Censure de la BBC : les explications de Mustapha El Khalfi

Pour les observateurs de la scène médiatique, c’est un nouveau coup dur porté à la liberté de la presse au Maroc. En septembre dernier, Casablanca devait abriter l’une des émissions phare du service public britannique, Global Questions, un talk show, mené par Zeinab Badawi, une journaliste réputée sur la scène internationale, notamment sur les questions relevant de la sphère moyen-orientale et africaine. Elle a été annulée, la BBC a décidé par conséquent de la transférer en Tunisie.
Son thème (Islam et politique), particulièrement sensible pour la période pré-électorale durant laquelle elle a été programmée, a d’abord conduit à un report décidé par le ministère de la Communication, comme le reconnaît Mustapha El Khalfi, ex-ministre et porte-parole du gouvernement. « Le seul point me concernant a été le report de l’émission après les élections. Cela n’a jamais été une question d’interdiction » a-t-il affirmé au Desk, avant d’ajouter cependant que « la décision de ne pas recevoir la BBC au Maroc ne me concerne pas, la demande a été déposée au ministère de la Communication après mon départ ».

Décidé durant l’été, le thème de ce rendez-vous télévisuel hebdomadaire qui attire chaque semaine 78 millions d’auditeurs, devait être consacré à l’Islam en politique. Le point d’ancrage dans l’actualité avait été choisi en fonction des législatives marocaines d’octobre qui devaient consacrer la victoire du PJD, parti au référentiel religieux affiché et dont les relations avec le Palais n’ont pas été de tout repos durant la pré-campagne électorale.
Un refus décidé durant le mandat de Bassima El Hakkaoui
S’il y a lieu de savoir pourquoi un simple report de date s’est transformé en une interdiction pure et simple, « il faut plutôt interroger le secrétaire général du ministère ou Bassima El Hakkaoui, en charge actuellement du ministère pour cette période transitoire », a indiqué El Khalfi.
Au repos après la furie de la campagne où, affirme-t-il, il s’est beaucoup dépensé, enchaînant une trentaine de réunions et de meetings dans son fief doukkali de Sidi Bennour, El Khalfi a cependant précisé qu’en tant qu’invité, « mon nom est toujours sur la liste des intervenants de Tunis, où j’y serai pour défendre la stratégie du Maroc dans sa gestion du champ religieux ».
Balayant d’un revers de la main la thèse d’une censure de la part du PJD qui aurait refusé de débattre avec Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2008 et opposant déclaré du régime d’Erdogan en Turquie, l’ancien ministre a expliqué que son intervention, telle que prévue à Casablanca, se focalisera sur trois points : le fait que « le champ religieux est du fait d’une seule institution au Maroc, à savoir Imrat’al Mouminin » (Commanderie des croyants), « que personne ne conteste », insiste El Khalfi, rappelant qu’il s’agit-là « d’un choix qui assure l’unité du pays et sa stabilité ». Pour lui et son parti, affirme-t-il, « le rôle central de la Commanderie des croyants a eu pour conséquence la neutralité du religieux dans le politique, excluant de fait la compétition partisane sur ce point quel que soit le référentiel des formations politiques ».

Mustapha El Khalfi développera aussi, selon ses dires, le rôle et les effets de cette « singularité marocaine dans la lutte contre le terrorisme, la stabilité du pays étant un enjeu majeur ». Enfin, il défendra l’idée de « la participation du PJD, un parti au référentiel religieux modéré, dans le jeu politique et sa réussite dans la conduite des affaires de l’Etat ».
L’ancien ministre dit regretter que ce talk show n’ait finalement pas eu lieu au Maroc, citant un rapport du Foreign Committee du parlement britannique daté du 6 novembre qui exalte l’exemple marocain « dans sa capacité à’absorber la question de l’islam politique ».
Déportée à Tunis, l’émission a été programmée par la BBC le 4 décembre. Elle verra, en plus de la participation d’El Khalfi, celle de représentants de la Tunisie, désormais pays hôte, du Liban, de l’Egypte et de la Turquie.