencé ses frappes aériennes en Irak et cherchait le soutien des pays arabes. Alan Grayson exigeait une réponse « par oui ou par non » dans les dix jours et annonçait que la décision du Maroc, quelle qu’elle soit, sera rendue publique, selon un câble diplomatique marocain révélé par le mystérieux corbeau Chris Coleman. Le document envoyé à Rabat est annoté à la main pour Salaheddine Mezouar : « M. le ministre, le ton directif de Alan Grayson est inadmissible ».
Une participation dissimulée au public
Lorsque le Département d’Etat rend public la liste des participants à la coalition contre Daech, le 19 septembre 2014, le Maroc est le seul pays du Maghreb à être mentionné. A Rabat les autorités font profil bas. Il faudra attendre le 1er octobre pour que Mezouar fasse une sortie sur la chaîne panarabe Al Arabiya pour déclarer que « La participation du Maroc dans cette lutte se limitera au volet des renseignements ».
Que du renseignement ? Le 28 octobre, le ministère des Affaires étrangères annonçait dans un communiqué que Rabat allait apporter un « soutien actif aux Emirats Arabes Unis dans leur lutte contre le terrorisme et pour la préservation de la paix et de la stabilité régionale et internationale ». Cette décision a été prise « conformément aux instructions du roi Mohammed VI et vise à renforcer une coopération militaire et sécuritaire multiforme et de longue date avec les Etats du Golfe ».
« Elle accompagne et vient compléter les autres mesures menées sur le territoire marocain pour la préservation de la sécurité et de la quiétude des citoyens marocains face à la menace du terrorisme international », ajoute la même source. Le lendemain, Mezouar, Hassad et Mustapha Khalfi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, affirmaient de concert en conférence de presse que ce soutien militaire se fera sous supervision émiratie et non de la coalition internationale.
Le plan Hadar, un dispositif annonciateur ?
Au même moment, l’Intérieur annonçait le lancement du plan Hadar pour renforcer la sécurité du royaume et couvrir les différents sites sensibles sur le plan national. Le gouverneur chargé des affaires générales à la wilaya de Casablanca, Najib Gourani, expliquait alors à la presse que ce dispositif sécuritaire intervenait suite à « des informations précises selon lesquelles le Maroc est devenu une cible de menaces terroristes », a rapporté Le Matin. Des rampes de missiles anti-aériens avaient été déployés sur la corniche de Casablanca et aux abords de certains aéroports stratégiques comme celui de Marrakech Menara.
Aucun détail supplémentaire sur la participation militaire marocaine ne sera donné jusqu’au 2 décembre 2014. Mohammed VI, qui avait annulé une semaine plus tôt sa visite en Chine pour cause officielle de « syndrome grippal aigu », apparaissait ce jour-là à la télévision émiratie, assistant au défilé militaire à l’occasion de la fête nationale des Emirats. Sa visite à Abou Dhabi n’a été annoncée au Maroc par la MAP qu’après la diffusion sur internet des images de la présence royale, qualifiée de « visite privée ».
Quelques jours plus tard, l’Etat confirmait ce que certains journaux américains, dont le New York Times, avaient déjà annoncé : le Maroc participait en toute discrétion aux frappes contre Daech en Irak avec une escadrille de six chasseurs F-16 flambant neufs.
Les premières frappes marocaines ont lieu en décembre 2014. En février 2015, un pilote jordanien est capturé par Daech et brûlé vif dans une cage. Les Emirats suspendent alors leur participation. Le Maroc, qui est sous commandement émirati, aurait fait de même. Aucune confirmation ne sera donnée par Rabat mais en mars 2015, une coalition menée par l’Arabie saoudite débutait des frappes aériennes au Yémen contre les rebelles houtis. Le Maroc sera de la partie et perdra un avion de chasse et son pilote deux mois plus tard.
Une « dé-radicalisation intérieure » indispensable
Faut-il croire qu’à l’instar de la France engagée au Mali et surtout en Syrie, le Maroc pourrait devenir ainsi une cible privilégiée pour l’organisation de l’Etat islamique ? Rien n’est moins sûr. Le nerf de la guerre pour Daech demeure en grande partie sa capacité à enrôler des foreign fighters. Assécher les foyers de recrutement marocains par des actions d’envergure au cœur du royaume serait donc, a priori, contre-productif pour l’Etat-major d’Al Baghdadi. Certes, le danger de voir des intérêts occidentaux visés est réel, mais le parallèle avec la Tunisie par exemple est jusqu’ici moins évident. La démocratie naissante en Tunisie est intimement perçue comme une greffe d’un modèle de société occidentale en terre d’Islam, ce qui n’est pas le cas vis-à-vis du Maroc. De plus, sa situation géographique excentrée des zones grises nées du chaos des Printemps arabes le préserve encore. Un équilibre fragile que seule une stratégie de « dé-radicalisation intérieure », pour reprendre l’expression de Mohammed Masbah, peut soutenir durablement.