Ministre de l'agriculture depuis 2007, Aziz Akhannouch a été reconduit en 2011 pour mener à terme le Plan Maroc Vert. Ici, reçu avec le Chef du gouvernement au palais royal, le 28 janvier dernier, pour le lancement du plan anti-sécheresse. MAP





DAVID RODRIGUES / LE DESK
Point par point, à l’appui des chiffres livrés par l’Office des changes, le HCP et le ministère, Le Desk a pu démontrer que le Plan Maroc Vert échoue jusqu’à présent sur tous les plans ou presque, aussi bien sur son pilier 1 dédié à l’agriculture dite moderne que sur le second pilier ciblant l’agriculture solidaire.
ECHEC I
Aucun impact « considérable »
sur la croissance

Dans ses objectifs, le PMV table pour 2020 sur « une amélioration notoire » du PIB agricole, pour « un impact considérable sur la croissance ». En chiffres, il prévoit le renforcement de la part de l'agriculture dans le PIB de 70 à 100 milliards de dirhams. Cet objectif est en fait atteint dès 2010, deux ans après le lancement du Plan. En 2015, le PIB agricole atteint 118 milliards de dirhams. Ce renforcement au lancement de la stratégie est permis par les investissements déjà engagés dans l’agriculture moderne orientée vers l’export, qui n’a pas besoin de main d’oeuvres. Dès 2009, la pluviométrie est de nouveau favorable au remplissage des barrages, qui alimentent ce secteur, après une terrible année 2008 de sécheresse.


Toutefois, l’amélioration de la valeur ajoutée ne provoque pas l’impact « considérable » attendu sur la croissance. Entre 2007 et 2014, l’agriculture ne contribue qu’à hauteur de 1,76 % à la croissance du PIB, loin derrière les services et l’industrie. Il y a certes une amélioration par rapport à la période 1999-2014 où l’impact été limité à 0,11 %, mais on est loin des objectifs initiaux.

Pourquoi donc l’agriculture peine à délivrer un impact considérable sur la croissance ? Parce que la création de richesse agricole est encore trop aléatoire. Chaque mauvaise année pluviométrique est synonyme de destruction de richesse dans le secteur. Pour 2016 encore, les prévisions de la Banque centrale établissent une contraction de la valeur ajoutée agricole de 4,3 %. Ces destructions cycliques se matérialisent par une insécurité des revenus, un faible dynamisme des investissements et des destructions d’emplois.
ECHEC II
Au lieu de créer des emplois,
le PMV les détruit

C’est l’échec le plus notoire du PMV. L’objectif de porter l’emploi de 4,2 millions de postes en 2007 à 5,7 millions en 2020 est actuellement irréalisable. Depuis 1999, le secteur agricole n’a cessé de perdre des emplois, au rythme de 13 600 destructions en moyenne annuelle jusqu’en 2007. A partir de 2008, la contraction s’aggrave encore plus, et on passe entre 2008 et 2014 à un rythme de destruction de 23 700 emplois en moyenne par an.


Le HCP dans sa très récente analyse sur les rendements du capital physique, met en exergue la relation entre perte d’emplois et hausse de la productivité dans l’agriculture, démystifiant ainsi les chiffres du ministère de Aziz Akhannouch. Sa conclusion est simple : l’amélioration des rendements de la production agricole s’est faite au détriment de l’investissement et de l’emploi.

ECHEC III
Les chiffres trompeurs
de l’investissement

Pour parvenir à ses objectifs, le Plan Maroc Vert mise beaucoup sur l’accélération des investissements sur le pilier 1 - « l’agriculture moderne » - et le pilier 2 - « l’agriculture solidaire ». La feuille de route du PMV indique qu’à terme, 900 projets du pilier 1 devront générer 150 milliards de dirhams d’investissement pour bénéficier à 400 000 exploitants. Pour le pilier 2, les investissements prévus sont estimés à 15 milliards de dirhams, devant bénéficier à 600 000 ou 800 000 exploitants.

Cet objectif de 165 milliards d'investissements additionnels sur 10 à 15 ans prévu dans le PMV signifie que l'investissement total enregistrerait une croissance annuelle moyenne de près de 7 % sur la période 2008-2015. Le résultat est une croissance inférieure de 3 points aux alentours de 4 %. De même, alors que l'investissement agricole devait améliorer sa part dans l'investissement total, sa contribution décline de 2,5 % en 2008-2009, à 1,6 % en 2014.
Lors des dernières assises de l’agriculture de Meknès, le ministre avait toutefois porté à son bilan l’accélération des investissements depuis le lancement de la stratégie, lesquels ont « augmenté de 170 % depuis 2008 ». Or, les chiffres du HCP dévoilent une vérité tout autre. Certes les investissements ont augmenté en volume par rapport à 2008. Mais ce bilan cache la faiblesse de l’investissement par rapport à la contribution de l’agriculture à la croissance économique. Le taux d’investissement - soit la part de l’investissement par rapport à la valeur ajoutée du secteur n’a cessé de décroître depuis le lancement du PMV. La part des valeurs ajoutées allouées à l’investissement dans le secteur agricole a ainsi baissé de 13 % durant la période 1998-2007 à 7,3 % à partir de 2008.
Autre chiffre parlant : avant le plan Maroc Vert, l’agriculture contribuait à hauteur de 6 % à la formation brute de capital physique du pays. Depuis son lancement, ce taux est tombé subitement à 2,9 %. Ces chiffres révèlent le détournement de la valeur ajoutée agricole au profit des secteurs du service, puis de l’industrie. Le HCP qui livre ces chiffres, appelle d’ailleurs à « recapitaliser » le monde agricole, qui présente encore des opportunités de croissance inexploités.


Paradoxalement, l’agriculture dite solidaire, qui emploie l’essentiel de la population agricole, ne bénéficie pas du renvoi d’ascenseur attendu. L’agriculture irriguée, qui représente 1,5 million d’hectares sur les 8,7 millions de la surface agricole utile et contribue à 45 % de la valeur ajoutée agricole en moyenne, a été la cible prioritaire des investissements.
L’hypertrophie des investissements dans l’agriculture dite moderne a laissé donc à nu l’agriculture bour. Celle-ci continue de pâtir de l’aléa climatique et du stress hydrique, variable structurelle du Maroc. Sa contribution à la valeur ajoutée reste pourtant forte, atteignant jusqu’à 55 %. Le problème réside dans sa volatilité. En année de sécheresse, elle peut tomber à 30 %. Mais au lieu de limiter ces fluctuations, la stratégie du ministère a contribué au contraire à exposer ce secteur à tous les risques, en l’absence de solutions d’irrigation pérenne pour ce secteur.
ECHEC IV
Le Maroc ne cartonne pas
à l’export


Les plus cyniques diront toujours que les sacrifices de l’agriculture traditionnelle permettent au Maroc d’avoir un secteur exportateur dynamique. Les exportations décollent certes, mais l’envolée n’est pas mirobolante. Elle reste surtout loin des objectifs de la stratégie Akhannouch. Celle-ci prévoyait l’accroissement de la valeur des exportations de 8 à 44 milliards de dirhams pour les filières où le Maroc est compétitif, comme les agrumes, les olives, les fruits et légumes. Or, en 2015, les exportations agricoles totales n’ont atteint que 13,7 milliards de dirhams. L’écart semble difficilement rattrapable en quatre ans, délai avant l’échéance du PMV.

On notera quand même la petite progression entre 2008 et 2014, une croissance de 50 %, due essentiellement aux légumes frais qui tiennent le haut du pavé des expéditions agricoles (pour une valeur à l’exportation de 7,7 MMDH). Quant aux célèbres agrumes, ils ne s’exportent pas plus en 2014 qu’en 2008 (3,1 MMDH en 2014 contre 3,2 MMDH en 2008). Le raisin marocain s’exporte aussi de moins en moins, perdant 33 % de son chiffre d’affaires entre 2008 et 2014 (95 MDH en 2014). Même l’huile d’olive n’arrive pas à cartonner comme le prévoyait le ministère : En 2020, le Maroc doit exporter selon le PMV 120 000 tonnes (le niveaux actuel de la Tunisie). Un objectif difficile d’atteinte quand on sait que les volumes exportés en 2015 ne dépassent pas les 24 000 tonnes. L’agriculture dite moderne, qui représente 75 % des exportations agricoles du pays, peine ainsi à réaliser les objectifs d'Aziz Akhannouch.
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