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#Eglise
14.07.2016 à 12 H 47 • Mis à jour le 14.07.2016 à 15 H 46 • Temps de lecture : 12 minutes
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Le coming out des Marocains protestants

Religion. Ils sont chrétiens et se disent Marocains avant tout. Ils revendiquent haut et fort leur foi sur la toile. Une sortie de la clandestinité dans une société tiraillée entre permissivité et interdit.

Musique orientale, plusieurs plans sur des épices, des villes impériales et des kasbahs. Il ne s’agit pas du film institutionnel vantant la destination Maroc mais d’une vidéo dans laquelle une dénommée Imane annonce qu’elle est chrétienne. Clap, plan fixe et drapeau du royaume incrusté sur l’écran. « Je suis Imane, Marocaine et chrétienne, pas nasraniya (chrétienne ndlr)…je suis née et j’ai grandi au Maroc tout comme le Maroc a grandi en moi… ».



Le Christ m’a appris à aimer le roi

En darija, Imane reprend les fondamentaux : richesse culturelle du pays, hospitalité et culture marocaine, mais revendique son droit à la différence. « Le Christ m’a appris à aimer ma patrie, à aimer le roi de mon pays. Il m’a appris à prier pour lui, le soutenir même en cas de désaccord avec lui. » Comme elle, Atiqa, Youssef, Zoubir, Zineb, ont choisi aussi de faire leur sortie à visage découvert pour révéler leur chrétienté. Un tournant qui révèle une rupture dans la communication des Chrétiens du Maroc dont le nombre est estimé à quelques milliers. Zouhair, 40 ans, qui a souhaité garder l’anonymat, est né chrétien, nous décrypte cette vidéo. « Le cas d’Imane et les autres frères et sœurs montre que les porteurs du discours évangélique n’est plus l’étranger mais provient bel et bien de gens qui ont un enracinement local. C’est plus fort. Ce sont des chrétiens de quatrième génération qui ont choisi de le déclarer ouvertement. » Paradoxalement, les commentaires sur Youtube sont partagés entre stupéfaction et curiosité mais n’occultent pas le côté belliciste de certaines personnes qui veulent en découdre avec « ces Marocains surgis de nulle part ». Selon Zouhair, ils seraient des dizaines de milliers à s’être convertis depuis les années 60, spécialement dans les classes aisées.


Une dizaine d’évangélistes activistes dans l’orphelinat Village de l’espérance (Village of Hope), situé à Aïn Leuh à proximité d’Ifrane avaient été expulsés du Maroc en 2010, accusés de prosélytisme auprès des enfants et des populations alentours. VOH .


Après les attentats du 16 mai, Ahmed Taoufiq, ministre des affaires islamiques, estimait que la présence des Chrétiens est comme une offensive contre la sécurité spirituelle des Marocains. AIC PRESS
Les chaînes de télévision sunnites financées par l’Arabie saoudite n'hésitent pas à donner la parole à des prédicateurs d'un islam belliciste et prosélyte. CAPTURE YOUTUBE
Brother Rachid, né au Maroc en 1971, ce fils d’imam, est l'un des animateurs star de la chaîne évangéliste Al Hayat TV, basée à Chypre. CAPTURE YOUTUBE

Chrétiens et Mgharba tal mout

Dans son bureau à Casablanca, Zouhair est plongé dans une lecture des coupures de presse. Un article en particulier attire son attention. Il s’agit du récit de l’expulsion de plusieurs chrétiens du Maroc en 2010. « C’est une date fondatrice de ce qui se passe actuellement. L’Etat sous prétexte de prosélytisme avait lancé un vaste coup de filet et expulsé 157 évangélistes. Moins d’une dizaine d'entre eux étaient des activistes dans l’orphelinat Village de l’espérance (Village of Hope), situé à Aïn Leuh à proximité d’Ifrane. Mais l’occasion était trop belle pour nettoyer le royaume de toute présence des évangélistes » se souvient Zouhair, qui accuse au passage les médias d’accointance avec l’Etat. « Jusqu’en 2010, la majorité de la presse dépeignait la présence des Chrétiens comme une offensive contre la ‘sécurité spirituelle’ des Marocains, une doctrine développée par le ministre des affaires islamiques, Ahmed Taoufiq, après les attentats du 16 mai. Or, la spiritualité n’est pas palpable, comment peut-on prétendre à en faire un sanctuaire sécuritaire ? », s'emporte Zouhair. La nouvelle Constitution de 2011 a été l’occasion de grands débats sur la place des libertés individuelles dans la société marocaine. Si la petite histoire retient que l’Etat a failli lâcher du lest en accordant une large définition à ces libertés, il a finalement fait marche arrière sous la pression de la classe politique, islamistes du PJD en tête, suivis de l’aile conservatrice de l’Etat lui-même. Depuis, l’Etat gère au cas par cas les revendications des chiites, des LGBT, des non- jeûneurs ... qui cherchent une existence légale dans la société ou une abrogation des dispositions incriminant leur activité. Un signe de mutation amorcée de la société marocaine ?

Crise des valeurs

Pour Zouhair, le monde arabo-musulman a plongé dans une crise des valeurs à partir du début les années 90. L’effondrement du mur de Berlin avait déjà sonné la faillite des régimes arabes qui maintenaient l’illusion de modèles politiques proches des peuples. La mondialisation galopante, accompagnée d'une ouverture des médias, puis l’arrivée d’internet ne font qu'accentuer les effets de cette crise. « Cette perte de repères pousse les gens à redéfinir leur rapport à la religion. Au Maroc, la salafisation de la société sur le modèle du Moyen-Orient est un signe indicateur que l’islam populaire marocain n’était plus à même d’apporter les réponses suffisantes. D’autres commencent à se diriger vers le chiisme ou la non religiosité. Le christianisme n’est qu’une issue dictée par cette quête de sens », décrypte Zouhair.


Dans cette course pour récupérer les « égarés », les chaines satellitaires jouent un rôle-clé. L’offensive menée par les chaînes sunnites financées par l’Arabie saoudite sera déterminante pour diffuser un islam belliciste et prosélyte à souhait. Or, elles sont concurrencées par l’apparition des chaines évangéliques qui pénètrent progressivement les foyers. Si l’islam cathodique, fort de près de 220 chaînes, influe sur la pratique de la religion dans le monde arabe, les évangélistes lui livrent un combat sans merci. C’est le cas de la chaîne Al Hayat TV qui diffuse à partir de Chypre. Parmi ses animateurs stars : Brother Rachid. Né au Maroc en 1971, ce fils d’imam a fait de la nouvelle exégèse des textes coraniques en darija et de l’histoire de l’islam, la force de frappe de la chaîne pour prêcher.


Tanger, au coeur de la vieille ville, se dressent deux minarets et deux clochers. D&M


Au Maroc, les conversions au christianisme crispent les islamistes Un curé donne un sermon dans une église à Rabat 12 novembre 2006. ABDELHAK SENNA / AFP

A la conquête des musulmans

Pourtant, les premières traces d'évangélisation dans le royaume remontent à 1859, date de la signature d’un accord de commerce avec la Grande-Bretagne. A côté des activités commerciales, plusieurs évangélistes débarquent au Maroc, à Essaouira en particulier, pour convertir les juifs marocains. Contrairement à une idée reçue, le protectorat français, soucieux de ne pas bouleverser les structures culturelles du pays, n’a jamais encouragé le prosélytisme chrétien. Toutefois, plusieurs missionnaires ont élu domicile au Maroc et réussi à convertir nombre d’habitants des régions du Moyen-Atlas. A partir des années 60, plusieurs familles aisées et instruites se convertissent au christianisme. Puis au milieu des années 70, plusieurs jeunes militants influencés par les idéologies de l’époque deviennent non croyants, ou se convertissent. Ils subissent une répression féroce de la part de l’Etat, qui joue la carte des islamistes dans les foyers universitaires pour contrebalancer leur influence. « Depuis, d’autres couches sociales les rejoignent. Mais leur activisme est soit personnel, soit inféodé à des groupes étrangers. Aujourd’hui, les chrétiens bien que de plus en plus nombreux, ne se connaissent pas nécessairement  », explique Zouhair. En clair, il n’existe pas de noyau de chrétiens qui se revendique en tant que tel et qui cherche à être le porte-drapeau de la marche vers une éventuelle reconnaissance en tant que groupe social. « Seuls les services de l’Etat connaissent exactement le nombre de chrétiens au Maroc. Ils demandent à ce qu’ils ne soient pas visibles, pour éviter une crispation de la vox populi. Autrement l’Etat n’a pas peur des chrétiens parce qu’il n’y voit aucun danger politique, contrairement à la mouvance chiite », poursuit notre source.


Jamaâ Ait Bakrim, considéré par l'Etat comme apostat, a été condamné en 2005 à quinze ans de prison ferme pour s'être converti au christianisme sous couvert d'actes de vandalisme.

Guerre souterraine

Pourtant, l’Etat n’y va pas de main morte pour punir ceux qu’il considère comme apostats. C’est le cas, en 2005, de Jamaâ Ait Bakrim, condamné en 2005 à quinze ans de prison ferme pour « vandalisme (…) destruction de biens d’autrui  » et un vague chef d’accusation d’« apostasie ». « Les PV de la police ne contiennent généralement pas une référence à une conversion au christianisme. Ils ne veulent pas en faire des héros pour éviter toute pression internationale », explique notre source. Pourtant, en 2009, 17 personnes dont une douzaine de Marocains avaient été interpellées près d’Oujda, pour avoir participé à une « réunion publique non déclarée, qui s’inscrit dans le cadre d’une action visant à propager le crédo évangéliste et à recruter des adeptes au sein des nationaux », précisait le communiqué du ministère de l’Intérieur, les accusant ouvertement de « porter atteinte aux valeurs religieuses du royaume  ».


Cependant, l’activisme d’évangéliques, pour certains affiliés à la droite américaine du courant born again, ne fait guère de doute. Selon plusieurs sources, le Maroc compterait quelques centaines de missionnaires. Leur terrain d’influence se situe dans les régions enclavées, mais aussi dans les grandes villes à la faveur d’un mode de vie de plus en plus anonymisé. C’est le cas de l’organisation Arab World Ministries, une multinationale de l’évangélisme. Elle a pour objectif officiel, « l'annonce de la Bonne Nouvelle d'un Sauveur aux musulmans du monde arabe ». Pour Zouhair, qui dit n'être affilié « à aucun groupe », le protestant se doit d’être activiste. « Je ne cherche pas à convaincre les gens, mais si on me pose des questions, j'explique pourquoi Jésus est l’unique sauveur.  »


Le pape Jean-Paul II est accueilli par le roi Hassan II à son arrivée à Casablanca lors de sa visite historique au Maroc, le 19 août 1985. L'Eglise catholique officielle a droit de cité au Maroc et compte de nombreux lieux de culte. Elle demeure cependant très discrète et se défend de tout prosélytisme, selon un accord tacite entre le Vatican et le royaume. JEAN-CLAUDE DELMAS / STF


Secret Churchs

Casablanca, le 19 août 1985. Le pape Jean-Paul II revient d’un long périple en Afrique. Il fait une escale de quelques heures pour célébrer une messe à l’école Charles de Foucauld et prononcer un discours devant 100 000 jeunes réunis à l’occasion des jeux panarabes. Une première dans un pays musulman. Hassan II en fait un outil diplomatique pour renvoyer une belle image du Maroc, patrie de la tolérance et du dialogue des religions. Mais en coulisses un pacte avec le Vatican a été négocié, interdisant le prosélytisme catholique dans le pays. « Depuis, les églises font profil bas et se trouvent surveillées surtout pendant les fêtes, par des policiers en civil qui gardent un œil discret sur la fréquentation de ces lieux de culte par des Marocains  », rappelle Zouhair, qui prie chaque dimanche dans une église protestante. Quant à son choix pour le protestantisme, il le justifie par «  le caractère souple et ouvert de cette obédience qui n’impose rien et qui permet d’accomplir ses prières à n’importe quel moment. » A l’occasion des fêtes religieuses, il nous assure communier avec certains coreligionnaires dans les « secrets churchs » : des autels pour prier, installés dans des appartements et des villas connus uniquement de quelques adeptes.


Un Temple protestant de la paroisse de Casablanca de l'Eglise evangelique du Maroc. DAVID RODRIGUES / LE DESK

Sortir de la clandestinité

En plus de la répression directe en cas de surexposition médiatique, l’Etat peut compter sur l’aile conservatrice de l’islam marocain. Parmi les plus redoutés selon des protestants marocains, le mouvement d’Unicité et de la réforme (MUR), l’aile religieuse du parti islamiste PJD qui conduit la coalition gouvernementale. Certaines de ses figures de proue, comme Al Moqri Abouzaid, n’hésitent pas à parler « d’entrisme de la société marocaine pour faire le lit du sectarisme religieux », à l’image de pays comme le Liban. En clair, l’objectif serait de créer une minorité religieuse qui aura un poids politique dans l’avenir. Faux, rétorque notre source. « L’Etat marocain n’a pas le courage et ne prend pas d’initiative pour faire une place à la liberté de conscience par pur pragmatisme politique. Quand il ne persécute pas les chrétiens, il sous-traite le travail à la société et aux hommes de religion qui utilisent le logiciel de la conspiration pour étouffer les chrétiens », commente Zouhair, qui accuse certains chrétiens « de causer des dégâts à la religion de Jésus ». « Certaines personnes, après leur conversion vraie ou supposée au christianisme, ne trouvent pas ce qu’elles cherchent et l’abandonnent pour devenir athées. Je préfèrerais qu’ils restent musulmans plutôt de perdre toute religion.  »



Dans une société déboussolée et un marché mondialisé de la religion, les conversions et la transhumance religieuses sont facilitées par la puissance d’Internet qui permet de voir si les dieux sont plus cléments ailleurs.

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