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22.12.2016 à 16 H 05 • Mis à jour le 22.12.2016 à 16 H 05 • Temps de lecture : 10 minutes
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n°85.Maroc-UE: quel sens donner à l’arrêt rendu par la Cour européenne de justice ?

Le Maroc a obtenu gain de cause dans la réactivation de l’Accord agricole conclu avec l’Union européenne, mais l’arrêt de la CJUE affirme qu’il n’est pas applicable dans ses termes actuels au Sahara occidental, ouvrant une brèche politique majeure pour le Polisario qui compte exploiter ce point nodal dans ses futures batailles juridiques et diplomatiques autour de la question de la souveraineté du royaume sur le territoire

En 2012, l’UE et le Maroc avaient conclu un accord prévoyant des mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles et de produits de la pêche. Accord dont le Front Polisario a demandé l’annulation.


1- L’Accord agricole n’est pas applicable au Sahara occidental


La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tranché : l’accord de libre-échange en matière d’agriculture et de pêche conclu en 2012 entre l’Union européenne (UE) et le Maroc n’est pas applicable au Sahara occidental et n’aurait donc pas dû être annulé à la suite de la contestation soulevée par le Front Polisario.


Prononcé en audience publique à Luxembourg, mercredi 21 décembre, l’arrêt était très attendu car au cœur du conflit qui oppose depuis des décennies le Maroc et les séparatistes sahraouis.


2- Sur quelles bases le tribunal de l’UE avait annulé l’Accord agricole ?


Le 10 décembre 2015, le tribunal de l’UE rendait un arrêt qui annulait l’accord, donnant raison au Polisario. Le tribunal expliquait considérer que les accords d’association et de libéralisation étaient applicables « au territoire du Royaume du Maroc », et que sans précision, cela incluait le Sahara occidental. Par conséquent, le Front Polisario était concerné par l’accord et qualifié pour en demander l’annulation.


Le tribunal avait alors annulé la décision en question « en ce qu’elle approuve l’application de l’accord de libéralisation au Sahara occidental ». En particulier, le Tribunal a considéré que « le Conseil avait manqué à son obligation d’examiner, avant la conclusion de cet accord, s’il n’existait pas d’indices d’une exploitation des ressources naturelles du territoire du Sahara occidental sous contrôle marocain susceptible de se faire au détriment de ses habitants et de porter atteinte à leurs droits fondamentaux ».


3- Quels étaient les termes de l’appel de la décision ?


La décision du tribunal avait provoqué une vive réaction du Maroc qui avait peu après déclaré suspendre ses relations avec les institutions de l’UE. Embarrassée, celle-ci avait fait appel de la décision.


Le pourvoi avait été introduit le 19 février par le Conseil de l’Union européenne et soutenu par la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Portugal ainsi que la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader).


Il ne portait que sur des points de forme, notamment sur « la recevabilité de la plainte du Front Polisario », expliquait en mars dernier au Desk, Gilles Devers, l’avocat du Polisario. Bruxelles ne contestait donc pas les arguments de fond soulevés par les juges en première instance, à savoir que le Sahara occidental est considéré par l’UE et l’ONU comme un territoire non autonome et que le Conseil n’a pas pris de mesures avant 2012 pour s’assurer que l’accord agricole allait bénéficier à la population locale, conformément au droit applicable aux territoires non autonomes.


4- Quelles étaient les conclusions de l’avocat général de la CJUE ?


En septembre, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), Melchior Wathelet avait déjà suggéré d’invalider l’arrêt ayant annulé l’accord.


Ses conclusions considèraient que « le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Maroc et que, partant, contrairement à ce qui a été constaté par le Tribunal, ni l’accord d’association UE-Maroc, ni l’accord de libéralisation ne lui sont applicables ».


L’avocat avait constaté en substance que le Sahara occidental est, depuis 1963, « inscrit par l’ONU sur sa liste des territoires non autonomes ». S’agissant de la question de savoir si la portée des traités ou accords internationaux conclus par les États administrant des territoires non autonomes s’étend également à ces territoires, l’avocat général relève que « la pratique de la majorité de ces États démontre qu’une telle extension est subordonnée à sa prévision expresse lors de la ratification des traités ou accords. Or, les deux accords précités ne comportent aucune disposition visant à étendre leur champ d’application au Sahara occidental et une telle extension n’a pas été prévue non plus lors de la ratification de ces accords par le Maroc ».


En deuxième lieu, l’avocat général soulignait que l’Union Européenne et ses États membres « n’ont jamais reconnu que le Sahara occidental fait partie du Maroc ou relève de sa souveraineté ».


En troisième lieu, l’avocat général réfutait les arguments selon lesquels « la reconnaissance de l’extension de la portée des deux accords en cause au Sahara occidental s’impose au motif que ces accords seraient de toute manière appliqués, de fait, à ce territoire ». En effet, selon l’avocat général, les éléments examinés dans la présente affaire « ne suffisent pas pour établir l’existence d’une pratique générale et de longue durée qui irait, en toute connaissance des parties concernées, à l’encontre des termes mêmes de ces accords, termes qui limitent le champ d’application des accords au seul territoire du Maroc. Or, seule une telle pratique serait susceptible de constituer un nouvel accord entre les parties sur l’extension du champ d’application territorial des deux accords précités ».

 

En quatrième lieu, l’avocat général rappellait que, en principe, « le droit international ne permet pas d’étendre le champ d’application d’un traité bilatéral à un territoire qui constitue une partie tierce par rapport aux parties au traité. Or, le Sahara occidental constitue précisément un tel territoire par rapport à l’Union et au Maroc ».


En raison de l’inapplicabilité des accords précités au Sahara occidental, l’avocat général proposait alors à la Cour « d’annuler l’arrêt du Tribunal et de rejeter le recours du Front Polisario comme irrecevable car ce dernier n’a plus d’intérêt à faire annuler la décision contestée ».

 

Par ailleurs, même si les deux accords étaient applicables au territoire, l’avocat général était d’avis que « le Front Polisario n’est pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse et que, partant, son recours devrait également être rejeté à ce titre ».


Le Front Polisario « n’est reconnu par la communauté internationale que comme le représentant du peuple du Sahara occidental dans le processus politique destiné à résoudre la question de l’autodétermination du peuple de ce territoire et non comme ayant vocation à défendre les intérêts commerciaux de ce peuple. De plus, le Front Polisario ne semble pas être un représentant exclusif du peuple du Sahara occidental dans les relations internationales car il n’est pas exclu que l’Espagne, ancien colonisateur de ce territoire, détienne encore des responsabilités à cet égard », écrivait-il

 

5- Pourquoi le Polisario a-t-il été débouté ?


La CJUE a rejeté le recours du Front Polisario le jugeant « irrecevable » en se référant « au statut séparé et distinct garanti au territoire du Sahara occidental en vertu de la charte des Nations Unies et du principe d’autodétermination des peuples », note le communiqué de la cour. L’accord ne s’appliquant pas au Sahara occidental, le Front Polisario ne peut donc s’y opposer. « Le Front Polisario n’est pas concerné par la décision par laquelle le Conseil a conclu cet accord ». Une décision qui va donc dans le sens de l’avis émis par l’avocat général de la CJUE.


Le Front Polisario ne peut être considéré comme le représentant légitime de la population du Sahara occidental selon l’arrêté de la CJUE. La CJUE souligne que selon « le principe de l’effet relatif des traités en vertu duquel un traité ne doit ni nuire ni profiter à des tiers sans leur consentement », la population résidant dans les provinces du Sud « doit être regardé[e] comme un tiers ». La Cour estime qu’ « il n’apparaît pas que ce peuple ait consenti à ce que l’accord soit appliqué au Sahara occidental ». Le Polisario devra en outre supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.


6- L’Accord réactivé mais la définition politique de la territorialité contestée


La Cour a précisé se faisant que « il est exclu de considérer que l’expression « territoire du Royaume du Maroc », qui définit le champ territorial des accords d’association et de libéralisation, englobe le Sahara occidental et, partant, que ces accords sont applicables à ce territoire ». En clair, la question de la souveraineté du Maroc sur le territoire contesté demeure posée en terme politique.


La Cour précise dans ce sens que « l’accord de libéralisation doit toutefois être interprété, conformément aux règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc, en ce sens qu’il ne s’applique pas au territoire du Sahara occidental ». L’arrêt insiste sur le fait que « considérer que le territoire du Sahara occidental relève du champ d’application de l’accord d’association est contraire au principe de droit international de l’effet relatif des traités, lequel est applicable dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc ».


Dans un communiqué conjoint diffusé suite à la publication de l’arrêt de la CJUE, le Maroc et l’UE soulignent que « la décision du Conseil de l’UE portant sur la mise en œuvre de l’Accord agricole UE-Maroc demeure à ce titre en vigueur ». Ce qui implique que le Maroc et l’Union européenne devront, au vu du statut particulier du Sahara occidental, redéfinir les termes de l’Accord pour dépasser la contrainte de la dénomination « territoire du Royaume du Maroc » qui figure sur les traités. D’ailleurs la Cour invite les parties à cette réflexion estimant que « lorsqu’un traité a vocation à s’appliquer non seulement au territoire souverain d’un État mais également au-delà, ce traité doit le prévoir expressément ».


7- Une victoire à la Pyrrhus pour le Maroc

 

Si le Maroc a obtenu gain de cause en obtenant que le jugement du 10 décembre soit définitivement cassé, rétablissant la validité de l’Accord agricole et déboutant le Polisario en sa qualité de partie agissante, la diplomatie marocaine est désormais consciente du fait que ce bras de fer au long cours laisse de profondes stigmates et porte conséquence sur ses actions futures. Une brèche que le Polisario compte exploiter à fond dans ses prochaines batailles contre Rabat.


C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la déclaration conjointe du Maroc et de l’UE diffusée dans la foulée de la publication de l’arrêt qui « prend note » de la décision de la CJUE sans s’en satisfaire pleinement.


Une position de solidarité commune affichée – confortée par ailleurs sur le plan bilatéral par le Quai d’Orsay - qui rappelle en creux que le statut du Sahara occidental est discuté et négocié entre les parties dans le cadre d’un processus exclusivement onusien. Si la Cour européenne insiste sur une clarification de ce que doit englober le territoire du Maroc tel que mentionné dans les traités conclus entre le Maroc et l’UE, elle ne met pas en cause l’Accord lui même mais les termes de son champ d’application.


Autrement dit, seule l’application de l’accord au Sahara est dénoncée par l’arrêt, mais Bruxelles ne compte certainement pas forcer le Maroc à suspendre les exportations du territoire vers l’Union européenne. Une position déjà prise depuis le prononcé du premier jugement de 2015 puisque le Conseil de l’UE n’avait pas déposé de demande en référé pour surseoir à l’exécution de l’arrêt.


Pour le Polisario, le fait que la CJUE casse l’arrêt de première instance en déclarant irrecevable sa plainte, la question de fond sur la souveraineté marocaine demeure posée avec acuité et sera désormais mise en avant dans les prochains mois sur la base des conclusions de la Cour sur ce point nodal : deux plaintes similaires sont en cours d’examen au niveau des juridictions nationales, en France et au Royaume-Uni, déposées par la Confédération paysanne et par une association britannique pro-polisario. Ces plaintes étaient jusqu’ici en standby en attendant le verdict de la Cour européenne de justice.

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