Rabat compte « aller jusqu’au bout » dans son bras de fer avec Washington

Le bras de fer entre le Maroc et les Etats-Unis connaît des prolongations. Hier, le département de Mohamed Hassad se fendait d’un communiqué extrêmement critique à l’endroit du Département d’Etat américain, accusé d’avoir rédigé son dernier rapport sur la situation des Droits de l’Homme au Maroc sur des bases « fallacieuses ».
En réponse, et par la voix de son porte-parole, John Kirby, le Département d'Etat enfonçait le clou le 17 mai au soir en affirmant « maintenir le contenu du rapport ». (version intégrale en anglais). L’ambassade des Etats-Unis à Rabat rendait public aujourd’hui un communiqué laconique où elle se bornait à se féliciter du partenariat existant avec le Maroc sur ces questions. Réaction jugée insatisfaisante par Rabat : l’ambassadeur américain Dwight L. Bush a été alors immédiatement convoqué par le ministre délégué aux Affaires Etrangères, Nasser Bourita, en présence de Mohamed Yassine Mansouri, directeur de la DGED, le service de renseignement extérieur.

Lors de cet entretien, il a été exposé à l’ambassadeur américain trois cas sur « la manipulation avérée et les erreurs factuelles flagrantes qui entachent le rapport du Département d’Etat », indique une dépêche de l’agence MAP citant une déclaration d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération.
Les cas de Charaf, Housn et Mahdaoui sur la table
Le premier cas concerne Ouafae Charaf, militante associative se réclamant du 20-Février, condamnée à deux ans de prison par un tribunal de Tanger en octobre 2014 pour « fausses allégations de torture » et « signalé des crimes dont elle connaissait l’inexistence ». Une peine alourdie en appel, celle-ci ayant écopé d’un an en première instance, de 50 000 dirhams de dommages et intérêts, ainsi que d’une amende de 1 000 dirhams.
Charaf avait porté plainte en affirmant avoir été enlevée en avril de la même année à bord d'une « voiture banalisée » après avoir pris part à une manifestation à Tanger, où elle réside. Elle avait affirmé avoir été torturée, puis abandonnée au bord d'une route en périphérie de la ville. Boubker Khamlichi, un autre militant accusé de « complicité » dans la même affaire, a été condamné à un an de prison avec sursis après avoir été innocenté en première instance. Durant le premier procès, le parquet de Tanger avait fait référence à l'existence d'enregistrements téléphoniques et de témoins contredisant les allégations de la jeune femme. Sa défense avait évoqué dans la presse et auprès d’ONG internationales « un verdict politique injuste ». La ligue internationale des droits de l'homme (LIDH) avait dénoncé pour sa part son procès le qualifiant de « politique ».

« L’enquête judiciaire diligentée et les écoutes légales conduites par le parquet dans ce cadre, ont permis de confirmer, de manière catégorique, que l’intéressée a sciemment inventé le scénario de son présumé enlèvement, et incité les membres de sa propre famille à faire des déclarations mensongères pour corroborer sa thèse » précise aujourd’hui le ministère des Affaires étrangères, expliquant que « c’est le motif pour lequel elle a été condamnée, pour dénonciation calomnieuse, présentation de fausses preuves concernant un crime imaginaire (…) »
Le deuxième cas est celui de Oussama Housn, lui aussi se réclamant militant du 20-Février est membre du parti d’extrême gauche PADS et affilié à l’AMDH. Le rapport du Département d’Etat indique que Housn a été condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement en juillet 2014 par le tribunal de première instance de Aïn Sebaâ pour avoir fait de « fausses allégations de torture » et « signalé des crimes dont il connaissait l’inexistence ». Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux en mai de la même année, le jeune homme avait prétendu avoir été « kidnappé par des hommes proches du Makhzen », alors qu’il revenait d’un sit-in syndical devant le pénitencier de Casablanca. Une allégation démentie par l’accusation qui avait produit des enregistrements d’une caméra de vidéosurveillance d’un café où il se trouvait au moment des faits.
« L’enquête judiciaire a établi, de manière catégorique, le caractère affabulateur et mensonger des allégations de l’intéressé, puisque son amie a démenti ses affirmations et déclaré qu’il était en sa compagnie au moment même où il prétend avoir fait l’objet d’enlèvement. Des enregistrements vidéo disponibles confirment ces faits », précise aujourd’hui le communiqué des Affaires étrangères.
Le troisième cas concerne le journaliste Hamid Mahdaoui. Selon le rapport du Département d’Etat américain, « le 29 juin 2014, un tribunal de Casablanca a condamné Hamid Mahdaoui, rédacteur en chef du site web d’informations Badil, à une peine de quatre mois de prison avec sursis, pour diffamation du chef de la Direction générale de la sûreté nationale, Abdellatif Hammouchi », indique la même source. Il s’avère que Abdellatif Hammouchi n’était pas encore en poste poussant les Affaires étrangères a constater que « les faits rapportés par le rapport n’ont fait l’objet d’aucune vérification, démontrant ainsi la négligence, voire la mauvaise foi des rédacteurs ».

A l’époque, rappelle le ministère, Bouchaib Rmil, alors directeur de la DGSN avait déposé, le 5 juin 2014, une plainte à l’encontre de Mahdaoui, pour « outrage à travers la déclaration d’un crime dont il connait l’inexistence », « outrage à corps organisé » et « dénonciation calomnieuse ». La DGSN avait requis que le journaliste soit interdit d’exercer son métier pour une durée de dix ans – une peine que seul le journaliste Ali Lmrabet avait enduré jusque-là - et une amende de 250 000 dirhams.
En juin 2014, Mahdaoui avait rapporté la version de l’AMDH sur le décès, en mai de la même année, de Karim Lachkar, ancien militant de l’USFP à Al Hoceima. Plusieurs associations ainsi que ses proches avaient accusé les forces de police d’avoir mortellement battu le jeune homme lors de son interpellation suite à un contrôle routier. Selon le médecin légiste cité par le procureur, Lachkar est décédé suite à une « insuffisance respiratoire » aggravée par la consommation de cocaïne et d’alcool, et non pas de « violences policières ».
Affaires fragiles, châtiments pour l’exemple
Les deux premières affaires exposées par Bourita à Dwight L. Bush sont à l’évidence particulièrement fragiles, les deux jeunes militants ayant été en effet confondus par des preuves tangibles. Le contexte de l’époque est cependant significatif, les forces de police ayant été, à maintes reprises, accusées de violations à l’encontre de manifestants, celles-ci ont pris soin de démontrer que certaines allégations étaient totalement infondées. Même si les ONG qui ont ardemment soutenus les mis en cause, l’on fait « par principe », justifie sous couvert d’anonymat un membre de l’AMDH, ces cas d’affabulations « demeurent marginaux ». Une position pour le moins discutable.
Demeure la question de la sanction qui n’est pas mise en exergue puisque celle-ci émane d’une décision de justice à priori indiscutable. Pour les trois cas, il est cependant évident que les peines prononcées ou requises sont singulièrement lourdes. Un châtiment pour l’exemple, s'agissant faut-il le rappeler, d'allégations contre la police, qu’une justice plus sereine aurait pu éviter.
Les autorités marocaines disposent « d’autres preuves sur d’autres cas dont elles sont prêtes à démontrer le caractère fallacieux », souligne de son côté la déclaration ministérielle suite à la convocation de l’ambassadeur des Etats-Unis et requiert avec insistance que « la vérité soit restaurée », indiquant que le Maroc est disposé « à aller jusqu’au bout pour confronter, y compris devant les instances américaines appropriées, les données et pour passer en revue chaque cas évoqué dans le rapport ».