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22.02.2017 à 22 H 03 • Mis à jour le 22.02.2017 à 22 H 52
Par
Justice & Anti-terrorisme

Thomas Gallay, un « émir aux yeux bleus » ?

Le Français Thomas Gallay a été condamné au Maroc à 4 ans de prison pour liens avec une cellule pro-Daech. ILLUSTRATION MONTAGE LE DESK
Condamné à six ans de prison en juillet 2016 pour notamment soutien logistique à une entreprise terroriste, le Français Thomas Gallay a comparu en appel à Salé, mercredi 22 février. Lui et ses proches clament son innocence tandis que l’accusation l’accable. Le Desk remonte le fil d'une affaire qui déteint sur les relations franco-marocaines

Depuis un an un Français accusé de terrorisme crie son innocence depuis sa cellule de la prison de Salé 1. Thomas Gallay, arrêté à Essaouira dans le cadre d'un coup de filet antiterroriste, a été condamné en juillet 2016 à six ans de prison. L'homme de 37 ans, originaire du sud-est de la France, soupçonné de s'être converti à l'islam est accusé notamment d'avoir soutenu financièrement une cellule terroriste qui projetait au nom de l’organisation de l’Etat islamique des attentats contre des touristes.


Une nouvelle audience dans le procès en appel de Gallay qui a débuté en octobre dernier, s'est tenue mercredi 22 février 2017 devant le tribunal de Salé près de Rabat. A la Cour, l'un de ses avocats, Me Frank Berton, a déposé une demande écrite pour pouvoir plaider en français. Une réponse à sa requête lui sera donnée le 1er mars, jour de la prochaine audience, a fait savoir le juge. Mais d'ici-là, le ténor du barreau français s'insurge déjà : « Les droits les plus élémentaires de mon client ont été bafoués. C'est honteux ! » a-t-il déclaré au Figaro.


En France et auprès des ONG internationales, dont Human Rights Watch, l’accusation est mise en doute. Tous les médias hexagonaux qui suivent son procès relaient sa version des faits et se mobilisent pour obtenir sa libération parlant de « cauchemar » et pointant des « aveux irrecevables ». Une pétition pour alerter le gouvernement français et l'opinion publique a été lancée. Plus de 15 000 personnes l'ont déjà signée parmi lesquelles de nombreux députés et sénateurs...


Une cellule pro-Daech dans plusieurs villes

La descente aux enfers de Thomas Gallay commence le 18 février 2016. À l'aube, des éléments de la police anti-terroriste l'arrête à son domicile d’Essaouira où il s’est installé depuis 2014.


Selon le récit de la presse française, « le Français tombe des nues (…) Il nie tout lien avec le terrorisme ». Pour les autorités qui le surveillent depuis de longues semaines, son arrestation est en lien avec le démantèlement d’une cellule opérant dans sa ville de résidence, mais aussi à Sidi Kacem, El Jadida et Meknès.


Il signe ensuite des procès-verbaux en arabe « qu'il ne comprend pas » dira-t-il plus tard. Le Français ne découvre le contenu de ces procès-verbaux qu'une fois au tribunal, lorsque son avocat les lui traduits. Il les réfute immédiatement, explique sa défense. Problème : dans ces PV, Thomas Gallay admet s'être converti à l'islam et soutenir le groupe État islamique.


« De la pure fiction » selon ses proches

Contactée par Le Desk, Béatrice Gallay avait affirmé que « Thomas a été condamné sur la base de PV de police qui ne correspondent pas aux déclarations qu'il a faites (…) Il n'est absolument pas coupable de ce qui lui est reproché ! », évoquant ainsi « un combat inégal » et qualifiant ce PV de « pure fiction ».


Le seul élément que reconnaît Thomas Gallay est d'avoir donné 70 euros à un Marocain qu'il connaissait et dont il ignorait les liens supposés avec le terrorisme. « On lui reproche d'avoir donné ces 70 euros à une vague connaissance », un intermédiaire immobilier - personnage au centre du dossier - « rencontré en 2014 après son installation à Essaouira et avec qui il a perdu contact en 2015 », avait déclaré par ailleurs sa mère à l'AFP en janvier dernier.


Rien à voir, selon ses proches, avec le soutien à une organisation terroriste. « J'attends de la justice marocaine qu'elle reconnaisse que Thomas n'est pas converti. Et qu'à partir de là, les accusations perdent leur sens », a déclaré Béatrice Gallay, qui a demandé l'aide des autorités françaises. Le Quai d’Orsay avait affirmé suivre l'affaire et croire en l'innocence de Thomas Gallay. Il rappelle toutefois que « le terrorisme est un sujet extrêmement sensible au Maroc ».


Gallay a notamment reçu le soutien de l'ex-ministre française de la Justice Christiane Taubira. « Sans commettre ni ingérence judiciaire, ni impair diplomatique, il est possible pour les autorités françaises de demander que ce jeune homme dispose d'un procès équitable », avait déclaré l’ex-Garde des Sceaux à France info.


Les ONG internationales dénoncent des « méthodes douteuses »

En novembre dernier , Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l'Homme et Amnesty international avaient dénoncé les « méthodes douteuses des policiers » dans ce dossier.


« Imaginez que vous vous fassiez interroger pendant 12 jours dans un poste de police, par des officiers qui vous répètent que vous n’êtes accusé de rien, et qu’ils ont juste besoin de vous pour confirmer des informations sur le vrai suspect, une de vos connaissances. Finalement, les policiers vous présentent un PV rédigé dans une langue que vous ne savez pas lire, et en guise de « traduction », vous répètent oralement tout ce que vous leur avez réellement dit. Puis ils concluent : ‘ça fait 12 jours qu’on est là, finissons-en, comme ça tu rentres chez toi’. Vous ne signeriez pas, vous ? Thomas Gallay l’a fait. Imaginez son état de choc quand son avocat lui a appris que le PV contenait en fait des aveux complets et détaillés sur son implication dans des projets terroristes… et que le juge l’a condamné à 6 ans de prison sur la base de ce PV ! », déclare aujourd’hui au Desk Ahmed Benchemsi, directeur de la communication de Human Rights Watch pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. « Ce scénario cauchemardesque n’est pas une première. Les tribunaux marocains sont coutumiers des condamnations fondées sur des PV extorqués aux accusés de manière douteuse. A noter qu’aucun avocat n’était présent quand Gallay a signé ses prétendus « aveux ». La loi marocaine n’accorde pas ce droit, mais si c’était le cas, beaucoup d’injustices seraient évitées. En Tunisie, un suspect a le droit d’être assisté par un avocat dès la première minute de sa détention, y compris pendant les interrogatoires. Pourquoi pas au Maroc ? », assène-t-il.


Une version « très médiatique » contestée par l’accusation

Les autorités ont de leur côté une version bien différente. « Elle est peut-être inaudible du fait de celle très médiatique rapportée par la presse française », affirme une source autorisée proche de l’enquête qui insiste pour dire que « l’implication de ce ressortissant français dont l’interpellation et les étapes de l’instruction se sont déroulées en respect de la loi et sous le contrôle de la justice ne prête à aucune équivoque, dès lors que la perquisition et l’audition du mis en cause confirment les faits qui lui sont reprochés ».


Selon les différents documents de l’enquête que Le Desk a pu consulter, la perquisition du domicile de Gallay a permis la saisie d’un matériel informatique comportant nombre d’éléments audiovisuels faisant l’apologie de Daech dont certains comportent les images de l’exécution du pilote jordanien Mouad Kassasbeh, des vidéos glorifiant les actions des terroristes, notamment les « exploits » de l’organisation lors de la prise de la caserne Liwae 93 dans la région de Raqqa.


Extrait du rapport d'enquête de la police judiciaire exposant le matériel audiovisuel extrait de l'ordinateur de Thomas Gallay


Selon l’accusation, Gallay était « en contact permanent » avec le chef de file de la cellule de 9 personnes, dirigée par le jihadiste Mailinine Lassir à qui il a « autorisé à utiliser son matériel informatique pour suivre l’actualité militaire de Daech dans la zone syro-irakienne ».

  

Réunions, conspiration et conseils en informatique

Le domicile de Gallay à Essaouira a servi aussi selon l’enquête « à abriter des réunions d’embrigadement durant lesquelles la riposte à l’offensive militaire lancée par la coalition internationale à travers des actes terroristes visant les touristes étrangers en visite au Maroc ».

 

En sa qualité d’ingénieur en électronique et compte tenu de sa maîtrise des outils informatiques, Gallay a « donné des orientations et prodigué des conseils au chef de la cellule en vue de sécuriser ses connexions sur le net », affirment les enquêteurs dans leur rapport, « manifestant sa prédisposition à produire des vidéos propagandistes semblables à celles de Daech ».


Ce sont ces faits qui tendent à prouver que Gallay a participé à la constitution de la cellule jihadiste et que le Français a reconnu dans son PV d’audition mais qu’il conteste aujourd’hui. Il y est mentionné que sa déposition lui a été traduite de l’arabe vers le français par un officier de la police judiciaire avant qu’il ne la signe.


Pas de contrainte légale à un tiers interprète

Sur ce point, si l’on s’en tient au Code de procédure pénal marocain, celui-ci prévoit que « l'officier de police judiciaire peut faire appel à un interprète âgé de 21 ans au moins, à l'exclusion des témoins. Cet interprète, s'il n'est pas déjà assermenté, prête serment de traduire fidèlement les dépositions », mais rien ne l’obligerait selon la loi marocaine à y recourir.


Comme dans nombre d’affaires impliquant des étrangers, les procès-verbaux d'écoute reprennent des mentions obligatoires définies par le code de procédure pénale telles que l'identité des personnes présentes ou le recours éventuel à un interprète. Dans certains, la qualité de l'interprète n'apparait pas, la seule indication étant que la traduction a été faite d’une langue vers l’autre ou que le procès-verbal a été lu à la personne interpellée dans sa langue.


Le dossier Thomas Gallay n'est pas un cas isolé, comme l'avance Eric Goldstein, directeur adjoint de l'ONG Human Rights Watch. « Plusieurs affaires similaires ont été recensées. En 2013, nous avons même publié un rapport, intitulé “Tu signes ici, c'est tout : Procès injustes au Maroc fondés sur des aveux à la police”, pour dénoncer cette pratique scandaleuse. »


Extrait du rapport d'enquête du BCIJ montrant les armes saisies dans une cache El Jadida


L'absence d'interprète habilité est régulièrement constatée dans les procédures de police, et les services de police ont alors recours à des membres du personnel, à des accompagnateurs de témoins ou du mis en cause, à des individus « passant dans les parages ». « C’est un point qui fragilise les enquêtes » commente un juriste consulté par Le Desk qui regrette que « la suspicion envers la police puisse aller jusqu’à la mise en cause de tout l’édifice anti-terroriste ». Pour nombre d'avocats la législation marocaine est ainsi faite : les déclarations d'un procès-verbal si elles doivent être signées volontairement et librement comportent ce flottement qui peut autoriser un doute dans certains cas sur des aveux possiblement extorqués par la coercition. De là à ce que le juge n'en tienne pas compte, le fossé est large.


Dans le cas de Gallay, il s’agit de l’officier de police judiciaire qui l’a lui-même interrogé et obtenu ses « aveux ». Son ambassade a été informée dans la foulée et son avocat Me Abderrahim Jamaï l'a visité. « Etant sous serment, et ne dérogeant pas à la loi écrite, l’acte est donc tout à fait légal et recevable », estime l’accusation qui insiste pour dire que « les aveux de Gallay ne sont pas la seule pièce de l’accusation », faisant ainsi référence aux éléments connexes, tels que la saisie dans une cache d’El Jadida d’un important lot d’armes avec minutions, de matières chimiques entrant dans la confection d’explosifs et de substances neurotoxiques, et dont Gallay « avait connaissance au vu de ses échanges avec le chef de la cellule », assure l’accusation sur la base de l’analyse du matériel informatique saisi au domicile du Français, et « dont le détail des preuves matérielles sera exposé à la Cour ». Thomas Gallay, un « émir aux yeux bleus » ? Ce sera évidemment à la justice d'en décider.

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