Fermeture du gazoduc GME : l’Algérie rejette la faute sur le Maroc

Alors qu’elle a jusqu’ici justifié la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe par des « pratiques hostiles » du royaume, l’Algérie a donné aujourd’hui une version relativement différente. Réagissant à un communiqué du président de la délégation du Parlement européen pour les relations avec les pays du Maghreb, Andrea Cozzolino, qui a fait part de « sa grave préoccupation » après la décision d’Abdelmadjid Tebboune de ne pas reconduire le contrat expiré le 31 octobre, l’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles a rejeté cette fois la faute sur le Maroc.
« Le renouvellement de l’accord sur l’exploitation du gazoduc nécessitait l’ouverture de nouvelles négociations depuis une année », indique Mohammed Haneche cité par l’agence officielle APS, qui poursuit : « Or, si l'Algérie et l'Espagne ont émis le vœu de négocier cette possibilité, le Maroc n'a donné aucune indication claire de sa volonté de renouveler cet accord jusqu'à la mi-août 2021, amenant ainsi l'Algérie à envisager une solution alternative pour maintenir ses engagements contractuels avec l'Espagne. »
« Il est donc injuste et inapproprié de rejeter de manière péremptoire la responsabilité au non-renouvellement de l'accord sur le gazoduc sur l'Algérie », se dédouane l’ambassadeur, qui affirme que l'Algérie entend assumer ses engagements avec « le seul partenaire espagnol ».
« L'accord portant construction et exploitation du gazoduc Maghreb-Europe a été signé pour une durée normale de 25 ans expirant le 31 octobre 2021 », rappelle-t-il, indiquant que, durant cette période, « plus de 270 milliards de mètres cube de gaz ont été livrés à l'Espagne et au Portugal », et que le royaume « a acheté peu de quantité de gaz, se contentant surtout de prélever ses droits de passage, à savoir 7 % des quantités transitant par le territoire. »
Sur l’éventualité d’une augmentation des prix, le diplomate botte en touche. Il « serait erroné de considérer que l'Algérie veuille augmenter les prix, sachant que le marché méditerranéen est très ouvert du fait de la présence de fournisseurs comme les États-Unis d'Amérique ou le Qatar. »
Dans son communiqué diffusé le 3 novembre, Andrea Cozzolino a rappelé que « cet accord d'approvisionnement concerne directement, non seulement le Maroc, mais aussi l'Union européenne. » « Quelles que soient les raisons qui ont motivées une telle décision, l'utilisation de l'approvisionnement en gaz comme moyen de pression ne saurait constituer une solution appropriée. Ceci est particulièrement vrai dans la période actuelle de forte tension sur les prix de l'énergie, lorsque ce sont les citoyens européens qui risquent d'en faire les frais », a-t-il ajouté, appelant le gouvernement algérien « à reconsidérer cette décision et à reprendre la voie du dialogue. »
L'Algérie n’aurait pas tout dit...
La nouvelle version algérienne contredit le communiqué d’Abdelmadjid Tebboune qui avait justifié, le 31 octobre, la fermeture du gazoduc par « des pratiques à caractère hostile du Royaume marocain à l’égard de l’Algérie ». D’autant que deux mois plus tôt le Maroc s’était prononcé, par la voix de la directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM), Amina Benkhadra, en faveur de son maintien et qu'il avait jusqu'à l'expiration du contrat tergiversé sur sa décision.
« C’est notre volonté, telle que nous l’avons exprimée verbalement et par écrit, publiquement et dans les discussions privées, toujours avec la même clarté et la même constance », avait affirmé Benkhadra.
Il faut dire que, depuis quelques mois, l’Algérie souffle le chaud et le froid sur le sujet, laissant planer le doute sur les véritables raisons de cette décision. Selon le site Algérie Part, la fermeture du Gazoduc Maghreb-Europe (GME), s’expliquerait par « l’effondrement successif ces dernières années de ses capacités d’exportation du gaz naturel en raison d’une chute de la production nationale et d’une augmentation conséquente de la consommation interne qui dépasse aujourd’hui les 52 % des parts du gaz produit par les plus importants gisements du pays. »
En 2018, le volume des exportations du gaz naturel s’élevait à « 36,3 millions de tonne d’équivalent pétrole (TEP) », avant d’enregistrer en 2019 une baisse importante, s’établissant à 25,2 millions TEP, détaille le média algérien fondé par le journaliste Abdou Semmar, aujourd'hui exilé en France, qui affirme fonder son analyse sur des rapports internes de Sonatrach.
« Concernant les volumes de gaz naturel vendus sur le marché national et destinés donc à la consommation intérieure, les chiffres sont nettement plus élevés. En effet, en 2018, les volumes du gaz naturel dédiés à la consommation nationale étaient de l’ordre de 42,3 millions TEP. En 2019, ces volumes ont augmenté jusqu’à 43,6 millions TEP », poursuit le site, précisant que l’Algérie ne peut exporter depuis 2020 que 45 à 49 milliards de m3/an de gaz naturel au lieu « de 65 milliards de m3/an au début des années 2000 ».
« Avec ces capacités actuelles d’exportation, l’Algérie peut à peine rentabiliser les deux gazoducs qui sont à sa disposition, à savoir le Medgaz, entré en service en 2011, avec une capacité de 8 milliards de m3/an en plus du gazoduc Enrico Mattei avec une capacité de 32.5 milliards de m3/an mis en service en 1983 pour rallier l’Algérie à l’Italie via la Tunisie. Ces deux gazoducs peuvent transférer en Europe l’équivalent de 40 milliards de m3/an, soit presque la totalité de la capacité des exportations gazières algériennes », analyse Algérie Part.