Accord de pêche : le Maroc face aux avis d’experts européens

L’enceinte du Parlement européen à abrité hier 28 février un échange de vues entre experts juridiques et représentants du Parlement et de la Commission européenne à propos du protocole de Pêche en vigueur entre le Maroc et l’UE à l’aune de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE).
« Nous devons trouver la base juridique pour que la zone géographique de l’accord agricole inclue le Sahara occidental en prenant en compte l’arrêt de la CJUE, et sans s’immiscer dans le processus de paix des Nations unies », a déclaré Vincent Piket, chef de la division Maghreb du Service d’action extérieure de la Commission européenne, soulignant l’urgence politique et économique. Un point nodal sur lequel les experts butent pour sauvegarder les liens avec le Maroc tout en étant dans les clous par rapport au droit international.
Pour rappel, la Cour avait précisé qu’ « il est exclu de considérer que l’expression « territoire du Royaume du Maroc », qui définit le champ territorial des accords d’association et de libéralisation, englobe le Sahara occidental et, partant, que ces accords sont applicables à ce territoire ». En clair, la question de la souveraineté du Maroc sur le territoire contesté demeure posée en terme politique.
Après un exposé des éléments de contexte, le chef du service juridique du Parlement de l’UE a rappelé aux membres du Comité sur les pêches l’irrecevabilité de la plainte du Polisario, mais aussi les conséquences procédurales de cet arrêt sur le volet de la pêche, tout en insistant particulièrement sur les renvois préjudiciels « plus décisifs » en cours, notamment celui engagé par le recours fait devant une juridiction anglaise par une ONG proche du Polisario.
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« Ainsi, la Cour peut se prononcer directement sur la validité des instruments et donc les contester » a dit l’expert. Cela supposera, selon lui, « un réalignement des positions politiques des pays membres de l’UE », mais a-t-il précisé « rien n’est jusqu’ici formellement acquis en droit ». Il a qualifié le point 96 de l’arrêt de la CJUE « d’énigmatique », soulignant que la note n° 33 contenue dans l’avis de l’avocat général était « une formule standard ». Aussi, « le consentement des populations autochtones » de l’accord est pour lui une formulation « peu évidente dans sa définition ».
Un accord spécifique, objet de rapports de suivi
Les experts ont de manière générale consenti au fait que l’accord conclu dans sa version prolongée jusqu’à l’été 2018 comportait « des termes spécifiques » et que « sans spéculer sur l’interprétation juridique, son application se faisait dans les meilleures conditions possibles ».
Les représentants de la Commission européenne, Stefaan Depypere, de la direction générale des affaires maritimes et de la pêche et Barbara Eggers, du service juridique, agent de la Commission, ont quant à eux insisté pour clarifier le fait que l’arrêt rendu par la CJUE « n’invalidait pas l’accord de pêche » dans sa mouture actuelle, même s’il donne une « indication sérieuse ». « Nous ne connaissons pas les conditions légales exactes s’appliquant à ce jour » , ont-ils affirmé, rappelant que cet accord est « autant vital pour l’UE que pour le Maroc ».
Selon des sources diplomatiques consultées par Le Desk, un des arguments discutés lors de la rencontre exploratoire entre les deux parties organisée ce mercredi 1er mars au siège du ministère des Affaires étrangères à Rabat, se focaliserait sur « le caractère mouvant du stock de poissons sur une portion très étendue de la façade africaine, du Sénégal jusqu’à la pointe nord du Maroc ».
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En clair, le Maroc compte faire valoir, comme cela a été évoqué lors des débats du Comité sur les Pêches au Parlement de l’UE que l’argument de la partie adverse accusant le Maroc de « piller les richesses halieutiques du Sahara occidental est fallacieux, le poisson n’étant pas une ressource naturelle spécifique à ce territoire », explique au Desk une source proche du dossier.
S’il est difficile pour le Polisario et ses soutiens de prouver l’application de l’accord agricole Maroc-UE au Sahara, la situation est différente en ce qui concerne l’actuel accord de pêche, qui couvre explicitement les eaux du territoire. Le protocole entré en vigueur en 2014 fixe en effet un quota annuel de 80 000 tonnes de sardines et maquereaux, réservé aux navires européens de la pêche industrielle dans une zone située au large du Sahara (« stock C »).
La légalité de l’accord de pêche a fait l’objet d’avis juridiques successifs. Tous sont basés sur le statut de « territoire non-autonome » du Sahara occidental et sur les droits garantis aux habitants de ce territoire. En 2006, un an avant la mise en œuvre de la première version de l’accord de pêche, le service juridique du parlement européen estimait qu’en l’absence de délimitations géographiques claires dans le texte de l’accord, seule sa mise en œuvre permettrait de déterminer si le droit international était respecté ou non. En 2009, un nouvel avis juridique a été rendu au terme de deux ans de mise en œuvre. Le service juridique du parlement européen rappelait alors que pour être légales, les activités devaient être menées « aux bénéfices du peuple du Territoire et en conformité avec leurs souhaits. » – reprenant ainsi les termes de l’avis juridique de l’ONU de 2002 – mais qu’il n’était pas en mesure de déterminer sur le terrain si les investissements réalisés grâce à la contrepartie financière de l’UE bénéficiaient réellement à la population.
Suite à la décision du Parlement européen en 2011 de ne pas reconduire le protocole à l’accord de pêche, les services de la Commission européenne et les autorités marocaines ont négocié les termes du nouveau protocole actuellement en vigueur, qui doit être renouvelé en 2018. Le service juridique du parlement européen a donné son feu vert en 2013 en reprenant l’argument de la Commission européenne selon lequel l’application de l’accord au Sahara est conforme au droit international tant que les activités et la contrepartie financière bénéficient à la population locale.
C’est pourquoi l’UE a exigé du Maroc un reporting précis sur l’utilisation des fonds dans le territoire. Face à l’opposition de Rabat, une solution intermédiaire a été trouvée : un rapport de suivi est présenté et discuté chaque année au sein de la commission mixte UE-Maroc, instituée par l’accord. C'est ce qu'ont défendu hier à Strasbourg Barbara Eggers et Stefaan Depypere, insistant sur l'assurance de retombées positives sur les populations locales. Ce rapport ne couvre pas seulement le Sahara Occidental mais l’ensemble du territoire marocain...