Alliances : l’actionnaire des Iles Vierges à l’origine d’un scandale boursier
Dans son édition du 16 mars dernier, L’Economiste assurait, sans citer ses sources, que la société SMCD Limited, basée aux Iles Vierges Britanniques, ne fait plus partie des actionnaires d’Alliances depuis 2011 et qu’elle a été liquidée en 2013. Le Desk affirmait au contraire que la société était toujours dans le tour de table du promoteur immobilier, en se basant sur les dernières notes d’informations d’Alliances visées par le CDVM et sur la fiche de la société cotée consultable sur le site de la Bourse de Casablanca. Deux sources officielles que les investisseurs, médias, analystes et chercheurs considèrent comme la bible du marché. Une bible qui s’est révélée après investigations tout sauf fiable.
SMCD Limited radiée depuis 2013 pour défaut de paiement de frais
Le Desk a enquêté auprès de la Commission des services financiers des Iles Vierges Britanniques, autorité locale qui tient le registre des sociétés inscrites dans ce paradis fiscal, pour connaître le statut juridique actuel de SMCD Limited.
Le rapport obtenu par Le Desk indique que celle-ci a été enregistrée aux Iles Vierges Britanniques le 13 mai 2005 via son agent local, la firme Mossack Fonseca & Co Ltd. Ce même rapport précise que SMCD Limited a été radiée pour « défaut de paiement de frais ».
Lorsqu’une société ne s’acquitte pas de ces frais annuels nécessaires à son maintien sur le registre des sociétés inscrites aux Iles Vierges Britanniques, ou des amendes dues à un retard de paiement, la Commission des services financiers lui notifie sa radiation.
Selon le document obtenu par Le Desk, le tableau récapitulatif des frais annuels requis à la SMCD, montre que ceux-ci ont été payés, de 2005 à 2013, selon un calendrier irrégulier. Au titre de l’année 2013, dernier exercice d’activité de la société, les frais ont été soumis le 9 juillet, alors que la date butoir en était fixée au 1er mai. La SMCD Limited a de ce fait été radiée par décision administrative par la Commission des services financiers des Iles Vierges Britanniques.
Le 17 juillet 2013, un liquidateur de la société a été désigné. En date du 21 août 2013, la liquidation de la SMCD Limited a été formellement entérinée.
Une chaîne de marché défaillante de bout en bout
Une chose est donc sûre : SMCD Limited n’a plus aucune existence juridique depuis cette date. Pourquoi continue-t-elle alors d’apparaître dans le tableau de l’actionnariat d’Alliances ? D’août 2013 à aujourd’hui, le groupe immobilier appartenant à Mohamed Alami Nafakh Lazraq, a réalisé trois opérations de haut de bilan : une augmentation de capital de 207 millions de dirhams réservée à la SFI, filiale de la Banque Mondiale, un emprunt obligataire d’un milliard de dirhams, suivi d’un autre emprunt obligataire remboursable en action du même montant.
Des opérations où le promoteur immobilier était conseillé tour à tour par BMCE Capital Conseil et Attijariwafa Bank Corporate Finance. Deux banques d’affaires de référence qui ont produit pour les besoins de ces levées de fonds des notes d’informations, lesquelles ont été dûment visées par l’autorité de marché, avec en prime la signature de deux commissaires aux comptes de haut vol : le cabinet A. Saidi et Associés et Deloitte Audit.
Dans ces notes d’informations, censées donner au marché une information complète et fiable sur Alliances, le nom de SMCD Limited apparaît dans la liste des actionnaires de la firme, sans aucune référence à la liquidation de l’entreprise ou à sa radiation des Iles Vierges. Dans les marchés financiers, où l’information est le nerf de la guerre, cela s’apparente tout simplement à un scandale. Un scandale qui remet en cause toute la crédibilité de la place et de ses institutions, à commencer par l’émetteur lui même, ses banques conseils et ses commissaires aux comptes, et pire encore, de l’autorité de marché dont la raison d’être est de protéger l’épargne publique.
Dans cette affaire Alliances- SMCD Limited, c’est toute la chaîne de marché qui prend l’eau. Quelle crédibilité peut-on désormais donner à une note d’information d’un émetteur marocain visée par le gendarme de la place ou à une fiche d’entreprise sur le site de la Bourse de Casablanca ? Aucune ou presque.
Alami Lazraq porte le chapeau
Contactés par Le Desk, ni le groupe Alliances, ni sa banque conseil, et encore moins ses commissaires aux comptes, n’ont voulu commenter le sujet. Quant aux services du CDVM, rebaptisé depuis quelques semaines AMMC, ils se contentent de nous renvoyer vers l’avertissement que comporte toutes les notes d’information qu’ils visent, comme pour se dédouaner de cette grosse bourde. « Le visa du CDVM n’implique ni approbation de l’opportunité de l’opération ni authentification des informations présentées. Il a été attribué après examen de la pertinence et de la cohérence de l’information donnée dans la perspective de l’opération proposée aux investisseurs », avertit en effet le gendarme du marché dans les toutes premières pages des notes d’informations d’Alliances. Soit.
Mais qui est alors responsable de cette erreur capitale pouvant induire investisseurs, analystes et médias en erreur ? Selon un banquier d’affaires casablancais, un habitué des opérations d’appel public à l’épargne, c’est le management de la société émettrice qui est le premier responsable de la qualité des informations communiquées. « Les banques d’affaires exigent que le management de l’entreprise émettrice s’engagent par écrit sur la véracité des informations contenues dans les notes. C’est une règle que toutes les banques conseil de la place appliquent », précise-t-il.
Pour le cas d’Alliances, c’est Mohamed Alami Nafakh Lazarq qui atteste de cela en des termes qui ne souffrent d’aucune ambiguïté : « le Président du Conseil d’Administration atteste que, à sa connaissance, les données de la présente note d’information dont il assume la responsabilité, sont conformes à la réalité. Elles comprennent toutes les informations nécessaires aux investisseurs potentiels pour fonder leur jugement sur le patrimoine, l’activité, la situation financière, les résultats et les perspectives d’Alliances Développement Immobilier ainsi que sur les droits rattachés aux titres proposés. Elles ne comportent pas d’omissions de nature à en altérer la portée », atteste le PDG du promoteur immobilier. Une décharge claire et nette mais qui n’exclut pas, selon notre banquier d’affaires, la responsabilité dans un deuxième degré de l’autorité de marché, des banques conseil, des commissaires aux comptes, et même de la Bourse de Casablanca, qui reprend dans son site des informations essentielles sur les firmes cotées sans la moindre vérification.
Celle ci vient à ce juste titre de réagir suite à une tribune d'un des administrateurs du forum Bourse-Maroc.org publiée sur sa page Facebook et reprise par Medias24. Au moment où ces lignes étaient écrites, un communiqué de la Bourse de Casablanca est tombé. Un communiqué où l’institution dit vouloir « apporter quelques précisions à propos des informations sur les émetteurs diffusées via son site internet », sans citer le cas spécifique de la valeur immobilière Alliances.
« Hormis les données sur le marché, la Bourse de Casablanca ne met en ligne que les informations publiées par les émetteurs ou obtenues par elle auprès de ces derniers », indique d’emblée l’institution dirigée par Karim Hajji, rejetant la patate chaude au management d’Alliances. « Chaque année, un courrier est ainsi transmis aux sociétés cotées, leur demandant de communiquer à la Bourse l’état de leur actionnariat. Cette demande est faite conformément à l'article 1.1.32 du Règlement Général de la Bourse, qui précise qu’il revient à l'émetteur dont les titres sont inscrits à la cote de faire parvenir à la société gestionnaire la liste à jour des actionnaires détenant 5 %, et plus, du capital de la société », précise le communiqué de la Bourse.
Nommée début février directrice générale d’une nouvelle autorité de marché, dotée de pouvoirs élargis, Nezha Hayat va-t-elle oser ouvrir cette boite de Pandore ? Rien n’est moins sûr. Ce sera en tout cas son premier test grandeur nature sur sa capacité à jouer son rôle de gendarme de la place.
Quant à SMCD Limited, entrée dans le capital d’Alliances en février 2008 - à l'occasion d'un placement privé à un prix de 535 dirhams l’action, cinq mois avant son introduction en bourse -, celle-ci s’est faite une confortable plus value dans ce deal, échappant ainsi à la déconfiture d’Alliances, cotée actuellement à moins de 60 dirhams l’action. En 2011, année de sa sortie du tour de table selon L’Economiste, le cours d’Alliances a en effet fluctué entre un niveau plancher de 615 DH et un pic de 760 DH. Le gain pour SMCD Limited va de 14 millions de dirhams au bas mot à quelque 40 millions de dirhams, si les traders de la société dirigée, selon Le360, par le secrétaire particulier du roi, Mohamed Mounir Majidi, ont bien fait leur travail.
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